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Intervention du Fonds de fermeture en cas de pension complémentaire ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 septembre 2013, R.G. 2009/AB/52.765

Mis en ligne le jeudi 15 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 4 septembre 2013, R.G. n° 2009/AB/52.765

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 4 septembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles statue sur la question du défaut de transposition de la Directive européenne en matière de protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, et ce après un premier arrêt avant dire droit du 28 novembre 2012.

Rétroactes

Le litige oppose d’anciens membres du personnel navigant de la SABENA aux curateurs à la faillite de cette société. Il porte sur une convention collective d’entreprise prévoyant un régime de pension complémentaire pour cette catégorie de personnel. Celui-ci avait été maintenu jusqu’à la fin de l’année 1997, malgré la dénonciation d’autres conventions collectives. La gestion financière et actuarielle de ce contentieux avait été confiée à une société d’assurances, qui en avait avisé le personnel avant la déclaration de la faillite de la société. N’ayant cependant jamais perçu la dotation permettant d’effectuer les paiements, l’assureur n’a pas effectué de décaissements.

Le Fonds de fermeture fut alors saisi sur la base de la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur. Il refusa son intervention, faisant valoir qu’il ne pouvait intervenir que pour les travailleurs licenciés dans les 12 ou 18 mois précédant la date légale de fermeture (article 4 de la loi du 30 juin 1967), hors exceptions – non rencontrées en l’espèce. Les curateurs suivirent la position du Fonds de fermeture.

Une procédure fut introduite contre le Fonds et l’Etat belge.

Les décisions de la cour

L’arrêt du 28 novembre 2012

Dans un premier arrêt du 28 novembre 2012 (précédemment commenté), la cour du travail aborda diverses questions, mais ordonna la réouverture des débats en ce qui concerne l’éventuelle responsabilité de l’Etat belge pour cause de transposition insuffisante de la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980. Elle conclut en effet à l’absence de défaut de transposition de l’article 6. Cependant, constatant que l’article 8 accordait aux Etats membres une marge d’appréciation en ce qui concerne les modalités de protection des intérêts des salariés (et anciens salariés) bénéficiant de leur pension, elle estima devoir réentendre les parties sur la responsabilité de l’Etat belge à cet égard.

L’arrêt du 4 septembre 2013

La cour reprend très longuement le système mis en place, concernant les conditions de garantie des engagements de pension (arrêté royal du 14 mai 1985 concernant l’application aux institutions privées de prévoyance de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d’assurances), constatant que l’obligation de couverture des engagements de prévoyance a ainsi été généralisée. La cour rappelle que l’objectif était de rendre obligatoire une capitalisation externe à l’employeur.

Une dérogation pour les engagements de pension souscrits en faveur du personnel déjà en service était cependant prévue, dispense justifiée par la volonté de donner un maximum de progressivité à l’obligation de garantie.

La cour constate dès lors que l’absence de provisions constituées en dehors de la SABENA pour protéger les droits du personnel déjà en service était conforme à cet arrêté royal. La cour repose la question figurant déjà dans son arrêt du 28 novembre 2012, étant de savoir si cette dérogation est, cependant, conforme au droit européen.

Elle reprend longuement les principes de la mise en cause de la responsabilité d’un Etat membre en cas de transposition incomplète d’une disposition dénuée d’effet direct. S’agissant d’hypothèses où les Etats ont une marge d’appréciation étendue, la cour relève qu’il faut, pour que la responsabilité de l’Etat membre soit retenue, qu’il y ait méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation. C’est la jurisprudence de l’arrêt ROBINS, déjà cité dans l’arrêt rendu par la cour du travail le 28 novembre 2012 (C.J.U.E., ROBINS, C-278/05 du 25 janvier 2007).

La cour relève ici l’indétermination de l’article 8 de la Directive, quant aux modalités de garantie et au niveau de la protection assurée.

Examinant les éléments communiqués par l’Etat belge à la Commission européenne à propos de la transposition de la Directive, elle constate que les arrêtés royaux ont été transmis et que la Commission a ainsi disposé à la fois des textes légaux, mais également des éléments figurant dans le rapport au Roi et dans l’avis du Conseil d’Etat. Or, celle-ci n’a pas évoqué la possibilité d’un manquement dans le chef de la Belgique. Au contraire, dans un rapport du 15 juin 1995, elle a considéré qu’il y avait transposition correcte de la Directive, de telle sorte que l’Etat belge a légitimement pu croire que l’exclusion de certains travailleurs, à savoir ceux engagés avant le 1er janvier 1986, était conforme au droit européen et que l’obligation de constituer les provisions requises au sein d’une entité juridique distincte pouvait se faire progressivement, conformément aux termes de l’arrêté royal du 14 mai 1985.

Tout en relevant qu’il est regrettable que le rapport de la Commission européenne n’ait pas explicité les obligations relatives aux travailleurs engagés avant le 1er janvier 1985, la cour retient que ceci n’est pas imputable à l’Etat belge, qui a correctement rempli son obligation d’information de la Commission.

La cour va dès lors conclure qu’eu égard particulièrement au manque de précision de la norme, ainsi que de l’usage qui a été fait de cette marge d’appréciation dans le chef de l’Etat, et encore de l’attitude de la Commission européenne, il n’y a pas de violation par l’Etat belge du droit communautaire, violation qui serait, selon l’arrêt, « suffisamment caractérisée ».

La cour confirme dès lors le jugement, concluant ainsi au rejet de l’ensemble des demandes à la fois contre le Fonds de fermeture et contre l’Etat belge.

Elle souligne encore que le personnel conserve sa créance à l’égard de la faillite. Par ailleurs, celle-ci est, de l’accord des curateurs, admise au passif chirographaire.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, rendu dans une espèce particulière, a le mérite de faire une analyse fouillée de la question de la transposition des Directives, ainsi que de la responsabilité des Etats membres en cas de transposition incomplète ou incorrecte. La cour souligne que l’appréciation par le juge de cette transposition doit tenir compte de l’obligation elle-même et que, en l’espèce, celle-ci ayant un contenu assez général quant aux modalités et à l’entrée en vigueur progressive des mesures de protection qui y sont contenues, l’Etat belge n’a pas engagé sa responsabilité.


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