Terralaboris asbl

Décision de guérison sans séquelles et recevabilité : erreur invincible et délai pour agir

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 juin 2007, R.G. 48.980

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 25 juin 2007, R.G. 48.980

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 25 juin 2007, la Cour du travail de Bruxelles confrontée à une action en contestation d’une guérison sans séquelle introduite au-delà du délai de forclusion, admet l’action, en raison d’une erreur invincible (erreur quant à la nature du délai induite par l’institution elle-même). La particularité du litige tient également au fait que le dommage subi pouvait être lié à une maladie professionnelle.

Les faits

Monsieur B., chimiste de formation, a presté de mai 1999 à février 2001 pour une entreprise pharmaceutique (ouvrier chimiste), activités dans le cadre de laquelle il était en contact avec des acrylates.

Le 19 janvier 2000, il est victime d’un accident du travail, s’étant brulé la cuisse avec ces composants. Cet accident a été reconnu par l’entreprise d’assurances de son employeur, qui, par lettre du 23 mars 2000, le considéra guéri sans séquelle.

L’intéressé présente ultérieurement des éruptions cutanées, entrainant une incapacité temporaire. Vu l’allergie cutanée de contact, une demande d’indemnité de maladie professionnelle est introduite en novembre 2000.

Le contrat de travail prend fin en février 2001, du fait de la décision du médecin du travail, contre-indiquant le contact avec les acrylates.

L’examen technico-médical pratiqué par le Fonds des maladies professionnelles conduit ce dernier a reconnaitre, par décision du 23 avril 2002, l’existence d’une maladie professionnelle (affection cutanée provoquée dans le milieu professionnel par des substances autres que celles prises en considération sous d’autres positions). Il reconnaît une IPP de 5%. Suite à la demande du médecin de l’intéressé, l’écartement définitif de toute activité professionnelle qui l’exposerait au risque de dermatose due aux acrylates est proposé.

M. B. a également poursuivi des démarches vis-à-vis de l’entreprise d’assurances, qui le convoque, sous toute réserve, pour un examen médical le 11 mars 2003. Suite à un échange de correspondance entre son conseil et la compagnie, s’étendant du 17 au 21 mars 2003, l’entreprise d’assurances confirme l’existence d’une interruption du délai de prescription au 17 mars 2003. Elle notifie ensuite, par courrier du 2 avril 2003, une décision de guérison sans séquelle, indiquant une possibilité de contestation dans les trois ans de la lettre de notification.

Par citation du 3 septembre 2003, une action est introduite contre le FMP, sollicitant l’octroi d’un taux d’IPP supérieur aux 5% reconnus. Dans le cadre de cette procédure, le Fonds fait valoir que l’incapacité découle de l’accident du travail et non de la maladie professionnelle. L’intéressé introduit alors une procédure contre l’entreprise d’assurances (citation du 4 mai 2005), en réparation des séquelles de l’accident du 19 janvier 2000.

Le Tribunal fait droit à ses demandes et désigne un médecin expert. L’entreprise d’assurances relève appel de cette décision, faisant grief au premier Juge d’avoir admis la demande (AT) recevable. Le Fonds introduit un appel incident, en vue de faire constater qu’il ne doit pas payer d’indemnités.

La décision de la Cour

Sur la recevabilité de l’action en réparation de l’accident du travail, la Cour confirme le jugement. Quoique relevant que le délai applicable, visé par l’article 72, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971 (contestation d’une décision de guérison sans séquelle), est un délai de forclusion, qui n’est susceptible ni de suspension ni d’interruption, elle retient que l’erreur invincible de droit peut faire obstacle à la déchéance résultant de l’expiration d’un délai prescrit par la loi.

En l’espèce, elle retient l’existence d’une erreur de droit invincible qui a prolongé le délai de recours de la durée indiquée dans le courrier de l’entreprise d’assurances (3 ans à partir du 17 mars 2003).

La Cour s’appuie à cet égard sur les éléments suivants :

  • En vertu de l’article 3 de la Charte de l’assuré social, celui-ci peut interroger l’institution de sécurité sociale sur les faits et le droit applicable, même lorsqu’il est assisté par un avocat. En l’espèce, l’entreprise d’assurances a manqué à son obligation d’information, notamment en énonçant que le délai de recours avait été interrompu par sa lettre du 17 mars 2003 ;
  • Monsieur B. a agi comme toute personne raisonnable et prudente, s’informant auprès de personnes compétentes, étant d’une part son avocat et, d’autre part, l’institution elle-même (par l’intermédiaire de son avocat), soit une personne qualifiée. Pour la Cour, on ne peut exiger qu’il consulte encore une troisième autorité pour apprécier ses droits tandis qu’il n’était pas, vu la complexité de la question et sa non spécialisation, en mesure d’apprécier le caractère inexact des informations communiquées.

La Cour désigne en conséquence un médecin expert afin de trancher la controverse médicale (existence ou non de séquelles indemnisables).

Sur l’appel du FMP, la Cour estime que, si l’accident n’a pas provoqué la maladie, la cause de celle-ci est l’exposition au risque, qui a été reconnue par le Fonds (tant sur le plan technique que médical).

La mission d’expertise invite l’expert à se prononcer tout d’abord sur la question de savoir si tout lien de causalité peut être exclu entre la lésion – maladie de la peau provoquée par des allergies à certaines substances dont les acrylates – et l’événement soudain du 19 janvier 2000 (s’être brûlé la cuisse).

En cas de réponse négative (si le lien causal n’est pas exclu), il est chargé de la mission classique en matière d’accidents du travail. En cas de réponse positive (le lien causal est exclu), la mission porte sur les conséquences de la maladie professionnelle.

Intérêt de la décision

Les considérations réservées par l’arrêt à la question de la recevabilité de l’action en contestation d’une décision de guérison sans séquelle introduite après l’échéance du délai de 3 ans sont très intéressantes et susceptibles d’être appliquées à d’autres cas, ce type d’erreur étant malheureusement fréquent.

Il en va de même de la manière dont la Cour a tranché la question du concours entre la réparation accident du travail et celle de la maladie professionnelle (cette dernière intervenant à titre résiduel).


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