Terralaboris asbl

Geste déplacé au travail et motif grave

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 mars 2014, R.G. 2012/AB/43

Mis en ligne le jeudi 22 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 18 mars 2014, R.G. n° 2012/AB/43

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 18 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles d’appréciation de la gravité d’un fait fautif eu égard à l’existence de fait antérieur similaire : même s’il n’est pas pointé dans la lettre de licenciement pour motif grave, il peut intervenir comme circonstance aggravante.

Les faits

Un employé fait l’objet, en octobre 2008, d’une « remontrance » de sa direction, suite à un geste déplacé vis-à-vis d’une collègue. Dans les deux années qui suivent, deux autres sanctions disciplinaires (blâme officiel et avertissement officiel avant licenciement) lui sont notifiées, pour des faits d’un tout autre ordre (non-accomplissement d’une tâche et départ anticipé du travail). Trois mois après l’avertissement officiel ci-dessus, il est licencié pour motif grave, après avoir été auditionné par deux membres de la direction pour un nouveau fait de comportement (geste déplacé envers une autre collègue).

Le motif grave retenu porte sur le dernier fait, qualifié d’attitude totalement inappropriée et scandaleuse envers un membre du personnel.

Une procédure est introduite par l’intéressé devant le Tribunal du travail de Nivelles, qui va admettre l’absence de motif grave par jugement du 10 novembre 2011.

La société interjette appel.

Décision de la cour

La cour est amenée à déterminer les griefs à prendre en compte au titre de motif grave, étant que l’impossibilité immédiate et définitive de poursuivre toute collaboration professionnelle implique que la faute commise doit être appréciée en prenant en compte l’ensemble des éléments de fait relatifs à l’acte lui-même et au contexte dans lequel il s’est déroulé, s’agissant, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, d’envisager le fait accompagné de toutes les circonstances qui sont de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave (la cour rappelant l’important arrêt du 20 novembre 2006, n° S.05.0117.F). Elle considère en outre qu’il faut appliquer un principe de proportionnalité entre la gravité de la faute et la sanction, s’agissant de licencier sans préavis ni indemnité (elle renvoie ici à sa propre jurisprudence, à savoir l’arrêt rendu par elle le 27 décembre 2007, J.T.T., 2008, p. 152).

Après avoir rappelé également les principes en matière de délai et, particulièrement, les règles en cas de faits répétitifs ou de faits dont la gravité résulte de faits survenus antérieurement, elle circonscrit le motif grave tel que pointé par la société.

Celle-ci s’est fondée sur le dernier fait, étant que le geste déplacé envers une collègue n’a été révélé par celle-ci à sa hiérarchie que quelques jours plus tard. La cour se fonde sur la déclaration de l’intéressée pour fixer le point de départ du délai de 3 jours à partir de la connaissance suffisante par l’employeur. En ce qui concerne les faits antérieurs, elle considère qu’ils peuvent être invoqués au titre de circonstances aggravantes, mais ce à la condition que le dernier des faits en cause soit lui-même fautif.

Pour la cour, il faut dès lors examiner prioritairement le geste litigieux. L’intéressé précise que celui-ci (soit le fait d’avoir tapé sur la fesse de sa collègue) n’avait aucune connotation sexuelle ni malveillante. La cour relève que, malgré les dénégations de l’intéressé, ce fait est fautif. L’examen de proportionnalité exigé implique dès lors d’apprécier d’une part sa gravité et d’autre part le caractère proportionné ou non de la sanction.

Pour la cour, cette faute n’est pas isolée, puisque, deux ans auparavant, il y avait déjà eu un fait identique, étant un geste tout à fait inapproprié, pour lequel une première sanction disciplinaire (légère) avait été retenue.

La cour rejette qu’il puisse s’agir de gestes amicaux dépourvus de toute dimension sexuelle. Elle considère que « poser la main par surprise sur la fesse, la cuisse ou même le genou d’une travailleuse est un geste hautement inadéquat, qui porte atteinte à l’intimité et à la dignité de celle-ci, même si une intention malveillante ou à caractère sexuel n’est pas démontrée ».

Elle fustige encore l’intéressé, précisant que, s’il n’avait pas compris la chose lors du premier fait, il ne pouvait certes plus l’ignorer ultérieurement.

Ce geste en lui-même constitue une faute grave, compte tenu de l’antécédent et de l’avertissement déjà reçu. Sont inopérantes dans l’appréciation de la gravité de la faute d’autres attestations de collègues pointant qu’elles n’ont eu aucun problème particulier avec lui, ainsi que la longue ancienneté dans l’entreprise. La cour relève encore que celle-ci n’est pas sans taches, vu que des avertissements pour d’autres motifs lui avaient déjà été signifiés.

La cour réforme dès lors le jugement, le motif grave étant dûment établi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles a certes le mérite d’apprécier rigoureusement les faits de comportement au travail ayant (ou non) une connotation sexuelle. L’on notera à cet égard que les intentions telles qu’explicitées ultérieurement par l’intéressé pour justifier sa conduite ne sont pas prises en compte dans l’appréciation du fait lui-même, celui-ci étant en l’occurrence considéré comme fautif en soi et la faute étant reconnue comme grave, vu l’existence d’un fait antérieur, similaire, ayant déjà donné lieu à une première sanction disciplinaire.


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