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Intérimaires au service des Communautés européennes : conditions de rémunération applicables

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 octobre 2013, R.G. 2011/AB/1.073 et 2012/AB/709

Mis en ligne le mercredi 25 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 8 octobre 2013, R.G. n° 2011/AB/1.073 et 2012/AB/709

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 8 octobre 2013, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’une demande portée par d’anciens travailleurs intérimaires au service de l’Economat de la Commission européenne, rappelle les règles de l’article 10, alinéa 1er de la loi du 24 juillet 1987, ainsi que celles relatives au personnel local et aux fonctionnaires des institutions européennes.

Les faits

Du personnel intérimaire est recruté à partir de 1994 par la Commission européenne aux fins de prester dans un service d’économat (étant un magasin vendant des produits alimentaires divers permettant aux membres du personnel de conserver certaines habitudes alimentaires). Appel est fait à des entreprises de travail intérimaire, suite à quoi le personnel perçoit une rémunération conforme au « régime des autres agents de la Communauté » (soit le RAA) pour les agents locaux. Il s’agit d’une rémunération inférieure à celle des fonctionnaires, cette dernière étant fixée par le « Statut des fonctionnaires des Communautés européennes » (le Statut). Dans le courant de l’année 2001, ils sont engagés dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée de droit belge et rémunérés selon la grille salariale des agents locaux.

L’année suivante, ces services sont repris par une société de droit privé.

Une procédure est introduite par plusieurs travailleurs contre la société de travail intérimaire, tendant au paiement d’un euro provisionnel, au motif d’insuffisance de salaire. Ils se fondent sur la différence entre le salaire attribué à un fonctionnaire et celui payé par la société intérimaire.

Les sociétés de travail intérimaire appellent la Commission européenne en intervention et garantie.

La décision du tribunal

Par jugement du 25 janvier 2011, le Tribunal du travail de Bruxelles considère que les demandes sont non fondées, sauf pour 4 travailleurs, qui ont remplacé partiellement, pendant certaines périodes, des fonctionnaires de la Commission.

Appel est interjeté par les travailleurs d’une part et les entreprises de travail intérimaire de l’autre.

Position des parties devant la cour

Les travailleurs demandent paiement de la rémunération due pour toute la durée de l’engagement, et ce conformément à la rémunération du fonctionnaire européen. Il s’agit au total d’un montant de l’ordre de 675.000 €.

Les entreprises de travail intérimaire sollicitent pour leur part que la cour rejette toutes les demandes. A titre subsidiaire, elles demandent que l’Union européenne soit condamnée à les garantir de la condamnation principale.

La décision de la cour

La cour examine successivement les points de vue en cause, portant sur l’application de l’article 10, alinéa 1er de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à la disposition d’utilisateurs. En vertu de cette disposition (alinéa 1er), la rémunération de l’intérimaire ne peut être inférieure à celle à laquelle il aurait eu droit s’il était engagé dans les mêmes conditions comme travailleur permanent par l’utilisateur. La cour relève plus particulièrement la position de l’Union européenne, selon laquelle payer une rémunération de fonctionnaire violerait les articles 4 et 6 du Statut et aboutirait à créer de facto des emplois qui ne sont pas repris au tableau des effectifs, et ce d’autant plus qu’existe la faculté pour l’Union de conclure des contrats à durée de travail indéterminée.

Après avoir souligné que l’article 10 ne signifie pas que l’intérimaire a droit à la rémunération du travailleur permanent qu’il remplace (la cour renvoyant ici à F. TILLEMAN, Le travail temporaire, travail intérimaire et mise de travailleurs à la disposition d’utilisateurs, Kluwer, 1992, p. 85), la cour va dès lors examiner les dispositions pertinentes du RAA. Elle reprend la définition d’agent local, étant celui qui est engagé conformément aux usages locaux en vue d’exécuter des tâches manuelles ou de service dans un emploi non prévu au tableau des effectifs et rémunéré sur les crédits globaux ouverts à cet effet.

La cour relève en l’espèce que les travailleurs n’occupaient pas un emploi prévu au tableau des effectifs et rémunérés sur les crédits globaux en question et qu’ils ne remplissaient pas davantage des fonctions attribuées par les traités. Soulignant en outre que, dans la dernière phase des relations contractuelles, ils avaient été engagés en qualité de contractuels, comme agents locaux, et qu’ils ne formulent aucune revendication pour cette période, elle conclut que les intéressés n’établissent pas que, même s’ils avaient été engagés dès l’origine comme travailleurs permanents, ils auraient pu être recrutés comme fonctionnaires. En conséquence, le travailleur permanent visé à l’article 10, alinéa 1er de la loi n’est pas le fonctionnaire européen et l’engagement comme agent local du personnel pour des tâches d’exécution était régulière. La cour renvoie également, pour cette conclusion, à l’arrêt MULFINGER, concernant des professeurs de langues (C.J.U.E., 6 décembre 1989, affaire C-249/87).

En ce qui concerne les quatre travailleurs pour lesquels il a été retenu qu’ils ont remplacé des fonctionnaires pendant des périodes limitées, la cour conclut que ceci ne modifie en rien le raisonnement de principe qu’elle a dégagé, soulignant que ces travailleurs ne remplissaient pas des fonctions attribuées par les traités, s’agissant de responsables de rayon, responsables des caisses, etc. Il doit être conclu ici également au même enseignement que celui dégagé par l’arrêt MULFINGER.

Elle déboute dès lors les travailleurs de leur appel et fait droit à celui des entreprises de travail intérimaire.

Intérêt de la décision

Cet arrêt apporte un éclairage intéressant à la situation de certains intérimaires, précisément ceux engagés dans le cadre des institutions européennes. Il précise les conditions de rémunération fixées par le RAA et par le Statut. Renvoyant à l’arrêt MULFINGER, la cour retient par ailleurs comme critères d’appréciation les fonctions exercées, étant les fonctions attribuées par les traités ou non.

Soulignons encore que la cour a confirmé l’interprétation de l’article 10, alinéa 1er de la loi, selon laquelle le travailleur intérimaire n’a pas, du fait de ce texte, droit à la rémunération du travailleur permanent qu’il remplace, mais uniquement à la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre s’il avait été engagé comme travailleur permanent par l’utilisateur pour les mêmes fonctions.


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