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Piquets de grève : l’annonce de piquets de grève ne suffit pas à justifier la prise d’une ordonnance unilatérale en référé

Commentaire de Prés. civ. Bruxelles, 17 octobre 2013, R.G. 13/968/C

Mis en ligne le mercredi 27 novembre 2013


Prés. civ. Bruxelles, 17 octobre 2013, R.G. 13/968/C

TERRA LABORIS ASBL

La direction de l’entreprise AMP (distribution presse) demandait et obtenait, le 5 juin 2013, une ordonnance sur requête unilatérale (rendue en langue néerlandaise) par le Président du tribunal de première instance de Bruxelles, en vue d’une action syndicale nationale le lendemain, et sur base de l’annonce de l’installation de piquets devant les sites de l’entreprise.

Le même tribunal réforme cette ordonnance sur tierce opposition. Les craintes exposées par l’entreprise, la propagande syndicale et l’annonce de piquets ne suffisent pas à justifier celle-ci.

Les faits

Le 6 juin 2013, la délégation CNE de l’entreprise AMP (distribution presse) organisait une action de grève avec piquets sur plusieurs sites de l’entreprise. Il s’agissait de participer à une action nationale appelée par les deux plus grandes organisations du pays en relation avec le dossier statut ouvrier / employé.

Sur la base de la propagande syndicale, jugée provocante, et particulièrement vu l’annonce qu’il y aurait des piquets de grève, la direction de l’entreprise avait requis le 5 juin, par requête unilatérale en référé, une ordonnance auprès du tribunal de première instance de Bruxelles, ce qu’elle a obtenu.

Malgré un dispositif relativement modéré, l’usage de cette ordonnance avait permis à la direction de l’entreprise, par intervention d’huissier et des forces de police, de dissoudre le piquet de grève sur son site d’Anderlecht. Sur cette base elle menaçait ensuite trois délégués et un permanent syndical de leur réclamer des dommages et intérêts considérables.

Ceux-ci ont fait tierce opposition contre l’ordonnance. Par jugement du 17 octobre, le Président du tribunal de première instance de Bruxelles réforme cette ordonnance.

La décision du tribunal

La tierce opposition est jugée recevable. Il voit un intérêt moral dans le chef des quatre demandeurs, présents et participant à l’action syndicale. L’ordonnance semble les avoir empêchés d’exercer leurs droits fondamentaux, et plus particulièrement leur droit à l’action collective.

Il est ensuite constaté que la tierce opposition n’est pas devenue sans objet, même si l’action collective concernée est terminée depuis longtemps. Sans que soit réformée l’ordonnance, les demandeurs n’ont aucune garantie que l’entreprise ne réclame pas le paiement d’astreintes ou de dommages.

Référence explicite est faite à l’article 6 § 4 de la Charte Sociale Européenne ainsi qu’au rapport du 16 septembre 2011 de l’ECOSOC estimant que l’usage en Belgique des ordonnances sur requête unilatérale réprimant les piquets de grève enfreint l’article 6 § 4 de la Charte Sociale Européenne. Ce n’est que lorsque les piquets de grève portent atteinte à la liberté des non-grévistes par intimidation ou violence qu’imposer des limites à ces piquets ne serait pas contraire au droit de grève.

Enfin, le Président du tribunal constate que la requête unilatérale de l’entreprise du 5 juin n’étaie pas de manière convaincante le risque de telles infractions, ni que de telles infractions se soient produites dans un passé récent.

L’installation de piquets de grève ne vise ni nécessairement ni automatiquement à bloquer l’entreprise. Ces piquets ont des fonctions parfaitement légitimes et même purement administratives, comme par exemple d’enregistrer qui participe ou non à une grève afin d’assurer le paiement des indemnités de grève.

Ainsi, l’annonce, par la délégation, que seront installés des piquets de grève ne suffit aucunement à démontrer le risque d’une atteinte aux droits et libertés et ne suffit pas à justifier une ordonnance sur requête unilatérale. Ce n’est rien d’autre que l’annonce de l’usage d’un moyen d’action légitime dans le cadre du droit de grève tel que garanti par la loi.

Intérêt de la décision

La décision fait référence directe à la Charte Sociale Européenne, mais aussi à la décision récente du Comité Européen des Droits Sociaux. Elle précise par ailleurs que le recours à une ordonnance sur requête unilatérale, quelle qu’en soit la portée, ne se justifie pas par le seul fait que seront installés des piquets de grève.


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