Terralaboris asbl

Sanction du non-engagement du travailleur à l’issue du contrat de formation-insertion en entreprise

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er avril 2014, R.G. 2011/AB/941

Mis en ligne le vendredi 13 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 1er avril 2014, R.G. n° 2011/AB/941

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 1er avril 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’il est de jurisprudence constante de condamner à des dommages et intérêts l’employeur qui a recouru à la formule du stage d’insertion-formation en entreprise et qui ne procède pas à l’issue de celui-ci à l’engagement du travailleur pour une durée correspondant à celle du stage et ce dans la fonction apprise.

Les faits

Une société signe en présence du FOREM un contrat de formation-insertion en entreprise avec un jeune travailleur. Ce contrat s’inscrit dans le cadre du décret de la Région Wallonne du 18 juillet 1997 relatif à l’insertion de demandeurs d’emploi auprès d’employeurs qui organisent une formation permettant d’occuper un poste vacant.

L’activité concernée est une fonction de maçon. La formation doit couvrir une période de 23 semaines à l’issue de laquelle la société est tenue d’engager le travailleur, et ce pour une durée au moins égale à celle du contrat.

Ceci n’est cependant pas fait et le travailleur fait intervenir son organisation syndicale 10 jours après la fin du contrat de formation, réclamant des dommages et intérêts pour la période qui eut dû être couverte par un contrat de travail, soit 23 semaines. Vu l’absence de règlement amiable, une procédure est introduite en paiement de dommages et intérêts de l’ordre de 14.000€ du chef du non respect de l’obligation d’occupation (ainsi que d’un montant annexe concernant des vêtements de travail). La demande est augmentée en cours d’instance d’un dommage moral mais est diminuée du montant des allocations de chômage perçues pendant la période correspondante. C’est ainsi un montant de près de 15.500€ qui est finalement demandé.

Par jugement du 26 juillet 2011, le Tribunal du travail de Nivelles, section Wavre, fait droit à la totalité de la demande.

Appel est interjeté par la société. Le travailleur forme un appel incident, le jugement ayant omis de statuer sur les intérêts, pourtant demandés. Il sollicite l’octroi d’intérêts compensatoires depuis la mise en demeure et d’intérêts moratoires à dater du jugement.

Décision de la cour du travail

C’est le décret du Gouvernement wallon du 18 juillet 1997 ci-dessus qui est le siège de la question. Son article 8 prévoit plusieurs obligations dans le chef de l’employeur, à savoir de former le travailleur et de ne pas lui confier des tâches non prévues dans le programme. Il est également tenu à l’issue du contrat de formation-insertion de conclure un contrat de travail pour une durée au moins égale à celui-ci et d’occuper le stagiaire dans la profession apprise et dans le respect des conventions collectives applicables. Cette obligation est confirmée dans le contrat, dont une disposition reprend explicitement cette exigence.

La cour procède ensuite à un rappel des règles relatives à ce type d’occupation bien spécifique, étant que l’entreprise est tenue non seulement d’engager le stagiaire à l’issue du contrat de formation mais également de le faire travailler pendant ce même laps de temps. Si la sanction prévue dans le contrat de formation consiste dans le remboursement par l’entreprise des avantages accordés par le FOREM au stagiaire (frais de déplacement et indemnité de compensation), la cour rappelle que la jurisprudence est unanime pour admettre l’octroi de dommages et intérêts permettant de réparer le préjudice matériel et éventuellement moral subi (voir notamment C. trav. Bruxelles, 28 avril 2008, J.T.T., 2008, p. 327 ainsi que d’autres décisions des Cours de travail de Liège et de Mons). Ces dommages et intérêts vont couvrir l’ensemble des rémunérations qu’il aurait perçues sous déduction d’autres revenus dont il a bénéficié pendant cette période, revenus perçus à quelque titre que ce soit.

La cour relève ensuite que, pour tenter d’échapper à une condamnation à des dommages et intérêts, la société invoque une cause étrangère libératoire (absence de compétence requise par le travailleur au terme du stage, incapacité de l’intéressé d’occuper la fonction de maçon - obligation figurant dans la réglementation). La société considère également que le FOREM n’aurait pas dû proposer cette formation, l’intéressé n’ayant pas les capacités pour la suivre. La cour rejette cette position, considérant que n’est nullement établie l’incapacité de l’intéressé à remplir cette fonction. Il n’est de même pas prouvé que son travail était de qualité médiocre, la cour considérant ne devoir accorder aucune force probante à une attestation déposée sept ans après les faits et peu explicite sur la personne de son signataire. Elle relève encore que, si tel avait le cas, figure dans le contrat de formation une disposition contenant une période d’essai de 7 semaines. Pendant celle-ci, le contrat peut être résilié sans requérir la décision du FOREM, et ce moyennant un préavis de 7 jours. La seule formalité à accomplir est de transmettre une copie de la notification de la rupture au coordinateur régional du Plan Formation-Insertion. Il faut dès lors constater qu’il y a manquement à l’obligation d’embaucher le travailleur sous contrat de travail.

Se pose ensuite la question de l’indemnisation à laquelle celui-ci peut prétendre, suite à cette faute. La cour va considérer d’une part que le dommage moral n’est pas établi et que d’autre part il faut s’en tenir à la règle selon laquelle le dommage matériel consiste dans la perte de rémunération et autres avantages qui auraient dû être perçus pendant la période concernée à déduire de toute autre somme perçue, que ce soit dans le cadre d’une autre occupation salariée ou au titre d’allocations de chômage. La cour fixe dès lors ce montant à la différence entre le barème sectoriel (CP 124) et les allocations de chômage. Elle rappelle que, s’agissant d’indemnités obtenues en raison ou à l’occasion de la cessation de travail ou de la rupture du contrat de travail, celles-ci sont en vertu du Code des impôts sur les revenus des montants imposables. Elles ne sont cependant pas soumises aux cotisations de sécurité sociale.

Enfin, sur les intérêts, la cour constate que, si la procédure a été longue, la responsabilité n’en incombe pas au travailleur, la procédure ayant été « peu dynamique » mais ne démontrant pas une violation de la bonne foi ni un manquement à l’obligation de la victime de limiter raisonnablement son dommage. Elle alloue dès lors les intérêts compensatoires depuis la mise en demeure de l’organisation syndicale.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les règles bien spécifiques du contrat formation-insertion en entreprise régi par le décret du Gouvernent Wallon du 18 juillet 1997. S’il ne contient pas de sanction en cas d’absence d’engagement dans la fonction qui fait l’objet de la formation à l’issue de celle-ci, la jurisprudence est bien établie pour considérer que le travailleur non engagé peut prétendre à des dommages et intérêts pour la période correspondante. Ceux-ci vont couvrir la différence entre la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre et les autres revenus perçus pour celle-ci.


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