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Détention et suspension de la pension de retraite

Commentaire de C. trav. Liège, section Namur, 10 septembre 2013, R.G. 2012/AN/135

Mis en ligne le mercredi 21 mai 2014


Cour du travail de Liège, section Namur, 10 septembre 2013, R.G. 2012/AN/135

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 septembre 2013, la Cour du travail de Liège, section Namur, rappelle qu’en cas de détention, les droits en matière de sécurité sociale sont limités voire suspendus, vu la prise en charge des détenus par l’administration pénitentiaire. La cour souligne le caractère particulièrement délicat de cette situation, considérant qu’il appartient au législateur et non au pouvoir judiciaire d’intervenir sur la question.

Les faits

Un détenu est admis, en cour de détention, au bénéfice de la pension de retraite et de la pension inconditionnelle d’indépendant. L’O.N.P. l’avise, cependant, de la suspension du paiement, eu égard à sa détention depuis plus d’un an. Il signale que le paiement interviendra à partir du premier jour du mois suivant la remise en liberté.

L’intéressé forme un recours devant le Tribunal du travail de Namur, qui statue par jugement du 7 juin 2012. Il constate que les détenus sont privés de la plupart des droits tirés de la sécurité sociale. C’est le SPF Justice qui assume pendant la détention la protection sociale des intéressés. Il s’interroge cependant sur l’équivalence des droits et, plus particulièrement, sur la question de la pension. Il conclut que la limitation du droit à celle-ci n’est pas un mécanisme de compensation, mais une sanction additionnelle à la peine privative de liberté. Il y a, pour le tribunal, violation du principe légal de normalisation figurant dans la loi du 12 janvier 2005 sur le statut juridique des détenus. Il considère également qu’il y a une discrimination non raisonnable, non pertinente et non proportionnelle eu égard au but poursuivi. Ecartant la disposition appliquée par l’O.N.P., il condamne celui-ci au paiement de la pension.

Appel est interjeté par l’Office.

La décision de la cour

La cour reprend les termes de l’arrêté royal n° 50. Celui-ci prévoit que les prestations peuvent être suspendues à l’égard des bénéficiaires détenus ou internés. Les conditions de cette suspension sont fixées dans l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, dont l’article 70 fixe les modalités applicables. Par ailleurs, la cour rappelle les termes de l’article 6 de la loi du 12 janvier 2005 sur le statut juridique des détenus, selon lequel le détenu n’est soumis à aucune limitation de ses droits politiques, civils, sociaux, économiques ou culturels autre que celles découlant de sa condamnation pénale ou de la mesure privative de liberté, de même que celles qui sont indissociables de cette privation de liberté ou encore celles déterminées par ou en vertu de la loi.

La cour se penche, dès lors, longuement sur la portée de la loi du 12 janvier 2005, dont elle fait une analyse particulièrement circonstanciée. Elle rappelle spécialement la problématique de la sécurité sociale des détenus. Ceux-ci en sont exclus, leurs soins étant entièrement pris en charge par l’administration pénitentiaire. Reprenant le rapport relatif à la proposition de loi antérieure à celle qui a abouti à la loi du 12 janvier 2005, la cour reprend la conclusion selon laquelle l’exécution d’une mesure privative de liberté – et surtout d’une condamnation à une peine privative de liberté – entraîne en soi de lourdes sanctions sociales, la sécurité sociale pour les détenus étant d’ailleurs d’une nature telle qu’elle contribue à leur désocialisation plutôt qu’à leur réinsertion, ceux-ci n’ayant notamment plus la possibilité de contribuer de façon constructive à leurs obligations habituelles vis-à-vis de leurs proches.

La cour souligne des conclusions spécifiques de ce rapport, étant que bon nombre des principes contenus dans la loi resteront lettre morte (totalement ou partiellement) tant que le système de la sécurité sociale pour les détenus sera maintenu en son état actuel. Une réforme fondamentale s’impose. Il faut à cet égard renvoyer d’ailleurs aux exigences des conventions en matière de droits de l’homme (le rapport cité par la cour renvoyant à l’arrêt GOLDER c/ UK (arrêt du 21 février 1975, C.E.D.H., série A, vol. 18). Des restrictions aux droits fondamentaux ne sont autorisées que lorsqu’elles sont prévues par ou en vertu de la loi (principe de légalité), qu’elles ont un objectif légitime, à savoir l’ordre, la sécurité ou les exigences de la procédure pénale (principe de légitimité) et qu’elles sont strictement nécessaires (principe de proportionnalité). La cour constate que le législateur n’ignorait pas, lors de l’adoption de la loi du 12 janvier 2005, que le détenu ne jouit pas de la sécurité sociale comme tout assuré social. Cette considération n’a cependant pas été rencontrée par lui. La cour souligne cependant à cet égard que deux propositions de loi ont été déposées récemment.

Elle se tourne dès lors vers l’examen d’une discrimination possible dans l’application de la réglementation en matière de pension. Elle examine la compatibilité du texte avec l’article 159 de la Constitution, s’agissant à la fois de l’article 31, 5° de l’arrêté royal n° 50 et de l’article 70 de l’arrêté royal portant règlement général.

La différence de traitement entre les pensionnés détenus et les autres est évidente et se pose la question de savoir si celle-ci est justifiée objectivement et raisonnablement. Si le droit à la pension est maintenu pendant les 12 premiers mois de détention, la cour constate qu’il s’agit d’une mesure donnant au pensionné le temps de s’adapter à son entrée dans le milieu carcéral. Pour la cour, l’extension de cette mesure aux autres pensionnés ne se justifie pas raisonnablement, le détenu étant pris en charge par l’Etat et la détention représentant un coût important pour la société. Elle fait le parallèle avec le droit aux allocations de chômage, le détenu étant privé d’allocations du fait de sa non-disponibilité sur le marché du travail.

Tout en relevant que l’idéal serait le maintien du droit à la pension assorti de la possibilité pour l’administration d’obtenir paiement de tout ou partie des frais liés à la détention, la cour souligne qu’une intervention des détenus dans les frais d’hébergement n’est pas la règle en Belgique et que les propositions de loi déposées ne vont pas dans ce sens. Ce n’est dès lors, en conséquence, pas au pouvoir judiciaire mais bien au législateur de fixer, de façon harmonisée, les règles.

Elle conclut que l’intéressé n’établit pas que les dispositions incriminées entraînent une différence de traitement non raisonnablement justifiée et non proportionnée. Elle accueille dès lors l’appel de l’O.N.P.

Intérêt de la décision

Cet arrêt statue sur une question que la cour qualifie elle-même de délicate, question posée à l’occasion de la suspension d’une pension de retraite. Faisant le parallèle avec le régime des allocations de chômage, la cour renvoie le problème au législateur, considérant qu’il ne relève pas des missions du pouvoir judiciaire.

La question posée du paiement des frais liés à la détention est particulièrement d’actualité et fait l’objet de débats dans les pays voisins.


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