Terralaboris asbl

Prendre copie, pour son propre compte et sans autorisation, des données relatives à la rémunération de ses collègues est-il un motif grave ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 mars 2014, R.G. 2012/AB/695

Mis en ligne le mardi 3 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 11 mars 2014, R.G. n° 2012/AB/695

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 11 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles fait une application nuancée de l’appréciation de la faute commise par une travailleuse sur les lieux du travail, eu égard à la décision de licenciement pour motif grave prise par l’employeur mis au courant des faits.

Les faits

Une employée, engagée en tant que « product manager » d’une filiale belge d’un groupe français, est convoquée par son employeur pour une audition. Il lui est reproché d’avoir pris copie de certains documents confidentiels. Le lendemain elle est licenciée pour motif grave. Lui est reproché le fait d’être entrée sans autorisation dans le bureau de l’administrateur-délégué, d’avoir fouillé des documents sur son bureau, d’avoir consulté des documents confidentiels du secrétariat social et d’avoir photocopié certains de ceux-ci (des documents ayant été retrouvés dans son bureau par un autre membre du personnel). La société considère que cette attitude est assimilable à un vol et que, par ailleurs, il a été porté atteinte à la vie privée de l’ensemble des collègues de travail, l’intéressée n’ayant enfin respecté ni sa hiérarchie ni son lien de subordination. Celle-ci ayant pour sa part fait état d’une « simple indiscrétion », l’employeur poursuit dans la lettre de licenciement que dans la mesure où elle n’avait exprimé aucun remords, il y avait rupture de contrat très nette.

L’employeur signale encore se réserver le droit de porter plainte, s’agissant d’un vol.

Une procédure est introduite par l’intéressée devant le Tribunal du travail de Nivelles, qui, par jugement du 13 décembre 2011 la déboute.

Celle-ci interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’employée demande une indemnité compensatoire de préavis, ainsi que d’autres sommes relatives à l’exécution du contrat. Elle sollicité également une indemnité pour dommage moral.

En ce qui concerne le grief essentiel, l’appelante nie avoir fouillé le bureau de l’administrateur-délégué mais déclare que le document avait été abandonné, au vu et au su de toute personne qui aurait pu pénétrer dans celui-ci. Elle explique son comportement par le fait qu’elle fut prise d’un coup de sang constatant les disparités entre les rémunérations de ses collègues masculins (d’un niveau équivalent) et la sienne. Elle conteste, par ailleurs, avoir fait un usage du document et considère que son licenciement était prémédité.

Quant à la société, elle plaide avoir scrupuleusement respecté les délais légaux et demande à la cour de confirmer la rupture définitive du lien de confiance, précisant quant aux faits que l’intéressée n’a pu prendre accidentellement connaissance du document en cause. Elle plaide également que c’est son attitude, lors de son audition, qui a contribué au constat de motif grave.

Décision de la cour du travail

La cour motive sa décision essentiellement en fait, recherchant ce qui peut être avéré et
rejetant ce qui ne l’est pas. Elle écarte dès lors les accusations de fouille, nullement étayées – sauf par la déclaration d’un comptable, qui avait intérêt à faire reporter sa propre faute sur l’intéressée. Elle constate par ailleurs que l’accès au bureau de l’administrateur-délégué était relativement aisé. Elle conclut à l’existence d’une faute dans le chef de l’intéressée, considérant qu’il n’appartient pas à une employée de prendre copie, pour son propre compte et sans en avoir reçu l’autorisation, d’un document relatif à la rémunération de l’ensemble des membres du personnel.

La gravité de cette faute doit cependant être tempérée par les circonstances de fait, étant l’accès aisé au document litigieux ainsi que l’absence d’usage de celui-ci.

La faute commise, si elle existe, n’était cependant pas de nature à rendre immédiatement et définitivement impossible la poursuite des relations de travail.

La société ne pouvait dès lors conclure au motif grave et une indemnité compensatoire de préavis est due, conformément aux critères habituels.

La cour, après avoir examiné les autres chefs de demande, déboute cependant l’intéressée da sa réclamation de dommages et intérêts pour dommage moral, rappelant que, si un motif grave de rupture n’est pas retenu, il y a néanmoins un comportement fautif dans son chef, même s’il n’y a pas vol. Copier un écrit n’est pas un vol, ainsi qu’elle le précise. Elle retient cependant que la société a repris cette mention sur le document C4 et que, ce faisant, elle s’est montrée volontairement et gratuitement dénigrante. Il y a ici un dommage mais, dans la mesure où l’intéressée n’établit pas l’étendue de celui-ci, sa réparation est limitée à 1 euro.

Enfin, elle relève qu’il n’est nullement démontré que la société avait l’intention de licencier avant l’incident litigieux.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’une faute même avérée n’est pas nécessairement un motif grave, même si les faits sont délicats. La cour reprend également la règle selon laquelle le rejet du motif grave n’implique nullement que le licenciement a un caractère abusif. Il appartient à l’employé qui invoque un abus de droit de prouver celui-ci, étant soit le détournement de la finalité économique et sociale du licenciement soit le comportement anormal de l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de rupture.

Une précision non négligeable de l’arrêt, en ce qui concerne le dommage moral dont la réparation est demandée, est qu’il appartient également à l’employé de prouver l’étendue du préjudice subi.


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