Terralaboris asbl

Un indépendant doit-il avoir cessé toute activité pour bénéficier des indemnités d’incapacité temporaire ?

Commentaire de C. trav. Mons, 13 septembre 2013, R.G. 2011/AM/377

Mis en ligne le jeudi 22 mai 2014


Cour du travail de Mons, 13 septembre 2013, R.G. n° 2011/AM/377

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 septembre 2013, la Cour du travail de Mons revient sur la situation spécifique des travailleurs indépendants en incapacité de travail : peuvent-ils ou non continuer à exercer une activité résiduaire, de minime importance ?

Les faits

Un indépendant, boulanger-pâtissier, a un accident (chute) en juin 2008. Après une période d’hospitalisation, il rentre au domicile et doit cesser toute activité pendant trois mois. La mutuelle lui notifie une décision de refus d’intervention, au motif que l’INASTI aurait conclu à l’absence de cessation totale de l’activité, eu égard que, si celui-ci avait effectivement mis un terme à ses activités manuelles (celles-ci étant effectuées par des tiers), il avait continué à assurer une réponse au téléphone.

En conséquence, une deuxième décision est prise, lui demandant remboursement d’un indu de l’ordre de 6.500€. Une seconde demande de reconnaissance est alors introduite et fait l’objet d’une nouvelle décision, étant un refus.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Mons, qui rejette les demandes de l’intéressé.

Appel est interjeté par celui-ci.

Décision de la cour du travail

La question que la cour doit trancher se réfère aux règles contenues à l’article 19 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant un régime d’assurance contre l’incapacité de travail en faveur des travailleurs indépendants.

Il s’agit des règles fixant l’évaluation de l’incapacité primaire. Pour que celle-ci soit reconnue, diverses conditions sont posées dans la réglementation, dont l’exigence de la cessation des tâches afférentes à l’activité de titulaire indépendant, ainsi que l’absence d’exercice d’une autre activité professionnelle. D’autres conditions sont également exigées mais non discutées en l’espèce.

Pour comprendre la portée de ces règles, la cour du travail considère qu’il faut se référer au Rapport au Roi (Bull., lég. belge, 1971, p. 698). Il y est exposé qu’il est essentiel et naturel pour un indépendant de maintenir son entreprise, et ce à travers les difficultés d’ordre économique et financier qu’il peut rencontrer et de même lorsqu’il a des problèmes de santé. Il ne peut être question de lier l’octroi des indemnités à la disparition de l’entreprise, solution considérée comme allant à l’encontre de la nature des choses. C’est la notion d’entreprise qui est au centre de ce Rapport au Roi, étant que celle-ci doit rester hors considération pour fonder l’évaluation de l’incapacité de travail. Le critère économique est délicat et la meilleure solution retenue est de se référer aux critères qui concernent l’activité personnelle de l’indépendant : s’il n’est plus capable d’assumer les diverses tâches qui composent son activité personnelle et si effectivement il ne les assume plus, il s’ensuivra nécessairement des répercussions fâcheuses pour l’entreprise. L’incapacité de travail n’est cependant pas une notion absolue et elle doit être examinée en fonction des tâches qui se rapportent à l’occupation de l’indépendant personnellement. Le Rapport au Roi se réfère au critère de bon sens, étant que la notion d’inactivité totale à 100% est théorique et qui ne se rencontre que dans des cas extrêmes.

La cour du travail va encore rappeler l’enseignement de la Cour de cassation dans deux arrêts importants (Cass., 20 décembre 1993, Pas, 1993, I, p. 1087 et Cass., 21 janvier 1985, Pas., 1985, I, p. 576). Pour la Cour suprême, si l’indépendant n’accomplit plus que des tâches minimes afférentes à son activité de travailleur indépendant exercée auparavant, il y a incapacité au sens de l’article 19, à la condition qu’il n’exerce pas d’autre activité professionnelle.

Le critère de l’examen de l’occupation professionnelle personnelle a été mis en exergue dans l’arrêt du 20 décembre 1993, la notion d’inactivité totale à 100% étant théorique. Pour la cour du travail, la Cour de cassation a ainsi admis l’accomplissement de tâches minimes afférentes à l’activité comme ne faisant pas obstacle à la perception des indemnités.

Elle va ensuite faire appel à une jurisprudence fournie, qui confirme que les tâches accessoires et de minime importance ou encore les activités résiduelles ou marginales, ou minimes, n’empêchent pas la réalisation de la condition requise. Il y a dès lors cessation même si celles-ci continuent à être exécutées.

En l’espèce, la cour constate qu’elle a à faire à un artisan boulanger-pâtissier, qui doit fabriquer manuellement des pains et des pâtisseries, activité qui est la dimension propre de l’artisan lui-même. C’est un critère essentiel de la profession et la cour précise qu’elle est nécessaire à la captation et à la fidélisation de la clientèle, sans laquelle la vente n’a pas de raison d’être.

Alors qu’il est constaté qu’il y a cessation de toutes les activités manuelles (préparation de pains, pâtisseries, déplacements, vente sur les marchés), la cessation est admise, quand bien même il serait établi qu’entre des séances de soins médicaux, l’intéressé à assuré une permanence téléphonique. C’est une activité résiduaire, qui ne fait pas obstacle à l’octroi des indemnités.

Le jugement est dès lors réformé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons, dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation, rend justice à l’exercice bien compris d’une activité indépendante à très petite échelle, étant que la cessation de toute activité ne peut être exigée du travailleur indépendant. La réalisation de tâches minimes, accessoires, résiduaires, …, est autorisée afin d’assurer la pérennité de l’entreprise. Un intérêt particulier de l’arrêt est d’avoir souligné qu’il faut tenir compte des spécificités professionnelles personnelles de l’indépendant, en l’espèce un artisan.


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