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Participation à une grève spontanée et motif grave : rappel des règles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 novembre 2013, R.G. 2013/AB/818 et 2013/AB/825

Mis en ligne le jeudi 15 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 20 novembre 2013, R.G. n° 2013/AB/818 et 2013/AB/825

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 novembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, à l’occasion de la demande d’autorisation de licencier un travailleur protégé dans le cadre de la loi du 19 mars 1991, que la participation à une grève spontanée est autorisée, hors comportements illicites à cette occasion.

Les faits

Un mouvement de grève survient au sein d’une société active dans la collecte et le traitement de déchets. Un huissier de justice vient constater sur place un mouvement spontané, organisé par une partie des délégués syndicaux de l’entreprise. Ce mouvement fait suite au licenciement d’un des ouvriers. Il se confirme que l’organisation syndicale à laquelle ceux-ci appartiennent ne soutient pas le mouvement. La société prend alors la décision d’introduire une procédure d’autorisation de licencier pour motif grave, conformément à la loi du 19 mars 1991 portant un règlement de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d’entreprise et aux comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués.

Il lui est reproché des voies de fait à l’encontre de l’entreprise (camion et grue placés sur la bascule de pesage d’un site aux fins d’empêcher l’accès). Est pointé le fait que ce mouvement n’a été suivi que par deux autres membres du personnel, également travailleurs protégés, et que l’organisation syndicale n’a pas appuyé le mouvement.

Est également visé un comportement plus général, étant une accumulation de manquements par le travailleur à ses obligations essentielles, et la société renvoie à cet égard à de nombreux avertissements qui lui ont été adressés. La société pointe en outre des débordements comportementaux et verbaux. La procédure devant le premier juge se clôture par un jugement du 25 juillet 2013, dans lequel le tribunal du travail fait droit à la demande de l’employeur.

Appel est interjeté par l’intéressé.

La position de la cour

La cour reprend les termes de l’article 4, § 3 de la loi du 19 mars 1991, relatifs à la mention des motifs susceptibles de rendre la collaboration professionnelle définitivement impossible. La cour souligne que la disposition légale précise qu’en aucun cas, il ne peut s’agir de faits liés à l’exercice du mandat de délégué du personnel. Pour la cour, il y a une exception légale à l’affirmation de principe selon laquelle la notion de motif grave dans le cadre de cette loi est identique à la définition de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978.

La cour constate que la loi du 19 mars 1991 oblige le juge à vérifier que la faute grave alléguée n’est en rien liée à l’exercice du mandat de délégué du personnel et elle rappelle que la loi est d’ordre public.

Elle reprend ensuite deux principes dégagés en jurisprudence dans le cadre de cette règle, étant que l’exercice du mandat ne confère pas pour autant au travailleur protégé une impunité générale, l’action menée devant rester dans l’exercice normal du mandat d’une part et, d’autre part, s’agissant des piquets de grève, de blocage ou d’occupation d’entreprise, ceux-ci peuvent être illicites, s’ils s’accompagnent de faits punissables (violences physiques ou autres comportements constitutifs de délit ou portant atteinte à l’ordre public ; la cour renvoyant sur cette question à son arrêt du 5 novembre 2009, R.G. 2009/AB/52.381).

La cour va appliquer ces règles, examinant de manière approfondie les éléments de fait tels qu’ils ressortent des pièces du dossier, et notamment du constat d’huissier appelé par l’employeur.

Elle va encore rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 21 décembre 1981, Pas., 1982, I, p. 531), aucune disposition légale n’interdit aux travailleurs de participer à une grève non reconnue par une organisation représentative des travailleurs.

Elle va conclure, à partir des rétroactes, dûment confirmés par le dossier, que, dans l’esprit du délégué (ainsi que des deux autres qui ont participé au mouvement), l’action se justifiait et que le fait que le syndicat ne l’a pas soutenue n’a pas pour effet de lui retirer son caractère d’action collective.

Soulignant encore que le juge ne peut pas se prononcer sur l’opportunité d’une grève et qu’il ne peut s’immiscer dans un conflit collectif en s’arrogeant le droit de décréter illicite le recours à la grève selon ses propres critères, elle arrive à la conclusion que l’action collective était liée à l’exercice du mandat de délégué du personnel. Elle considère dès lors ne pas devoir retenir les faits invoqués.

Constatant en outre qu’il n’y a pas eu de violence ni de délit commis à l’occasion de celle-ci et que, par ailleurs, elle n’a pas été menée par pure volonté de nuire à l’employeur, l’action collective ne peut être retenue comme faute grave susceptible d’autoriser le licenciement.

En ce qui concerne l’ensemble des autres griefs, la cour estime ne pas devoir y avoir égard, dans la mesure où ils étaient connus de l’employeur depuis plus de 3 jours ouvrables.

Elle fait dès lors droit à l’appel et rejette la demande de l’employeur.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle la limitation existant dans la loi du 19 mars 1991, en ce qui concerne les motifs graves pouvant être invoqués dans ce cadre légal : il ne peut en aucun cas s’agir de faits liés à l’exercice du mandat de délégué du personnel.

La cour reprend également les principes en matière de grève, étant que, en application de la Charte sociale européenne révisée, le juge se trouve en présence d’un conflit d’intérêts et qu’il ne peut, dans le cadre de celui-ci, poser un jugement d’opportunité et s’immiscer dans l’examen du bien-fondé ou non du conflit.

La cour rappelle encore, et ceci est important, qu’aucune disposition légale n’interdit au travailleur de participer à une grève non reconnue par une organisation syndicale.


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