Terralaboris asbl

Représentant de commerce et faux rapports de visite : appréciation du motif grave

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 juillet 2013, R.G. 2011/AB/1.163

Mis en ligne le mercredi 13 novembre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 23 juillet 2013, R.G. n° 2011/AB/1.163

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 juillet 2013, la Cour du travail de Bruxelles reprend, dans une décision essentiellement motivée en fait, les éléments constitutifs du motif grave, dans le cas d’un représentant de commerce, dont la fidèle exécution du contrat de travail ne peut être vérifiée que par la remise à l’employeur de rapports de visite, réguliers et conformes à la réalité.

Les faits

Une employée est engagée comme représentant de commerce dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en août 2007. Elle est tenue contractuellement de visiter sa clientèle au moins une fois tous les trois mois. Elle sollicite un congé parental en janvier 2009. Elle est licenciée pour motif grave deux jours plus tard.

Lui sont reprochés des manquements relatifs aux rapports de visite qu’elle était tenue de rédiger contractuellement (rapports quotidiens reprenant les buts de l’entretien, les résultats de celui-ci et les tâches à faire pour le futur). Le courrier rappelle également des difficultés contractuelles dans les derniers mois des prestations, difficultés relatives à ces mêmes rapports (envoi à une fréquence très irrégulière, alors que l’obligation est journalière, absence de visite et de présence à des rendez-vous, etc.). Des faits très précis sont cités, et notamment un procès-verbal de roulage correspondant à la présence de l’intéressée aux alentours de son domicile alors qu’elle avait pour cette plage de temps indiqué des déplacements professionnels dans un tout autre endroit. Lui sont reprochés des négligences manifestes et des rapports « truqués », pour lesquels des avertissements ont été notifiés auparavant.

Après avoir tenté d’obtenir une indemnité compensatoire de préavis ainsi que d’autres dédommagements (indemnité d’éviction et indemnité de protection) à l’amiable, l’intéressée introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Celui-ci la déboute, par jugement du 25 octobre 2011 (hors une question de commissions et une autre relative aux documents sociaux).

Appel est interjeté devant la cour, l’intéressée reprenant l’ensemble des chefs de demande.

La décision de la cour

La cour statue en premier lieu sur le motif grave.

Elle examine de manière approfondie les relevés et les rapports de visite. Elle constate un manquement à l’obligation de transmission quotidienne, prévue au contrat, et même une absence de communication de ces rapports pour quatre journées du début du mois du licenciement (celui-ci étant intervenu en fin de mois). Pour la cour, il s’agit d’une faute grave, et ce eu égard à l’obligation contractuelle d’établir quotidiennement un rapport des visites effectuées et de les transmettre journellement à l’employeur. En outre, des rappels à l’ordre ont été adressés depuis le début de l’engagement sur cette question et l’intéressée s’était d’ailleurs engagée à s’amender. Enfin, cet engagement n’a pas été respecté et l’employeur a confirmé avoir adressé de nombreux rappels verbaux à ce sujet.

La cour constate également qu’il y a en tout cas un faux rapport de visite et que celui-ci entraîne la perte de confiance entre les parties. La cour souligne que la manière dont la fausseté a été découverte contribue à cette perte de confiance (PV vu une infraction de roulage à un endroit où l’intéressée n’était pas du tout censée se trouver, devant à ce moment être en visite dans les Ardennes et non se trouver dans un lieu proche de son domicile).

La cour ajoute encore une attitude de mépris total des règles de fonctionnement de la société, que l’intéressée ne pouvait ignorer, d’autant que le règlement du travail visait expressément au titre de manquements graves les fausses déclarations d’heures de travail ou de trajets, ainsi que les faux rapports.

Pour la cour, ces manquements s’ajoutent au premier retenu, étant le non-respect persistant de l’obligation de remettre quotidiennement les rapports de visite. L’ensemble de ces éléments constitue un motif grave de rupture.

La cour va dès lors rapidement statuer sur les autres postes, étant l’indemnité d’éviction (non due, vu l’article 101, alinéa 1er de la loi du 3 juillet 1978, qui vise la rupture du contrat de travail pour motif grave), l’indemnité de protection vu la demande de congé parental, une demande relative à la discrimination dans le cadre des relations de travail (l’article 33, § 1er de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, imposant à l’employeur de prouver l’absence de discrimination – situation qui n’a pas lieu d’être vu le motif grave), ainsi que des dommages et intérêts pour abus de droit.

La cour va cependant reconnaître le droit en principe aux arriérés de commissions, ainsi qu’aux commissions à échoir réclamés en application des articles 90 et 92 de la loi du 3 juillet 1978). Tout en relevant que le contrat ne détermine pas les bases de calcul de ces éventuelles commissions, elle constate que, pour l’année en cause, celles-ci ne sont cependant pas dues, le chiffre d’affaire exigé n’ayant pas été atteint.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle une nouvelle fois les spécificités des contrats de travail exécutés alors qu’une certaine autonomie (pouvant être importante) est donnée au travailleur dans l’exercice de ses fonctions, s’agissant en l’espèce d’un travailleur effectuant ses prestations de travail essentiellement en dehors du siège de l’entreprise. L’examen du lien de confiance est, dans ces hypothèses, très strict, d’autant que, en l’espèce, le seul moyen de contrôle de la réalité des prestations est prévu contractuellement, par l’envoi journalier de rapports de visite quotidiens détaillés. Vu la persistance du non-accomplissement de cette obligation contractuelle, ainsi que l’élément de tricherie apparu fortuitement, la cour retient l’existence d’un motif grave, étant la perte absolue du lien de confiance entre les parties.


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