Terralaboris asbl

Ecartement de la femme enceinte : qui doit payer ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 mai 2013, R.G. 2011/AB/511 et 2011/AB/556

Mis en ligne le lundi 29 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 6 mai 2013, R.G. n° 2011/AB/511 et 2011/AB/556

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 6 mai 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, pour les écartements intervenus à partir du 1er janvier 2010, l’indemnisation de l’écartement est à charge du secteur AMI. Pour ceux intervenus avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 janvier 2009 de relance économique, celui-ci reste cependant à charge du Fonds des maladies professionnelles (ou de l’employeur dans le secteur public).

Les faits

Une kinésithérapeute, engagée dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée par un CPAS, est écartée, dans le cadre de la protection de la maternité, par le conseiller en prévention-médecin du travail. Le motif est le risque infectieux ainsi que la manutention de charges durant le dernier trimestre de la grossesse. Aucune fonction n’étant, pour le CPAS, disponible, il y a écartement total et l’intéressée demande l’intervention du Fonds des maladies professionnelles. Celui-ci refuse, par décision du 6 mars 2009, considérant qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments médicaux justifiant l’écartement, et ce eu égard au bilan immunologique de l’intéressée. Le CPAS refuse dès lors de faire droit à la demande d’indemnisation introduite par l’intéressée.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Nivelles.

Celui-ci la déboute par jugement du 16 novembre 2010.

Décision de la cour du travail

Suite à l’appel interjeté par l’intéressée, la cour va réformer la décision du tribunal du travail, faisant droit à la demande d’indemnisation.

Les faits sont antérieurs à l’entrée en vigueur des articles 30 à 33 de la loi du 27 mars 2009 de relance économique, dispositions applicables à partir du 1er janvier 2010.

La cour rappelle que la question de l’écartement d’une travailleuse enceinte en cas de risque pour sa santé et/ou pour celle de l’enfant à naître est régi par l’article 41 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, disposition qui fait obligation à l’employeur d’évaluer, pour toute activité susceptible de présenter un risque spécifique, toute répercussion sur la santé de la mère et/ou de l’enfant. Des mesures doivent être prises, en vertu de l’article 42, afin d’éviter l’exposition au risque. Si un changement de poste n’est pas possible, il y a lieu de suspendre l’exécution du contrat de travail.

A l’époque, la travailleuse écartée préventivement durant sa grossesse doit être indemnisée dans le régime de l’assurance maladie-invalidité (article 114bis de la loi coordonnée le 14 juillet 1994). Une indemnisation plus élevée peut cependant être obtenue si la cause de l’écartement coïncide avec un risque de maladie professionnelle (article 37 des lois coordonnées le 3 juin 1970). Dans l’hypothèse où il s’agit d’un employeur public, comme en l’espèce un CPAS, il faut se reporter à la loi du 3 juillet 1967 (risque professionnel du secteur public), dont l’article 3 dispose que le membre du personnel menacé ou atteint par une maladie professionnelle et qui de ce fait cesse temporairement ses fonctions a droit à une indemnité. L’article 3bis vise le droit à l’indemnité due en cas d’incapacité de travail temporaire totale s’il y a menace de maladie professionnelle et cessation temporaire des fonctions, vu l’impossibilité de réaffectation à d’autres tâches. Une limite de temps vise la travailleuse enceinte, étant la limitation de l’incapacité temporaire totale à la période s’écoulant entre le début de la grossesse et le début des six semaines préalables à la date présumée de l’accouchement (congé prénatal).

La cour définit ensuite les conditions de l’écartement du travail, étant ce qu’il faut entendre par menace de contracter une maladie professionnelle : c’est d’une part le risque à prévenir durant la grossesse (risque de contracter une telle maladie) et d’autre part l’exposition plus importante par rapport au risque subi par la population en général de contracter celle-ci.

Le risque en l’espèce est celui de contracter la tuberculose, une hépatite virale ou une autre maladie infectieuse. Celui-ci touche, pour la cour, davantage le personnel s’occupant de prévention, de soins, d’assistance à domicile ainsi que d’autres activités dans des institutions de soins, où un risque accru d’infection existe. La cour rappelle encore que ces maladies sont expressément prévues, pour cette catégorie de personnel, comme maladie professionnelle par l’arrêté royal du 28 mars 1969 dressant la liste des maladies professionnelles (codes 1.104.01, 1.404.02 et 1.404.03).

La question se pose, dès lors, de savoir si une kinésithérapeute est, du fait de ses fonctions, exposée plus que la population en général, au risque de contracter l’un de ces maladies. La cour répond par l’affirmative, puisque la présomption d’exposition au risque vise expressément, en vertu de l’arrêté royal du 21 janvier 1993 (relatif à la réparation de dommages résultant des maladies professionnelles applicable aux administrations provinciales et locales) vise les membres du personnel qui ont effectué « tout travail » dans l’établissement (article 5, alinéa 2).

Il y a présomption réfragable et, celle-ci n’étant pas renversée en l’espèce, elle doit jouer. L’intéressée fait d’ailleurs valoir que le centre hospitalier dans lequel elle preste s’occupe notamment de patients en état neurovégétatif ou pauci-relationnel et que son travail entraîne nécessairement des contacts physiques.

Ayant fait droit à la demande en son principe, la cour détermine ensuite le débiteur de la prestation, l’intéressée ayant dirigé sa demande contre le CPAS. La cour rappelle les rôles respectifs du Fonds des maladies professionnelles et du CPAS en la matière : le Fonds a une compétence d’avis et c’est l’autorité qui occupe le travailleur concerné qui doit prendre la décision sur la demande d’indemnisation (article 13 de l’arrêté royal du 21 janvier 1993 ci-dessus).

Intérêt de la décision

Si cet arrêt statue sur la législation applicable avant la modification intervenue par la loi du 27 janvier 2009 en matière d’écartement dans le cadre de la protection de la maternité, il conserve toute son actualité, sur la question de l’exposition au risque professionnel de certaines catégories de personnes prestant dans des institutions de soins où un risque accru d’infection existe. En l’occurrence, s’agissant d’une kinésithérapeute, la cour rappelle que, a priori, cette catégorie de personnel est couverte, sauf pour l’employeur à renverser la présomption d’exposition au risque.

Rappelons que depuis l’entrée en vigueur (1er janvier 2010) de la loi du 27 mars 2009 de relance économique, l’indemnisation en cas d’écartement dans le cadre de la protection de la maternité a été modifiée, pour les cas d’écartement survenant à partir du 1er janvier 2010. L’article 6 des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970 a été modifié et le dispositif actuel prévoit la compétence du Fonds des maladies professionnelles pour procéder au suivi et à l’analyse des écartements des travailleuses enceintes lorsqu’un risque a été constaté en application de l’article 41 de la loi sur le travail et qu’une mesure a été prise par l’employeur dans le cadre de l’article 42, § 1er. Actuellement, l’indemnisation de tous les cas d’écartement du travail des travailleuses enceintes est prise en charge dans le cadre de l’assurance « maternité », que la cause de cette mesure soit ou non liée à un risque de maladie professionnelle. Les cas d’écartement du travail des travailleuses enceintes liés à un risque de maladie professionnelle qui ont pris cours avant le 1er janvier 2010 restent ainsi à charge du Fonds des maladies professionnelles.

L’on peut très utilement renvoyer sur les modalités d’application des nouvelles dispositions en matière d’écartement du travail à la circulaire OA n° 2012/239 du 28 juin 2012 de l’INAMI.


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