Terralaboris asbl

Allocations de chômage et exercice d’une activité accessoire de gestion d’un portefeuille d’assurances : compatibilité ?

Commentaire de C. trav. Liège, 20 décembre 2013, R.G. 2012/AL/694

Mis en ligne le jeudi 15 mai 2014


Cour du travail de Liège, 20 décembre 2013, R.G. n° 2012/AL/694

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 décembre 2013, la Cour du travail de Liège reprend les règles relatives à l’exercice d’une activité accessoire, eu égard particulièrement au revenu généré, ainsi qu’aux charges prises en compte pour déterminer le revenu net.

Les faits

Un employé au sein d’une compagnie d’assurances exerce parallèlement, depuis 1995, une activité complémentaire (gestion d’un portefeuille d’assurances). Il est licencié en 2002 et, à l’issue de la période couverte par l’indemnité compensatoire de préavis, il sollicite le bénéfice des allocations de chômage et déclare l’existence de cette activité. Il précise qu’elle sera exercée en soirée après 18 heures. Il donne une estimation du revenu annuel net, étant de 5.000 €.

Il est entendu sur sa situation personnelle et est admis aux allocations après examen de son dossier. L’ONEm lui demande de produire annuellement son avertissement-extrait de rôle relatif aux revenus de l’année écoulée. L’intéressé s’exécute.

En 2010, intervient une décision administrative, par laquelle l’Office considère que l’activité en cause ne peut présenter le caractère d’une activité accessoire, ne satisfaisant pas aux conditions de l’article 48, § 3 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Sont visés, au vu de la nature de l’activité, d’importants frais de fonctionnement, considérés comme étant tout à fait anormaux dans le cadre d’une gestion, présentée comme passive, d’un portefeuille d’assurances.

Un recours est introduit par l’assuré social devant le Tribunal du travail de Liège, qui rejette la demande par jugement du 27 novembre 2012.

Le jugement dont appel

Le tribunal considère que la décision prise par l’ONEm ne peut avoir un effet rétroactif. Cependant, ayant passé au crible les relevés de frais déductibles sur le plan fiscal, il les considère comme étant surévalués, concluant à l’absence de caractère accessoire de l’activité.

L’intéressé a en effet fait venir en déduction de son revenu annuel brut une partie de ses frais personnels d’habitation, ainsi que ceux liés à son véhicule. Le tribunal relève qu’il y a dès lors d’importants avantages en nature pouvant être estimés à un montant allant de 8.000 € à 10.000 €. Ce constat est fait pour une seule année (2008), le caractère de minime importance de l’activité étant cependant admis pour d’autres exercices. Pour ceux-ci, toutefois, le tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 130, § 1er, 1° et § 2, alinéas 1er et 5 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, il y a lieu de procéder à un calcul du montant de l’allocation cumulable avec le produit de l’activité ainsi générée.

Position des parties devant la cour

Appel est interjeté par l’assuré social en ce qui concerne l’année 2008, pour laquelle il a été exclu des allocations, ainsi que pour les exercices pour lesquels le tribunal a dit qu’il y avait lieu à réduction des allocations. Il reproche également au premier juge d’avoir statué ultra petita et de s’être substitué rétroactivement à l’administration en aggravant sa situation.

Quant à l’ONEm, il demande que la décision administrative soit rétablie dans toutes ses dispositions et que l’intéressé soit condamné au remboursement des allocations de 2008. L’ONEm plaide que le tribunal a un pouvoir de substitution, lorsqu’il est saisi d’un recours contre une décision administrative et qu’il a même le devoir de statuer sur le droit aux allocations en raison du caractère d’ordre public de l’octroi de ces prestations. Pour l’ONEm, le juge doit ainsi se replacer à la date à laquelle la décision administrative a été prise, de telle sorte que la récupération des allocations indûment perçues ne peut être touchée par la prescription. L’ONEm considère par ailleurs, pour ce qui est des effets de la décision litigieuse pour l’avenir, que l’activité n’a pas le caractère accessoire exigé, n’étant pas une activité de minime importance. Pour l’Office, il faut apprécier celle-ci, non seulement par rapport aux revenus générés, mais également en fonction du nombre d’heures qui est y est consacré, de l’importance du travail effectué, ainsi que du degré de professionnalisme requis.

L’avis du Ministère public

Le Ministère public remet un avis sur les caractéristiques de l’activité de minime importance, condition exigée lorsqu’il s’agit d’une activité complémentaire dans le secteur de l’assurance. Il demande à être davantage informé quant aux éléments de fait et suggère à la cour d’ordonner une réouverture des débats sur cette question. Enfin, sur l’effet rétroactif de l’exclusion, il renvoie aux articles 17 et 18 de la Charte de l’assuré social, considérant que les assurés sociaux n’ont pas un droit acquis à l’erreur.

La décision de la cour

La cour va longuement reprendre les nombreuses questions juridiques posées par le litige qui lui est soumis, s’attachant en premier lieu à la légalité de la décision administrative elle-même. La cour relève que l’Office n’a pas pris de décision de récupération pour la période révolue à la date où la décision administrative a été prise. Le premier juge ne pouvait, dès lors, sans méconnaître l’article 48, § 3, alinéa 2 de l’arrêté royal, se substituer à l’administration pour conférer un caractère rétroactif à l’exclusion.

Elle en vient ensuite à l’examen de l’appel incident formé par l’ONEm, qui vise, par des conclusions déposées en mai 2013, le remboursement des allocations pour l’année 2008. Tout en rappelant que cette question n’a pas fait l’objet d’une décision prise en bonne et due forme (audition, convocation), elle conclut que, sur cette question, les droits de défense de l’assuré social n’ont pas été respectés. En outre, selon la cour, les articles 17 et 18 de la Charte ne peuvent être appliqués, la prescription étant acquise lorsque la demande de remboursement des allocations a été faite. Les allocations relatives au mois de décembre 2008, payées en janvier 2009, étaient en effet prescrites à partir du 1er avril 2012 et aucune interruption de la prescription n’est intervenue.

Ayant réglé ces questions, la cour considère cependant devoir ordonner une réouverture des débats sur le fondement de l’appel principal, ainsi que le demandait le Ministère public.

La question est en effet de savoir ce qu’il faut entendre par « activité de minime importance ». Elle considère d’ores et déjà que l’appréciation de celle-ci ne passe pas par le seul critère du revenu généré, une activité pouvant être importante sans nécessairement entraîner un revenu net lui-même important.

Elle va dès lors, en application des articles 877 et suivants du Code judiciaire, demander toute une série de documents, parmi lesquels l’agenda professionnel complet pour chacune des années en cause, une évaluation mensuelle du temps de travail consacré à l’activité visée, ainsi que le relevé conforme du relevé des frais professionnels ayant permis de déterminer le revenu annuel net imposable.

Intérêt de la décision

Cet arrêt revient sur le pouvoir de substitution du juge par rapport à une décision administrative, ainsi que sur les cas dans lesquels une décision refusant de reconnaître le caractère accessoire d’une activité peut sortir ses effets de manière rétroactive. La cour rappelle que l’effet rétroactif n’est prévu que dans trois cas, étant l’absence de déclaration, la déclaration incomplète ou l’absence de carte d’allocations valable accordant le droit aux allocations pour la période prenant cours à partir de la déclaration.

L’arrêt que rendra la cour dans le cadre de la réouverture des débats est également susceptible de présenter un intérêt évident, puisqu’elle sera amenée à statuer sur la notion d’activité de minime importance et à décider si, dans le cas d’espèce, pour un agent d’assurances, il y a lieu de tenir compte de critères spécifiques liés au professionnalisme de l’activité en cause.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be