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Manquement par une institution de sécurité sociale à son obligation d’information au sens de la Charte de l’assuré social : conséquences

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 juin 2013, R.G. 2012/AB/152

Mis en ligne le mercredi 16 octobre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 3 juin 2013, R.G. n° 2012/AB/152

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 3 juin 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’exigence de proactivité de la part des institutions de sécurité sociale, lorsqu’elles sont saisies d’une demande.

Les faits

Une allocation de remplacement de revenus et une allocation d’intégration (catégorie 2) sont allouées à un assuré social. La maladie ayant un caractère évolutif, il est prévu de revoir sa situation médicale le 31 janvier 2008. A cette époque, un formulaire (3 et 4) lui est adressé et l’intéressé le renvoie après l’avoir complété. La réduction d’autonomie est fixée par le médecin-traitant à 15 points (l’évaluation précédente étant de 9). Une demande de revision est dès lors introduite par l’intéressé vu la progression significative du handicap.

Un examen médical a lieu et le dossier est complété. L’intéressé est convoqué mais signale qu’il ne peut se déplacer. Une attestation générale est ensuite délivrée, fixant la réduction d’autonomie à 10 points. Un recours est dès lors introduit devant le tribunal du travail. En cours de procédure, l’Etat prend deux décisions, dans le cadre de la revision médicale planifiée. La première confirme la réduction d’autonomie de 10 points et la seconde, rendue après le jugement dont appel, porte l’allocation d’intégration à la catégorie 3, retenant un chiffre de 13 points. Les conclusions quant à l’allocation de remplacement de revenus ne font pas l’objet d’une contestation, cette allocation ayant été maintenue.

La décision du tribunal

Par jugement du 20 mai 2009, le tribunal du travail a demandé à un expert son avis quant à la réduction d’autonomie et celle-ci a été fixée à 13 points, conclusion entérinée par le premier juge. Les parties ont accepté la prise de cours de l’allocation de catégorie 3 à partir du 1er avril 2009. Cette contestation n’a cependant pas vidé une demande introduite par l’intéressé, portant sur des dommages et intérêts couvrant la période du 1er octobre 2008 au 31 mars 2009.

Le tribunal a dès lors rendu un dernier jugement le 25 janvier 2012, condamnant l’Etat belge au paiement de ces dommages et intérêts pour la période concernée, étant le montant correspondant à la différence entre l’allocation de catégorie 3 et celle de catégorie 2 pour ladite période. Il a également prononcé la condamnation aux intérêts légaux et judiciaires.

La décision de la cour

La cour du travail est dès lors saisie uniquement de la demande de dommages et intérêts, étant de déterminer s’il y a faute de l’administration et si un dommage s’en est suivi.

La cour examine trois éléments susceptibles d’être fautifs dans le cadre de l’examen du dossier, étant d’abord leur retard dans la prise de décision, le manquement à l’obligation de réorientation ensuite et, enfin, le manquement aux obligations d’information et de conseil prévues par la Charte.

Sur la première question, la cour conclut que l’Etat belge a pris une décision dans un délai supérieur à 13 mois. Or, celui-ci ne peut dépasser 8 mois en vertu de l’article 13 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière des allocations aux personnes handicapées. La cour rappelle que, selon la doctrine (M. DUMONT et N. MALMENDIER, G.S.P. – Commentaires de la sécurité sociale, partie III, livre II, titre II, chapitre V, n° 2020), ce retard peut être fautif et qu’il peut donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts si un préjudice a été porté aux droits du bénéficiaire. La cour examine les éléments évoqués par l’Etat belge pour justifier le retard mis, dont le recours judiciaire introduit par l’intéressé, qui aurait soustrait son dossier au cours normal. Pour la cour, le retard est fautif.

Elle constate également que ni l’article 9, alinéa 3 de la Charte, ni l’article 8 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à l’obligation de réorientation n’ont été respectés. Tout en constatant que l’article 8 de l’arrêté royal n’exécute la Charte que de manière imparfaite (requérant que l’intéressé introduise lui-même une demande auprès de la Commune – alors que la Charte prévoit que c’est l’institution incompétente qui est tenue de transmettre la demande), la cour retient que ces deux dispositions n’ont pas été respectées. Il y a ici également faute dans le chef de l’Etat belge.

Enfin, sur les obligations contenues à l’article 3 de la Charte (obligation de communiquer l’information utile en cas de demande écrite), la cour rappelle que cette notion a été précisée par l’arrêté du 22 mai 2003 en son article 2 : il s’agit de comprendre tous les renseignements éclairant la situation personnelle de la personne handicapée et portant notamment sur les conditions d’ouverture du droit à une allocation.

Quant à la demande d’information, celle-ci doit être interprétée de manière très large et c’est d’ailleurs ce que fait la jurisprudence (la cour renvoyant à C. trav. Brux., 30 avril 2007, Chr. Dr. Soc., 2008, p. 566). Rappelant également d’autres obligations de l’institution de sécurité sociale dans le cadre de cette disposition, la cour insiste sur le rôle des organismes de sécurité sociale, rôle réactif et proactif. Dès lors qu’une information est reçue, ayant une influence sur le maintien ou l’étendue des droits aux prestations sociales, l’organisme doit réagir et informer l’assuré social sur les démarches à accomplir ou sur les obligations à respecter afin de sauvegarder ses droits.

Il en résulte qu’en l’espèce, il y a manquement à l’obligation d’information et de conseil.

La cour examine ensuite le dommage et le lien de causalité. Elle va confirmer le jugement, qui avait fait droit à la demande. Elle constate en effet que, vu les fautes commises par l’Etat belge, l’intéressé a été privé de la différence entre l’allocation en catégorie 3 et celle en catégorie 2, vu qu’il a continué à percevoir cette dernière pendant 6 mois.

La cour précise enfin les critères à retenir lorsque le lien de causalité est retenu avec un préjudice, et ce afin d’évaluer le dommage : il faut examiner quelle aurait été la situation de l’intéressé si la faute n’avait pas été commise. En l’espèce, cet examen est simple, puisqu’il eut résulté d’un examen normal du dossier que l’allocation en catégorie 3 devait être allouée dès le début.

La cour va encore examiner brièvement la question des dépens, considérant qu’en l’espèce, la demande n’est pas évaluable en argent et qu’il faut appliquer l’indemnité de procédure correspondant à ce type de demande.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles peut être considéré comme un « classique » dans le cadre de l’examen des obligations des organismes de sécurité sociale découlant de la Charte de l’assuré social. Le retard mis à l’instruction du dossier peut constituer une faute et, si celle-ci cause un préjudice à l’assuré social, ce préjudice doit être réparé. Il en va de même d’un manque de proactivité dans cette instruction.


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