Terralaboris asbl

Industrie hôtelière : notion de rémunération

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 février 2014, R.G. 2012/AB/1.283

Mis en ligne le vendredi 13 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 20 février 2014, R.G. 2012/AB/1.283

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 février 2014, la Cour du travail de Bruxelles se penche sur les spécificités de la détermination de la rémunération dans le secteur HORECA, eu égard au « grand tronc » et au « petit tronc ».

Faits

L’espèce tranchée par la Cour intervient dans le cadre de l’appréciation d’un motif grave reproché à un travailleur occupé en qualité de premier chef de rang dans un restaurant dépendant d’une chaîne hôtelière active en région bruxelloise. L’intéressé, comme d’autres travailleurs du restaurant, était rémunéré au pourcentage de service, selon le système de la répartition du tronc.

La cour constate que deux troncs étaient constitués, dans le restaurant, le premier intitulé « grand tronc », sur la base du chiffre d’affaire du restaurant, et, le second, « petit tronc », reprenant les pourboires des clients.

L’intéressé avait, dans ses attributions, la charge de gérer le tronc. Survint une discussion avec la direction de la société, au motif qu’une partie du chiffre d’affaire n’était pas intégrée dans le chiffre d’affaire alimentant le tronc. Il s’agissait de montants payés par certains clients via des cartes de crédit spécifiques.

L’intéressé fut licencié concomitamment pour motif grave, au motif de détournement de recettes en espèces.

Il introduisit une procédure devant le tribunal du travail et celui-ci rendit deux jugements pendant l’année 2010, le premier aux fins d’obtenir un dépôt de documents et, le second, désignant un réviseur d’entreprise aux fins de déterminer le montant du grand tronc. Il fut également admis par le premier de ces deux jugements qu’il n’y avait pas motif grave.

Appel fut interjeté par la société.

La décision de la cour

La cour est saisie de l’ensemble du litige, en ce compris une question de qualité du travailleur, l’intéressé considérant qu’il devait être classé parmi les employés.

Sur cette question, la cour confirme, comme l‘avait fait le premier juge, que l’essentiel de l’activité de l’intéressé avait été du service en salle et que, dès lors, le travail fourni était principalement d’ordre manuel. La cour confirme également l’absence de motif grave, concluant au caractère irrégulier du licenciement.

Elle en vient ensuite à l’examen de la rémunération de base, telle qu’organisée dans la C.P. 302.

Après avoir repris les conventions collectives de secteur concernant l’attribution du pourcentage de service, la cour examine la position de la société, selon laquelle ce pourcentage a un sort différent sur le plan social et fiscal, qui doit faire en sorte que son caractère de rémunération ne peut être retenu.

La cour renvoie à une décision rendue par elle le 11 mai 2009 (C. trav. Brux., 11 mai 2009, J.T.T., 2010, p. 286), dans laquelle elle a considéré que l’examen du caractère rémunératoire des sommes en cause ne peut se faire par une analyse comparée de la nature juridique des produits du tronc selon les branches du droit ou les lois particulières. La notion de rémunération en droit social et en droit du travail n’est pas uniforme, comme le souligne la cour, de sorte qu’aborder la notion de rémunération au sens de l’article 39 de la loi sur les contrats de travail en se référant à des lois qui ne sont pas visées à cette disposition est hasardeux et peut même être considéré comme une démarche dénuée de toute pertinence.

La cour en vient au principe relatif à l’interprétation de cette disposition spécifique à l’indemnité de congé. Il s’agit, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 6 septembre 1982, Pas., 1983, p. 12) de la rémunération en cours au jour du licenciement, c’est-à-dire de la rémunération effectivement gagnée par le travailleur à cette date. Elle rappelle encore qu’il faut entendre par rémunération la contrepartie du travail effectué en exécution du contrat de travail (renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 avril 1977, J.T.T., 1977, p. 180 et aux conclusions de l’avocat général LENAERTS, ainsi qu’à la doctrine de J.-F. NEVEN, « La base de calcul de l’indemnité compensatoire de préavis : quelques questions controversées… », J.T.T., 2005, p. 97). Les avantages acquis en vertu du contrat, au sens de la disposition applicable sont ceux figurant également dans la loi, dans une convention collective, ainsi que ceux alloués en vertu d’un usage ou d’un engagement unilatéral de l’employeur.

La cour développe ensuite les modalités fixées au niveau du secteur en ce qui concerne le mode de rémunération tout à fait spécifique en cas de pourcentage de service. Celui-ci constitue la contrepartie due par l’employeur du travail fourni par le travailleur et est obligatoirement dû, sur le chiffre réalisé. La cour renvoie ici à la question des commissions payées au représentant de commerce sur les commandes conclues à son intervention.

Il faut dès lors considérer que le grand tronc est rémunératoire.

Par contre, un sort distinct doit être réservé au petit tronc, celui-ci contenant des sommes qui ne sont pas obligatoirement dues au travailleur, étant une simple cagnotte de pourboires versés librement et aléatoirement par les clients.

La cour en vient ensuite à un élément tout à fait spécifique à l’espèce, étant que n’auraient pas été intégrées au tronc des consommations octroyées gratuitement aux clients détenteurs de certains types de carte (carte « Gold » ou « Diamond »). S’agissant, en l’espèce, d’un système de marketing et de fidélisation des clients, la cour constate que les sommes en cause ne sont pas perçues par la société, dans la mesure où il n’y a pas d’encaissement, les consommations en cause étant servies gratuitement. Pour celles-ci, qui ne sont pas visées par les conventions collectives, il n’y a pas lieu de considérer qu’elles doivent entrer dans le grand tronc. La cour relève cependant qu’il est compréhensible que le personnel concerné se pose des questions à ce sujet.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles intervient suite à un premier arrêt important, sur la question, arrêt auquel il renvoie d’ailleurs (C. trav. Brux., 11 mai 2009, J.T.T., 2010, p. 286). Il reprend, en outre, minutieusement, les conventions collectives de secteur applicables, ainsi que le système spécifique de détermination de la rémunération à prendre en compte dans le cadre de l’indemnité compensatoire de préavis.


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