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Maladie professionnelle : nécessité d’une approche individualisée de l’exposition au risque professionnel

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 mars 2014, R.G. 2012/AB/692

Mis en ligne le lundi 12 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 19 mars 2014, R.G. n° 2012/AB/692

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que dans l’examen de l’exposition au risque professionnel, il faut toujours passer par une appréciation individualisée et que les critères proposés par le Fonds des maladies professionnelles ont une valeur d’avis.

Les faits

Un ouvrier, travaillant comme cariste-chargeur depuis de longues années, présente en 2004 des lombalgies et des sciatalgies. Il est, dans l’exercice de ses fonctions, affecté au chargement et déchargement de bobines de papier très pesantes et transporte avec son engin deux bobines à la fois.

Il connaît une période d’incapacité de travail et des soins sont nécessaires. Il doit, en fin de compte, subir une intervention chirurgicale pour hernie discale. Après quelques mois d’incapacité, il reprend le travail adapté et, ultérieurement retrouve son poste.

Une demande est introduite auprès du Fonds des maladies professionnelles dans le cadre de la liste, étant le code 1.605.03 (qui vise un syndrome mono ou polyradiculaire ou syndromes voisins, détaillé dans la liste).

L’enquête du Fonds des maladies professionnelles conclut à l’absence d’exposition au risque.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Nivelles, qui désigne un expert.

Dans son rapport, celui-ci conclut que l’intéressé est susceptible d’avoir été exposé à des vibrations mécaniques avec une moyenne quelque peu supérieure à 6 heures par jour. Il se réfère à la norme ISO et à la directive européenne 2002/44/CE. Il constate cependant que l’on se trouve en deçà de la norme du Fonds. L’exposition est considérée dès lors comme étant possible et comme ne pouvant être écartée, sans toutefois être formellement démontrée. L’expert fixe également les séquelles et, pour ce qui est de l’atteinte à la capacité économique, il l’évalue à 17%.

Le tribunal entérine le jugement, mais le Fonds interjette appel.

Position des parties devant la cour

C’est l’exposition au risque qui est contestée par le Fonds, qui considère qu’il s’agit d’une condition préalable à toute indemnisation. Vu les termes du rapport d’expertise, celle-ci n’est pas prouvée.

Quant à l’intimé, il demande la confirmation du jugement dans toutes ses dispositions.

Décision de la cour du travail

La cour reprend les principes repris à l’article 32 des lois coordonnées le 3 juin 1970 relatives à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles. Il faut qu’il y ait exposition au risque professionnel de la maladie pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle la victime appartient à une des catégories bénéficiaires de la loi. L’exposition au risque doit être inhérente à l’exercice de la profession et être nettement plus grande que celle subie par la population en général. Elle doit, selon l’état des connaissances médicales, être de nature à entraîner la maladie.

La cour reprend ensuite les règles de preuve, s’agissant d’une maladie sur la liste et retient que la preuve doit être rapportée avec un haut degré de vraisemblance médicale. Si celle-ci n’existe pas, c’est-à-dire s’il n’y a pas de degré de vraisemblance médicale suffisamment élevé en ce qui concerne la maladie et l’exposition au risque professionnel, il y a doute et le travailleur ne peut bénéficier des indemnités.

Des tentatives d’objectivation de la notion ont été faites, ainsi la norme ISO 2631. Le Fonds a également proposé des critères en ce sens. La cour renvoie cependant à une jurisprudence constante, selon laquelle ceux-ci n’ont qu’une valeur d’avis et ne lient pas les juridictions. En effet, il faut dans chaque cas tenir compte de la constitution de la victime, de la sensibilité de son organisme, de son état antérieur, ainsi que d’autres critères individualisés (la cour renvoyant ici à de nombreuses décisions de jurisprudence, dont C. trav. Mons, 15 novembre 2005, R.G. n° 19.080).

En l’occurrence, l’existence de la maladie est avérée, la seule contestation du Fonds portant sur les valeurs de référence et l’application des critères déterminés par son comité technique.

La cour constate que l’expert, n’étant pas certain de l’exposition au risque, a renvoyé cette question pour examen au tribunal. La juridiction a relevé quant à elle que la norme ISO était atteinte mais que l’on ne se trouvait pas dans la limite inférieure retenue par le FMP. La cour constate que le premier juge a réglé la question en renvoyant à la transposition de la directive 2002/44/CE concernant les transcriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques (vibrations). Cette transposition est intervenue par l’arrêté royal du 7 juillet 2005 relatif à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre les risques liés à des vibrations mécaniques sur le lieu de travail. Tout en constatant que celui-ci ne vise pas expressément l’indemnisation des dommages, le tribunal a retenu l’exposition, eu égard au dépassement du seuil qui y est repris.

Pour la cour, il n’y a pas lieu de se fonder sur ce texte, dans la mesure où la preuve de l’exposition au risque ne peut pas être rapportée de manière générale. Renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 25 février 2008, Chron. D.S., 2009, p. 465), elle reprend la règle de l’individualisation de l’appréciation de l’exposition. L’on ne peut se référer à des normes générales mais il faut procéder cas par cas. Les éléments à prendre en compte sont : la constitution du travailleur, la sensibilité de son organisme et ses prédispositions pathologiques éventuelles. C’est dès lors la conception individualisée de la notion qui doit prévaloir.

En l’espèce, la cour considère que suffisamment d’indices voire de commencements de preuve sont apportés sur la question. Elle renvoie cependant le dossier à l’expert, le chargeant de déterminer avec un haut degré de vraisemblance si l’intéressé a été exposé au risque de la maladie professionnelle. Il y a en effet lieu, selon l’arrêt, de recourir à une mesure d’expertise complémentaire. Il est souligné que l’expert doit avoir égard aux composantes individualisées, à savoir qu’il doit tenir compte de la constitution physique de l’intéressé, de l’apparition précoce des lésions dégénératives, ainsi que d’autres critères liés aux conditions d’exercice de son activité professionnelle.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle la nécessité d’apprécier individuellement l’exposition au risque professionnel, et ce en fonction d’éléments propres au travailleur (sa constitution, la sensibilité de son organisme et ses prédispositions pathologiques éventuelles) eu égard aux conditions d’exercice de la profession, susceptibles d’avoir entraîné la maladie professionnelle. Cet arrêt revient également sur la jurisprudence constante selon laquelle les critères du Fonds des maladies professionnelles, tout en permettant une objectivation des paramètres, n’ont qu’une valeur d’avis.


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