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Retenues au titre de précompte professionnel : obligation pour l’employeur d’appliquer les barèmes fiscaux

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 février 2014, R.G. 2012/AB/359

Mis en ligne le jeudi 22 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 11 février 2014, R.G. n° 2012/AB/359

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 11 février 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les retenues fiscales à faire sur la rémunération au titre de précompte professionnel doivent respecter la loi fiscale, d’ordre public, et que les parties ne peuvent convenir d’autres modalités spécifiques, aux fins de garantir une rémunération nette.

Les faits

Une trentaine d’agents de postes diplomatiques ou consulaires de l’Etat belge introduisent une procédure devant les juridictions du travail à propos de la modification intervenue dans le calcul de leur rémunération.

Il s’agit d’agents contractuels de nationalité belge résidant dans l’Etat de prestations et recrutés en vue de celles-ci. Les rémunérations de ces agents sont imposables en Belgique (en application des conventions tendant à éviter la double imposition).

Un système avait été mis au point par le SPF Affaires étrangères, aux fins de calculer le précompte professionnel sur des montants imposables forfaitaires inférieurs aux rémunérations réellement perçues. Ce système tendait à assurer aux intéressés une rémunération nette et un niveau de vie équivalent à ceux de leurs collègues imposés dans l’Etat d’activité.

Les autorités administratives ont modifié cette manière de faire à partir du 1er janvier 2006, appliquant désormais de manière stricte la loi fiscale belge en matière de précompte professionnel.

Cette modification a eu pour effet de réduire le net perçu.

Les personnes concernées se sont dès lors groupées dans cette action et réclament des compléments de rémunération.

Par jugement du 17 octobre 2011, le Tribunal du travail de Bruxelles les a déboutés.

Appel a dès lors été interjeté.

Position des parties

Les appelants font essentiellement valoir que les parties ont eu en vue d’assurer une rémunération nette garantie et que, à supposer le système non conforme à la loi belge, c’est de la responsabilité de l’employeur. La modification de la convention initiale est intervenue au mépris des règles du contrat et il y a faute dans le chef de l’Etat. Par ailleurs, celui-ci a mal appliqué la loi fiscale belge et s’est ainsi rendu coupable d’une discrimination contraire à la fois aux traités de l’Union, à la Constitution (articles 10 et 11) et à la Convention européenne de sauvegarde.

Quant à l’Etat belge, il conteste qu’il y ait eu volonté de conclure des relations de travail en garantissant une rémunération nette et considère que les agents concernés ne peuvent exiger le montant du précompte professionnel, la loi fiscale devant être appliquée dans toute sa rigueur.

Décision de la cour

La cour constate que les documents au dossier renvoient à une rémunération brute et que, par ailleurs, la rémunération nette perçue a été calculée sans respecter la loi fiscale belge. Rappelant qu’en cas d’usage contraire ou dérogatoire au contrat de travail un nouveau contrat peut naître (et une pratique administrative étant un usage créateur de droits), la cour constate que la pratique de l’application du précompte forfaitaire a effectivement fait naître une nouvelle convention entre les agents et l’Etat. Elle n’est cependant pas valide. Étant contraire à une législation d’ordre public et à l’article 6 du Code civil, cette convention ne peut permettre aux agents d’en revendiquer l’application en justice.

Ils ne peuvent non plus conclure que l’Etat a commis une faute lorsqu’après avoir mal appliqué la loi fiscale il se conforme à celle-ci.

En l’absence de faute, il ne peut dès lors y avoir d’indemnisation.

La cour examine encore les arguments invoqués par les appelants au regard des textes internationaux et de la Constitution belge. Elle rappelle que les règles sont identiques dans chacun de ces cadres de référence, s’agissant d’examiner l’existence d’une discrimination.

L’interdiction de discrimination implique que l’on ne peut traiter de manière différente des personnes se trouvant dans des situations comparables, sauf justification objective et raisonnable.

En l’espèce, la cour déclare ne pas pouvoir suivre les arguments des parties appelantes, qui se réfèrent à une comparaison avec les collègues locaux. Pour la cour, il faut comparer avec l’ensemble des personnes soumises à la loi fiscale belge et, particulièrement, avec les agents contractuels du SPF Affaires étrangères prestant en Belgique, expatriés ou encore résidant dans un Etat avec lequel existe une convention en matière de double imposition.

Pour la cour, ce groupe permet une comparaison, s’agissant de personnes se trouvant dans des situations comparables. Enfin, à supposer qu’une comparaison doive être faite avec les collègues locaux, la cour conclut à l’absence de discrimination, l’Etat poursuivant comme but l’unification du régime fiscal de ses agents.

La cour confirme dès lors le jugement, qui a débouté les intéressés.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle qu’une novation peut intervenir, après la conclusion d’un contrat, ainsi si une pratique constante et régulière s’est écartée des conditions contractuelles initialement prévues.

L’arrêt reprend, par ailleurs, un principe important, étant qu’il ne peut être donné effet à une convention qui s’écarte d’une loi d’ordre public, en l’occurrence la loi fiscale et qu’aucun dommage ne peut résulter de l’abandon d’une pratique non valide.


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