Terralaboris asbl

Bénéfice d’indemnités AMI : notion d’activité non autorisée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 juin 2013, R.G. 2011/AB/813

Mis en ligne le jeudi 24 octobre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 20 juin 2013, R.G. n° 2011/AB/813

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 juin 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle ce qu’il faut entendre par activité au sens de l’article 100, § 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 : l’acception de cette notion est très large, puisqu’elle couvre toute activité à caractère productif par laquelle l’intéressé accroît son patrimoine.

Les faits

Bénéficiaire d’indemnités AMI depuis 1993, un assuré social est convoqué par l’INAMI en 2007, qui l’auditionne sur l’existence d’activités exercées par lui au sein de diverses sociétés. Il est convoqué chez le médecin conseil dans le même temps et une décision de fin d’incapacité lui est notifiée, mentionnant que le bénéfice de l’article 101 de la loi peut lui être appliqué s’il en fait la demande. L’examen du dossier se poursuit et une décision lui est notifiée le 8 juin 2007, l’excluant du droit aux indemnités à raison de 380 indemnités journalières. L’INAMI transmet alors le constat d’infraction à l’organisme assureur, qui notifie une décision de récupération et agit en remboursement des indemnités versées au cours des cinq dernières années.

Un recours est formé par l’intéressé contre les deux décisions, l’organisme assureur introduisant pour sa part une requête en récupération d’indu.

Une enquête est alors menée à l’étranger (France) à l’initiative de l’auditorat du travail et il s’avère que l’intéressé y bénéficie de revenus via diverses sociétés.

Par jugement du 14 juillet 2011, le Tribunal du travail de Bruxelles confirme l’ensemble des décisions administratives, condamnant l’intéressé à rembourser au titre d’indu un montant de l’ordre de 60.000€.

Appel est interjeté.

Position des parties en appel

L’appelant conteste avoir effectué un travail sans autorisation préalable, considérant d’une part qu’il y a lieu de se limiter aux cinq dernières années précédant la décision administrative et que d’autre part les autres activités ne peuvent être considérées comme indice d’une activité prohibée, des revenus immobiliers perçus n’étant pas des revenus professionnels (ne constituant qu’une simple gestion d’un patrimoine immobilier propre) et une activité de trésorier exercée par ailleurs étant bénévole et ne s’inscrivant pas dans la production de biens et services.

Il fait valoir sa bonne foi et conteste la hauteur des sanctions, ainsi que la récupération, dont il fait valoir qu’elle devrait être limitée à deux ans.

L’INAMI considère pour sa part que, dès le début de l’incapacité soit il y a vingt ans, l’intéressé a exercé des activités soit directement soit au travers de diverses sociétés ou ASBL dans lesquelles il était titulaire de mandats ou d’intérêts (chambres d’hôte, création, gestion et organisation de sociétés, activités au sein d’une société immobilière, …). Il estime que toute activité à caractère productif est un travail non autorisé au sens de l’article 100 de la loi, même s’il s’agit d’une activité bénévole ou d’une activité de services d’ami sans rémunération. Il considère que les infractions retenues sont établies et que, vu la longue période d’infractionnelle et la conscience que l’intéressé devait avoir de la situation (vu sa formation), il y a lieu de confirmer le jugement.

L’organisme assureur défend pour sa part le délai quinquennal de prescription.

Le ministère public conclut au non fondement de l’appel. Les infractions étant retenues, il ne peut y avoir unité d’intention, permettant de n’appliquer qu’une seule sanction, comme le demande l’appelant.

Positon de la cour du travail

La cour se prononce en premier lieu sur la reprise du travail. Elle rappelle que l’indemnité d’incapacité de travail couvre le dommage consistant en la perte ou en la réduction de la capacité d’acquérir par son travail des revenus pouvant contribuer aux besoins alimentaires. C’est la définition donnée constamment par la Cour de cassation (la cour reprenant divers arrêts dont Cass., 21 avril 2008, C.07.0223.F). Pour qu’il y ait incapacité de travail, il faut que le travailleur ait cessé toute activité et la cour rappelle que, s’il n’y a pas de définition légale de la notion d’activité au sens de cette disposition, il ne faut pas la limiter à un travail ou à une activité professionnelle. Reprenant l’arrêt du 23 avril 1990 de la Cour de cassation (Cass., 23 avril 1990, R.G. n° 8720-8854), elle rappelle que ce terme vise aussi toute activité à caractère productif, par laquelle l’assuré augmente son patrimoine.

Elle va dès lors examiner de manière très approfondie l’ensemble du dossier constitué. Elle constate que l’intéressé est indirectement administrateur d’une société, par l’intermédiaire d’une société luxembourgeoise, créée par des tiers dont les actions ont été dès la création converties en titres au porteur et détenues par l’intéressé et sa compagne de l’époque. Une autre société a été créée l’année de l’entrée de l’intéressé en incapacité de travail. Celle-ci avait été constituée en vue d’exploiter la location de chambres d’hôte dans un château en France et il ressort d’une déclaration faite par l’intéressé au SPF Finances qu’il y travaillait (téléphone, accueil). Il s’avère également qu’il est fondé de pouvoir de cette société (française), ce qui a été tu à l’INAMI. Une autre société a été créée en 2003 et l’intéressé y est statutairement désigné comme premier gérant. La cour poursuit son examen, dont il ressort qu’il s’agit de location de lieux pour événements et autres activités annexes.

Elle relève encore, avec le premier juge, que l’intéressé bénéficiait de notes de frais et que les autorités françaises ont permis de vérifier que des revenus d’une ampleur certaine avaient été dégagés par cette activité, revenus non déclarés en Belgique et non signalés à l’organisme assureur.

Pour la cour, il y a exercice d’une activité au travers de diverses sociétés qui s’enchevêtrent et l’enrichissement du patrimoine de l’intéressé est le fruit de celle-ci.

La cour relève encore qu’il importe peu qu’il ne s’agit pas d’un travail salarié, les diverses activités exercées s’intégrant dans les relations sociales et présentant un caractère productif. Il ne s’agit pas de la simple perception de loyers d’un bien immobilier.

Dans son examen des indices de reprise d’activité, la cour rejette la position de l’appelant selon laquelle il ne faudrait examiner que les cinq dernières années. Elle énonce expressément que cette conception est erronée, dans la mesure où, saisie d’une contestation concernant l’exercice d’une activité non autorisée avec cumul des indemnités d’invalidité, le juge peut prendre en considération l’ensemble des faits qui lui sont soumis, et ce sans devoir se limiter aux règles applicables en matière de prescription de la récupération. Elle ajoute, encore, que ni l’élément fiscal (absence d’imposition des revenus en Belgique), ni le caractère éventuellement bénévole d’une partie de l’activité au profit d’une ASBL ne dispensait l’intéressé de ses obligations à l’égard de la mutualité belge.

Il y a dès lors exercice d’une activité sans autorisation du médecin conseil et il faut considérer que l’intéressé a lui-même mis fin à la reconnaissance de l’incapacité. Une nouvelle indemnisation ne pourrait naître qu’à la suite d’une nouvelle déclaration de maladie et d’une nouvelle reconnaissance en incapacité de travail.

La cour répond encore sur l’application de l’article 101 de la loi coordonnée, constatant cependant que ceci ne peut annuler les effets de l’activité non autorisée.

Sur la prescription, elle retient les manœuvres frauduleuses, l’intéressé s’étant engagé en début d’incapacité à déclarer toute activité et ayant organisé des activités productives en vue de tromper l’organisme belge de sécurité sociale aux fins de pouvoir les cumuler avec des indemnités d’incapacité de travail.

Sur les sanctions, la cour rouvre cependant les débats, eu égard à la modification intervenue par la loi du 19 mai 2010, qui a inséré un article 168quinquies dans la loi coordonnée. Elle invite les parties à prendre position sur les incidences de cette modification de la réglementation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle la définition du terme « activité » au sens de l’article 100, § 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, étant qu’il faut donner à ce terme une acception large, visant non seulement une activité professionnelle ou un travail, mais également toute activité à caractère productif par laquelle l’assuré augmente son patrimoine.

L’arrêt est également une illustration de manœuvres frauduleuses entraînant l’application de la prescription quinquennale.


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