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Allocations aux personnes handicapées : notion de ménage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 novembre 2013, R.G. 2012/AB/334

Mis en ligne le vendredi 16 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 4 novembre 2013, R.G. n° 2012/AB/334

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 4 novembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle ce qu’il faut entendre par ménage au sens de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées et de son arrêté d’exécution du 6 juillet 1987, eu égard à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 novembre 2011.

Les faits

Une personne souffrant d’une pathologie psychiatrique lourde est régulièrement amenée à devoir être hébergée en institution. En dehors de ces périodes de prise en charge, elle vit à l’adresse de son domicile personnel. Elle est reprise, pour une partie de la période où elle réside à son domicile, comme formant un ménage avec un tiers. L’intéressée est ultérieurement mise sous administration provisoire et l’administratrice informe le SPF Sécurité sociale de la cohabitation. Un réexamen du dossier intervient alors et un important indu est réclamé. Il est de l’ordre de 20.000€.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles par l’administratrice provisoire.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 7 mars 2012, le tribunal confirme qu’il y a eu ménage au sens de l’article 7 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées. Le tribunal ordonne la réouverture des débats aux fins de déterminer le montant de l’allocation d’intégration à allouer eu égard à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 novembre 2011.

L’Etat belge fait appel du jugement en ce qu’il fait référence à cet arrêt.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle que la loi du 27 février 1987 a fixé trois catégories de bénéficiaires, étant (i) les personnes handicapées qui soit sont établies en ménage soit ont un ou plusieurs enfants à charge (personnes qui bénéficient de 200% du montant de base – catégorie C), (ii) les personnes qui vivent seules ou séjournent nuit et jour dans une institution de soins depuis trois mois et n’appartenaient pas à la catégorie précédente auparavant (personnes qui perçoivent 150% du montant de base – catégorie B) et (iii) celles qui n’appartiennent à aucune des deux catégories précédentes (qui perçoivent le montant de base à 100% - catégorie A).

La loi contient une définition de la notion de ménage, étant qu’elle vise toute cohabitation de deux personnes qui ne sont pas parentes ou alliées au 1er, 2e ou 3e degré. Il y a présomption de ménage lorsque deux personnes au moins (non parentes ou alliées au 1er, 2e ou 3e degré) ont leur résidence principale à la même adresse. Cette présomption peut être renversée, la preuve contraire pouvant être apportée par tous les moyens autorisés.

La cour précise que, dès lors que la résidence principale est fixée à la même adresse, il y a ménage sauf s’il est démontré que les personnes en cause ne règlent pas principalement en commun les questions ménagères. Il n’est par ailleurs pas exigé qu’elles forment un couple.

En ce qui concerne la condition de revenus, la cour rappelle l’incidence de la cohabitation sur les allocations en ce compris les immunisations et abattements. La personne handicapée qui vit en ménage bénéficie ainsi de l’allocation la plus élevée mais les revenus de la personne qui vit avec elle sont portés en déduction de l’allocation de remplacement de revenus et de l’allocation d’intégration (avec abattements). Il en résulte que les revenus du cohabitant de la personne handicapée peuvent impliquer une réduction voire une suppression des allocations revenant à celle-ci.

La cour rappelle que la Cour constitutionnelle a été interrogée sur les différences existant entre ce mécanisme et les règles en matière de revenu d’intégration sociale, où il est exigé que les partenaires forment un couple. A défaut, les revenus du cohabitant ne sont pas pris en considération pour fixer le montant du revenu d’intégration. Dans le cadre de la loi du 27 février 1987, par contre, les revenus du cohabitant viennent en déduction des allocations revenant à la personne handicapée (avec abattements). Aussi, la Cour constitutionnelle a-t-elle décidé dans son arrêt du 10 novembre 2011 (C. Const. 10 novembre 2011, arrêt n° 170/2011) qu’une disposition qui a pour effet de diminuer les allocations pour personnes handicapées en dessous du montant du revenu d’intégration sociale porte une atteinte disproportionnée aux droits de ces personnes. Elle ne tient par ailleurs pas compte de l’objectif du législateur qui est d’assurer en priorité la sécurité d’existence des personnes qui, en raison de leur handicap, sont considérablement limitées dans leur capacité de gain ou dans leur autonomie. L’article 7 de la loi du 27 février 1987 est dès lors contraire à la Constitution dans la mesure où il a pour effet de réduire le montant des allocations dues aux personnes handicapées en dessous du montant du revenu d’intégration sociale.

La cour précise que cette règle dégagée par la Cour constitutionnelle peut s’appliquer en limitant l’imputation des revenus du cohabitant mais en veillant à ce qu’un montant minimum d’allocations soit maintenu, à savoir un montant égal au revenu d’intégration.

La cour examine ensuite s’il y a eu ménage, au sens de la loi du 27 février 1987. Les deux parties ayant fixé leur résidence principale à la même adresse, il y a lieu à appliquer la présomption légale mais la preuve contraire peut être rapportée, à savoir que les personnes concernées ne réglaient pas principalement en commun les questions ménagères. Est déposée une attestation précisant que, pour le cohabitant, il s’agissait en réalité d’une adresse de référence et que ni les ressources ni les dépenses financières n’ont été partagées – hors paiement par l’intéressée au tiers d’une partie du loyer. Ce paiement constitue, pour la cour, un partage des charges de la vie commune. La cour souligne que le fait pour l’intéressée d’avoir été absente pendant de longues périodes ne fait pas obstacle à l’application de la présomption légale, au contraire, dans la mesure où elle constate que la participation dans le coût du loyer a été maintenue pendant ces périodes d’hospitalisation. Il y a dès lors ménage au sens légal et l’intéressée doit être placée en catégorie C. La cour limite cependant la période à retenir, eu égard aux hébergements successifs en hôpital ou en maison d’accueil.

Quant à la question de savoir si les deux personnes ont formé un couple, la cour constate qu’il n’y a aucune preuve de ce fait. Elle procède dès lors à un décompte des allocations dues, appliquant cependant l’enseignement de l’arrêt de la Cour constitutionnelle ci-dessus, étant que le montant cumulé des deux allocations ne peut être inférieur au montant du revenu d’intégration au taux cohabitant.

Une réouverture des débats est prononcée pour ce qui est de l’indu à récupérer.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle, en la matière la distinction à faire entre ménage et couple, ainsi que la modification des règles induites par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 novembre 2011, étant qu’un montant minimum d’allocation doit être maintenu, équivalent au revenu d’intégration.


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