Terralaboris asbl

L’autorité est-elle liée par sa décision de reconnaître un accident du travail ?

C. trav. Bruxelles, 22 octobre 2007, R.G. 49.153

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 22 octobre 2007, R.G. n° 49.153

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 22 octobre 2007, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé que l’acte administratif peut être retiré, à tout moment, et ce eu égard, en outre, au caractère d’ordre public de la loi.

Les faits

Une ouvrière contractuelle (nettoyeuse) de l’actuelle police fédérale (gendarmerie au moment des faits) rentre une déclaration d’accident, le 27 septembre 2000, selon laquelle elle s’est tordu la jambe en arrivant au corps de garde pour aller pointer. Elle expose avoir ressenti une douleur, avoir tenté de faire son travail normalement mais avoir dû se rendre à l’infirmerie.

Une déclaration d’accident du travail est remplie par l’autorité le lendemain et l’accident est reconnu par lettre du 7 novembre 2000. Dans le même temps, la décision est transmise au S.S.A., afin de faire procéder à l’examen médical du dossier.

Deux mois plus tard, une nouvelle décision est notifiée, considérant d’une part qu’il y avait geste banal et d’autre part que la brusque manifestation d’une douleur n’est pas constitutive d’un accident du travail. Sont, en outre, reprochées des imprécisions et contradictions dans les déclarations.

La position du premier juge

Le premier juge va débouter l’intéressée et condamner l’Etat belge aux dépens.

La position des parties en appel

La travailleuse demande, à la Cour, de reconnaître l’accident comme accident du travail au sens de la loi du 3 juillet 1967, de revoir en conséquence le calcul des jours de congé de maladie et d’obtenir le paiement de son salaire pendant la période d’incapacité de travail, ainsi que le remboursement des frais médicaux. Elle sollicite, en outre, une indemnité de 2.500 EUR pour dommage moral.

Quant à l’Etat belge, il maintient sa position et, à titre subsidiaire, sollicite la désignation d’un expert.

La position de la Cour

Se pose, outre les problèmes habituels liés à la reconnaissance de l’accident, la question des deux décisions prises par l’autorité, la seconde revenant sur la reconnaissance de la l’accident.

La Cour ne suit pas l’appelante en ce qu’elle considère que la première décision est définitive et qu’il ne pouvait être revenu sur celle-ci. La Cour, qui rappelle les principes applicables en matière d’intangibilité des actes administratifs et de non rétroactivité (principes déjà rappelés dans le jugement), relève que l’acte administratif récognitif ne crée aucun droit subjectif dans le chef de l’intéressé et que son retrait peut être opéré à tout moment. Telle est la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 3 oct. 1996, Pas. 1996, I, 351). En outre, le caractère d’ordre public de la législation, tant dans le secteur public que privé, fait qu’une reconnaissance antérieure de l’existence d’un accident du travail ne lie pas l’employeur autorité publique ou l’entreprise d’assurances. La Cour confirme donc le jugement en ce qu’il a considéré que la première décision était entachée d’erreur, ce qui la rendait irrégulière et susceptible de retrait vu cette illégalité. Il en découle que le principe de l’intangibilité des actes administratifs doit céder le pas.

Une fois l’illégalité admise, la décision administrative reconnaissant l’accident ne peut donc être retenue et ce sont les circonstances de celui-ci qui doivent être examinées par le juge.

Sur cette question, la Cour va rappeler les principes habituels liés à l’existence ou non d’un événement soudain. La Cour va réformer le jugement, au motif d’une part qu’il s’agissait de l’exercice habituel et normal de la tâche journalière, dans lequel un élément particulier se distinguant de celui-ci peut constituer l’événement soudain en cause et d’autre part, qu’il ressort des éléments de fait que d’éventuels contradictions dans les déclarations sont minimes. Ce qui ne peut être admis, pour la Cour, est que le tribunal a considéré que le fait de s’être tordu la jambe ou d’avoir pris une marche d’escalier ne suffit pas à établir l’événement soudain, dans la mesure où ces faits seraient présentés « sans aucune autre élément, soit des circonstances particulières de la tâche professionnelle journalière ».

Cette manière de voir est condamnée par la Cour de cassation (Cass. 6 sept. 2004, RG S040080N), qui n’admet pas que l’on subordonne l’existence d’un événement soudain à l’existence d’un élément particulier déterminable, distinct de l’exercice normal de la tâche journalière. Pour la Cour, il y a donc accident du travail.

La demande de recourir à une expertise ne justifie pas, vu l’article 876bis nouveau du Code judiciaire, puisque, en vertu de celui-ci, le juge limite le choix de la mesure d’instruction à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en privilégiant la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse. En l’espèce, les chefs de demande ne justifient pas une telle mesure d’instruction.

Enfin – et ceci ne surprendra pas – la Cour ne fait pas droit à la demande d’indemnisation pour dommage moral, rappelant que la législation relative à la réparation des dommages résultant des accidents du travail ne prévoit pas l’indemnisation de ce préjudice.

Intérêt de la décision

Cette décision rappelle trois points importants :

  1. l’employeur public (ou l’entreprise d’assurances dans le secteur privé) peut revenir sur la décision de reconnaissance de l’accident ;
  2. pour qu’il y ait événement soudain, il ne faut pas un élément distinct de la tâche journalière ;
  3. la législation ignore le dommage moral.

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