Terralaboris asbl

Travailleurs indépendants : délai de prescription de la demande de cotisations de régularisation

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 21 janvier 2014, R.G. 2013/AN/112

Mis en ligne le lundi 19 mai 2014


Cour du travail de Liège, section Namur, 21 janvier 2014, R.G. 2013/AN/112

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 janvier 2014, la Cour du travail de Liège rappelle ce qu’il faut entendre par cotisations de régularisation au statut social des travailleurs indépendants ainsi que les règles de prescription spécifiques attachées à celles-ci.

Objet du litige

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Namur, par voie de comparution volontaire, aux fins de statuer sur la demande d’une caisse d’assurances sociales relative à des cotisations de régularisation. L’affaire est introduite dans le courant de l’année 2000 et concerne les années 1991 et 1992.

La décision du tribunal

La question à débattre en premier lieu est celle de la prescription. Divers courriers ont en effet été adressés à l’intéressé, qui avait, dans le cadre d’une cession de biens à l’association à laquelle il participait, retiré une plus-value taxable distinctement. La Caisse inclut ceux-ci dans les revenus à prendre en compte pour les cotisations. Un complément est dès lors exigé sur le plan des cotisations au statut social. Deux envois recommandés sont adressés en 1993 et 1994. En outre, en avril 1995, il reçoit une mise en demeure d’un huissier, à laquelle il réagit. Après cette date, il y a un échange de courriers entre parties, portant essentiellement sur le calcul des cotisations.

La décision du tribunal

Par jugement du 21 décembre 2007, le Tribunal du travail de Namur retient qu’il n’y a pas prescription, le délai de 5 ans ayant été valablement interrompu. Le tribunal prononce cependant la suspension des intérêts pour une longue période, dans laquelle il y a eu inertie dans le chef de la caisse.

La décision de la cour

Sur appel de l’intéressé, la cour est saisie de la question du délai de prescription, s’agissant non de cotisations principales ou provisoires, mais de cotisations de régularisation.

Elle rappelle l’article 16 de l’arrêté royal n° 38, qui prévoit d’une part le délai pour le recouvrement des cotisations (5 ans à compter du 1er janvier qui suit l’année pour laquelle elles sont dues), ainsi que les modes de prescription (modes repris aux articles 2244 et suivants du Code civil, lettre recommandée de l’organisme réclamant les cotisations ou encore lettre recommandée de l’I.N.A.S.T.I. mettant le travailleur indépendant en demeure de s’affilier).

La cour y ajoute le prescrit des articles 34 et 49 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, qui vise l’hypothèse où il y a contestation des revenus en matière fiscale. Dans cette hypothèse, les revenus professionnels pris en compte sont ceux admis par l’intéressé et la cotisation supplémentaire éventuelle est perçue dès la fin du litige avec l’administration fiscale.

En ce qui concerne le point de départ du délai de prescription, celui-ci se situe au 1er janvier de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l’activité a débuté pour ce qui est des cotisations de régularisation dues en cas de début d’activité. La cour rappelle dès lors que le délai de prescription n’est pas identique s’il s’agit des cotisations principales ou provisoires d’une part ou des cotisations de régularisation de l’autre. Renvoyant à un arrêt qu’elle a rendu le 13 février 2007 (C. trav. Liège, 13 février 2007, J.L.M.B., 2008, p. 471), elle précise qu’en cas de cotisations provisoires, il importe peu qu’il y ait ou non un recours fiscal sur la question des revenus de base. Le délai de prescription est de 5 ans. Il n’est pas requis que les revenus exacts de l’activité professionnelle soient fixés dans ce délai. Le complément qui sera éventuellement réclamé, dans une telle hypothèse de début d’activité ayant donné lieu à des cotisations provisoires, se prescrit quant à lui dans un délai de 5 ans. Les cotisations de régularisation font donc l’objet d’un délai de prescription de 8 ans, même si aucune cotisation provisoire n’a été réclamée ou payée. C’est l’enseignement d’un arrêt de la Cour de cassation du 6 mai 2002 (Cass., 6 mai 2002, n° S.000098.N).

Par contre, s’il y a un litige fiscal et que se pose la question de cotisations complémentaires (la cour précisant que ce complément est en réalité appelé « cotisations supplémentaires »), celles-ci ne sont exigibles qu’à l’issue de la procédure fiscale et se voient dès lors appliquer un délai de prescription de 5 ans, qui va prendre cours le 1er janvier qui suit l’année de débition (s’il s’agit de cotisations ordinaires) ou de 5 ans prenant cours le 1er janvier de la troisième année qui suit (soit dès lors un délai total de 8 ans) s’il s’agit de cotisations de régularisation à la suite d’un début d’activité.

En ce qui concerne les modes d’interruption de ce délai, la cour rappelle que l’article 2257 du Code civil dispose que la prescription ne court point à l’égard d’une créance qui dépend d’une condition. Le délai de prescription ne peut dès lors prendre cours qu’à la date où l’assujetti est informé du montant définitif des revenus professionnels qu’il a contestés. Il s’agira soit d’une notification du Directeur des contributions, soit d’une décision judiciaire statuant définitivement sur un recours fiscal introduit.

Enfin, se pose la question des actes interruptifs et la cour relève à cet égard qu’il ne faut pas confondre un commandement et une sommation d’huissier, la simple sommation d’avoir à exécuter une obligation faite par huissier, sans titre exécutoire, ne pouvant valablement interrompre la prescription.

La cour va dès lors appliquer ces règles au cas d’espèce. Elle rappelle encore que la Cour de cassation avait considéré, dans un arrêt du 25 mars 1991 (Cass., 25 mars 1991, n° 8935), qu’il fallait écarter des revenus à prendre en compte la plus-value d’une cession, mais qu’une loi du 26 juin 1992 était alors intervenue pour inclure cette plus-value et que ceci explique les décisions de la Caisse, qui avait finalement dû tenir compte de la nouvelle législation, applicable à partir du deuxième trimestre de l’année 1992.

Pour la cour, cependant, il ne s’agit pas de cotisations de régularisation applicables à un début d’activité, mais de cotisations ordinaires dont le montant a été rectifié. Elle reprend les conditions requises pour qu’existe un début d’activité, étant que l’entame d’une activité d’indépendant est exigée, alors que le travailleur n’en exerçait pas, ou qu’il a interrompu celle-ci au moins pendant un trimestre civil complet. Or, en l’espèce, elle constate que l’intéressé a poursuivi une activité sous la forme d’une société, alors que cette activité était initialement exercée en son nom propre. Il y a dès lors application du délai de prescription de 5 ans, qui doit prendre cours le 1er janvier qui suit l’année de la débition des cotisations.

Reste encore à examiner s’il y a eu interruption et, sur cette question, rappelant les modes d’interruption admis par la loi, la cour constate qu’elle doit rouvrir les débats sur la nature de la sommation de l’huissier : il n’est en effet pas établi que celle-ci a été adressée par voie recommandée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège rappelle les règles différentes applicables en matière de prescription des cotisations au statut social des travailleurs indépendants, dans l’hypothèse de cotisations principales ou provisoires, ou encore celle où il s’agit de cotisations de régularisation. Elle reprend également les règles relatives au point de départ du délai de prescription, particulièrement en cas d’existence d’un litige fiscal, ainsi que les modes admis d’interruption de la prescription. Enfin, l’arrêt reprend encore une règle importante, en ce qui concerne les sommations d’huissier d’avoir à exécuter une obligation, sommations qui sont inopérantes au regard des règles en matière d’interruption.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be