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Sanction de la violation d’une clause de garantie d’emploi figurant dans une convention collective

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 mars 2014, R.G. 2010/AB/357

Mis en ligne le mardi 27 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 18 mars 2014, R.G. n° 2010/AB/357

Dans un arrêt du 18 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles examine la sanction liée au non-respect d’une convention collective fixant des obligations pour l’employeur en cas de licenciement pour raisons économiques, techniques ou organisationnelles.

Rétroactes

Diverses sociétés d’édition de journaux entreprennent une importante restructuration.

Le licenciement collectif impliqué par celle-ci amène les parties à signer diverses conventions d’entreprise pour les différentes catégories du personnel ainsi qu’une convention relative à la garantie de l’emploi. Suite à une nouvelle fusion, intervenue ultérieurement, avec transfert conventionnel d’entreprise, des travailleurs se trouvent licenciés, dont des représentants du personnel. Ceux-ci demandent le bénéfice des clauses contractuelles assurant certaines garanties en cas de restructuration.

Ils contestent, dans un premier temps, la validité du remplacement de la convention collective initiale.

Dans un premier arrêt du 8 juin 2011, la cour du travail admet que la nouvelle convention a valablement pu remplacer la convention précédente. Elle considère que la convention remplacée cesse de produire ses effets à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle convention, remplacement impliquant par lui-même la cessation des effets de la convention précédente.

Elle condamne cependant la société à 1 € provisionnel, eu égard à la violation constatée des engagements pris dans la seconde convention. La réouverture des débats est ordonnée aux fins de préciser le préjudice subi.

L’arrêt du 18 mars 2014

Dans cet arrêt, la cour procède à un rappel des dispositions de la convention en cause, dont elle relève que celle-ci prévoit des engagements précis pris par la société dans le but d’éviter, dans la mesure du possible, les licenciements pour des raisons économiques, techniques ou organisationnelles intervenus pendant la durée de validité de la convention. La cour reprend l’essentiel de ces engagements, qui portent sur des obligations de discussion, d’information, ainsi que de recherche d’alternatives aux licenciements. Parmi ces mesures figure l’obligation de proposer d’autres fonctions compatibles et d’accorder aux travailleurs touchés par la restructuration une priorité par rapport aux embauches externes, et ce à qualifications égales.

En ce qui concerne l’évaluation du dommage, la cour se fonde sur la théorie de la perte d’une chance pour l’intéressée de conserver son emploi.

Elle examine dès lors concrètement les éléments qui auraient pu permettre à celle-ci de conserver une fonction au sein de l’entreprise.

La société faisant valoir la réduction des activités du département dans lequel l’intéressée exerçait une partie de ses activités, la cour constate un manquement, étant que l’employeur n’a pas discuté préalablement avec les représentants des travailleurs (en l’occurrence le conseil d’entreprise et la délégation syndicale) des raisons de cette restructuration et qu’elle n’a pas davantage recherché des alternatives pour éviter les licenciements.

D’autres manquements sont encore constatés, étant qu’aucune fonction autre n’a été proposée et, à cet égard, la cour rejette comme non étayées les allégations de la société selon lesquelles l’intéressée n’avait pas les qualifications nécessaires, et ce même après une formation complémentaire.

Tenant compte d’une importante rotation du personnel, la cour constate que de nombreuses fonctions ont nécessairement été à pourvoir et qu’il y a eu de multiples embauches externes, situation dans laquelle l’employée bénéficiait d’une priorité. La cour reproche dès lors à la société de ne pas avoir procédé à l’examen des possibilités de maintien de la fonction dans cette formule.

Si, pour la cour, la société était autorisée à décider de licencier, ceci ne la dispensait pas de l’obligation de se concerter loyalement avec le conseil d’entreprise et la délégation syndicale pour rechercher effectivement à reclasser l’intéressée. Il y a même mauvaise foi, dans le chef de la société, qui fait valoir ici que – la décision ayant déjà été prise – l’application de la convention collective serait de peu d’effet.

La cour tient dès lors compte de l’ensemble de ces éléments particuliers et considère que le dommage peut être évalué de manière forfaitaire à l’équivalent de 6 mois de rémunération, la moitié de l’indemnité représentant un dommage matériel, la chance perdue comportant celle de conserver sa rémunération. Elle a également un volet moral, étant l’arrêt brusque de la longue carrière de l’employée au sein de la société, au mépris des engagements pris, ainsi qu’un manque total de considération de l’employeur.

La cour aborde encore brièvement une question de cumul, étant celui pouvant être admis avec une indemnité de protection au sens de la loi du 19 mars 1991. A cet égard, elle renvoie à l’arrêt du 20 février 2012 de la Cour de cassation (Cass., 20 février 2012, J.T.T., 2012, p. 210), qui a considéré que les deux indemnités peuvent être cumulées lorsque les conditions d’octroi de chacune d’elles sont réunies, leur cumul ne constituant pas un avantage prohibé par la loi du 19 mars 1991. Il y a en l’espèce constatation de la violation d’une convention collective de travail de sécurité d’emploi, dont l’objectif est de promouvoir la stabilité de l’emploi (ainsi que la convention collective ayant abouti à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2012 – convention se situant dans le secteur des assurances), de telle sorte qu’il y a possibilité de cumul.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est intéressant à plusieurs égards, étant qu’il examine scrupuleusement le respect par une société des obligations contractées dans le cadre de projet de licenciements pour motifs économiques, techniques ou organisationnels, contexte dans lequel la société s’est engagée à diverses obligations de moyen (portant essentiellement sur l’information, la discussion, ainsi que la recherche d’alternatives aux licenciements). La cour du travail conclut qu’il s’agit d’obligations ayant un contenu concret et, à défaut pour la société d’en établir le respect, il y a manquement.

Par ailleurs, l’évaluation du dommage fait que la sanction du manquement n’est pas théorique : le dommage est évalué de manière forfaitaire, eu égard à la perte d’une chance pour l’intéressée de conserver son emploi et ce dommage comporte deux aspects, l’un moral et l’autre matériel, d’une importance équivalente.


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