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Critères permettant la requalification d’un contrat d’entreprise en contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 février 2014, R.G. 2012/AB/289

Mis en ligne le mardi 27 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 12 février 2014, R.G. n° 2012/AB/289

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 12 février 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les critères généraux fixés par la loi du 27 décembre 2006 permettant de qualifier une relation professionnelle de contrat de travail soumis à la loi di 3 juillet 1978.

Les faits

Monsieur D. a travaillé pendant 20 ans pour une société dans une activité de distribution de ses produits sur le marché belge. Les relations contractuelles se sont déroulées dans le cadre d’une collaboration indépendante, l’intéressé effectuant toutes les démarches administratives dans le cadre de ce statut.

En 2009, la société envisage la cessation de la collaboration professionnelle, eu égard à la cession de son fonds de commerce. Un prévis de six mois est donné à l’intéressé et celui-ci envisage, à ce moment, de reprendre le fonds de commerce. Des négociations se poursuivent, dans le cours desquelles il demande à poursuivre son activité de commissionnaire indépendant pendant trois mois.

De manière abrupte, il dépose parallèlement une requête unilatérale tendant à la saisie conservatoire des comptes en banque de la société. Il fait en effet valoir l’existence d’un contrat de travail et introduit une procédure au fond devant le tribunal du travail en requalification de la relation de travail. Dans le cadre de celle-ci, il postule des arriérés de salaire, de primes et de pécules de vacances, ainsi qu’une indemnité compensatoire de préavis. Il demande, enfin, la condamnation de la société à lui payer plus de 95.000€ au titre de remboursement des cotisations qu’il a versées dans le cadre du statut social des travailleurs indépendants. Il ajoute, en cours de procédure, une demande d’indemnité d’éviction.

Par jugement du 30 janvier 2012, le Tribunal du travail de Bruxelles le déboute de l’ensemble de ses demandes, au motif qu’il n’établit pas que les parties avaient adopté un comportement incompatible avec un contrat d’entreprise.

Appel est interjeté.

Position des parties

L’appelant considère qu’il apporte à suffisance de droit la preuve de l’autorité exercée par la société sur ses prestations de travail pendant les vingt années de collaboration, exposant que les formalités accomplies dans le cadre du statut social l’ont été à la demande de l’administrateur délégué de la société mais que les modalités d’exécution du contrat contredisent l’existence d’une collaboration indépendante. Il reprend divers éléments de fait : absence de responsabilité et de pouvoir de décision dans l’entreprise, paiement fixe depuis l’entrée en fonction (absence d’augmentation ou d’indexation pendant les vingt années de collaboration), perception de cette somme pendant les vacances, absence d’autres clients, absence de possibilité d’organisation du temps de travail et contraintes horaires, ainsi qu’absence de pouvoir de décision en matière de facturation.

Décision de la cour

La cour considère, en premier lieu, qu’il faut distinguer deux périodes, étant d’une part la période allant jusqu’à décembre 2006 et d’autre part celle à partir du 1er janvier 2007 jusqu’à la rupture. Il faut en effet, comme le rappelle la cour, tenir compte de la loi programme du 27 décembre 2006 qui, en ses articles 331 et suivants, a précisé les critères permettant de qualifier une relation de travail. La cour rappelle que la Cour de cassation a, également, sur la question rendu divers arrêts déterminants. Les parties sont ainsi libres de déterminer le statut dans lequel elles exercent leur activité et ce choix s’impose tant qu’il n’est pas contredit par les modalités d’exécution de la convention. En l’espèce, les parties ont clairement qualifié leur relation de travail de collaboration indépendante et l’intéressé s’est également présenté comme tel vis-à-vis des tiers (la cour relevant notamment l’usage d’un papier à lettre personnalisé).

La cour renvoie ensuite à l’attitude générale de l’intéressé, qui pendant toute la durée de la collaboration a agi comme un indépendant et elle relève que la seule référence à la qualité de « cocontractant faible » est inopérante pour la requalification.

Celui-ci faisant état de sa qualité effective de représentant de commerce, la cour en vient à examiner la situation par le biais de l’article 4 de la loi du 3 juillet 1978, qui contient une présomption réfragable. Elle fait sienne la conclusion du premier juge, sur la définition de l’activité du représentant, étant que celle-ci exige la prospection et la visite, c’est-à-dire l’existence d’un contact direct entre le client potentiel et le représentant, et ce en dehors des locaux de l’entreprise. Elle renvoie également à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 28 juin 1999, Pas., 1999, I, p. 1008) selon laquelle la qualité de représentant de commerce implique que la représentation commerciale soit l’objet principal de l’activité.

Examinant les éléments de fait, la cour les considère comme peu convaincants pour requalifier la convention. Elle s’attache particulièrement à la rémunération, relevant que le mode de rémunération n’est pas un des critères généraux prévus par l’article 333, § 1 de la loi du 27 décembre 2006. Elle relève en outre une inexactitude dans la présentation des faits par l’appelant, étant qu’en réalité il bénéficiait également d’une partie variable, plus importante que la partie fixe et qu’il a facturé mensuellement ses prestations. Quant à la politique des prix, il n’est qu’un des critères spécifiques de l’article 334 de la loi et non un des critères généraux. Il faut dès lors que le Roi ait pris un arrêté royal appliquant ce critère au secteur et la cour relève que tel n’est pas le cas.

Enfin, sur l’obligation de consacrer la totalité du temps de travail à l’entreprise, la cour relève que n’est pas établie l’interdiction de travailler pour d’autres personnes ou encore l’obligation de ne travailler que pour la seule société.

De l’ensemble de ces éléments, successivement examinés par la cour, il ressort que l’appel n’est pas fondé, le jugement devant dès lors être confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler les principes applicables, à la matière des « faux indépendants », principes affinés par la loi programme du 27 décembre 2006, et ce eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation du début des années 2000.

La cour y reprend les critères déterminants et rappelle que certains éléments sont inopérants. Il faut dès lors, dans chaque cas d’espèce, examiner la situation de fait eu égard aux critères généraux repris par la loi ainsi qu’aux critères spécifiques arrêtés dans des secteurs déterminés. L’on rappellera encore l’existence de la Commission administrative de règlement de la relation de travail, qui peut intervenir très utilement, à la condition d’être saisie dans les 12 mois du début de celle-ci.


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