Terralaboris asbl

L’employeur peut-il abréger le préavis de démission donné par le travailleur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 mai 2013, R.G. 2011/AB/1.072

Mis en ligne le lundi 29 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 7 mai 2013, R.G. n° 2011/AB/1.072

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 7 mai 2013, la Cour du travail de Bruxelles constate que, en l’absence de disposition légale correspondant pour l’employeur à l’équivalent du contre-préavis de l’employé, le fait d’abréger celui-ci est un acte de rupture donnant droit à une indemnité compensatoire.

Les faits

Une employée, ayant presque sept ans d’ancienneté, remet sa démission à son employeur moyennant un délai de préavis de trois mois. Celle-ci intervient le 27 août 2010 et la période de préavis couvre les mois de septembre à novembre.

La société répond que, le préavis devant être fixé d’un commun accord, il doit tenir compte des intérêts respectifs des parties et que, pour ce qui est de l’employeur, son intérêt est de libérer l’employée fin octobre, soit un mois avant la fin du délai normal de préavis. L’intéressée propose, dans cette hypothèse, qu’un mois de rémunération soit payé, au titre d’indemnité de rupture.

En fin de compte, la société signifie à l’employée que la fin des relations contractuelles interviendra effectivement à la date du 31 octobre. Les prestations se sont dès lors poursuivies jusqu’à cette date et l’employée ne s’est plus présentée en novembre.

Elle introduit une procédure devant le Tribunal du travail demandant une indemnité de rupture (ou des dommages et intérêts) pour le mois de novembre 2010 ainsi qu’un reliquat de pécules de vacances.

Par jugement du 25 octobre 2011, le Tribunal du travail de Bruxelles fait droit à la demande uniquement sur la question des pécules.

Appel est interjeté par l’employée.

Décision de la cour du travail

La cour constate que, la société n’ayant pas interjeté appel sur les pécules de vacances, le jugement est définitif sur ce point, la cour n’étant pas saisie de ce poste même s’il figure dans la requête d’appel. La seule question débattue porte dès lors sur la détermination de l’auteur de la rupture, ainsi que sur la durée du préavis à respecter.

La cour rappelle en premier lieu le mécanisme du contre-préavis de l’employé repris à l’article 84 de la loi du 3 juillet 1978. Elle relève que cette faculté n’est pas prévue en faveur de l’employeur, dans l’hypothèse où c’est l’employé qui est l’auteur de la rupture et a ainsi remis un préavis de démission. Pour l’employeur, il n’est dès lors pas possible de réduire un tel préavis. S’il l’estime trop long, il peut à son tour rompre le contrat de travail et la cour renvoie à la doctrine (L. DEAR et S. GILSON, « Le droit de démission, quelques questions controversées », in Quelques propos sur la rupture du contrat de travail, Hommage à P. BLONDIAU, Louvain-la-Neuve, Anthémis, 2008, p.130 et 131).

Après avoir en outre rappelé les conditions de forme requises par l’article 37 de la loi pour le préavis de licenciement, forme non respectée en l’espèce, la cour constate que l’employée peut prendre acte du fait que l’employeur a mis fin au contrat de travail avec effet immédiat. Cette possibilité exige cependant qu’elle réagisse dans un délai raisonnable, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (et la cour du travail rappelle notamment Cass., 28 janvier 2008, S.07.0097.N).

En l’espèce, ces principes trouvent à s’appliquer, puisque la société a signifié à l’intéressée, pendant qu’elle exécutait son préavis de démission, qu’elle mettait fin au contrat de travail à une date anticipée, étant le 31 octobre 2010. Pour la cour du travail il s’agit d’un préavis irrégulier qui ne répond pas aux conditions de forme fixées par la loi. Suite à cette décision l’intéressée a cessé de travailler. La cour considère raisonnable le délai de seize jours intervenu entre la notification par la société de la rupture à la date du 31 octobre et la cessation des prestations à cette date.

C’est donc l’employeur qui est l’auteur de la rupture et la cour relève qu’il s’agit, vu l’acte de rupture unilatéral posé, d’un licenciement. La société est dès lors redevable d’une indemnité compensatoire de préavis.

Se pose à ce stade du raisonnement la question de la durée de cette indemnité et la cour relève que, le contrat devant normalement prendre fin le 30 novembre vu le préavis de démission, l’indemnité est ainsi d’un mois.

Elle répond encore à un argument de la société, selon lequel le préavis décidé par l’employée serait excessif, en relevant que cet argument a perdu tout intérêt, dans la mesure où c’est l’employeur lui-même qui a mis fin au contrat de travail. Surabondamment, elle examine la durée de ce préavis de démission et la trouve raisonnable notamment eu égard au critère d’ancienneté.

La société fait encore valoir des éléments relatifs à la rémunération de base, notamment qu’une partie de celle-ci consisterait en une « allowance », correspondant à un avantage pour cadre expatrié. La cour balaie cet argument, d’une part au motif qu’il n’est pas établi des éléments du dossier que cette indemnité constituerait une dépense propre à l’employeur et que, par ailleurs, au moment de l’engagement, l’intéressée était domiciliée en Belgique et qu’il ne peut être sérieusement soutenu qu’il s’agit d’un cadre expatrié.

Constatant encore que, sur les fiches de paie, cette indemnité était en réalité soustraite de la rémunération de base servant au calcul des cotisations sociales et du précompte, la cour l’examine sous l’angle de remboursement de frais forfaitaires (frais propres à l’employeur) et constate que rien n’est établi à cet égard. Elle est dès lors ajoutée à la rémunération admise par l’employeur.

Intérêt de la décision

Dans ce bref arrêt, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’il n’existe pas, pour l’employeur, de possibilité équivalente au « contre-préavis » prévu à l’article 84 de la loi du 3 juillet 1978, lorsque l’on est en présence d’un préavis de démission.

En l’espèce, la société le considérait trop long. Elle n’a réagi autrement qu’en posant, de son côté, un acte de rupture unilatéral du contrat à une date anticipée, ne correspondant pas, pour la cour, aux conditions exigées par l’article 37 de la loi. Il en découle qu’un préavis est dû et est en l’occurrence limité à la période correspondant à la fin normale du contrat, telle que découlant du préavis de démission.

L’affaire est également intéressante sur la question des indemnités non soumises pendant l’exécution du contrat à des retenues sociales et fiscales. Dès lors qu’il n’est pas établi qu’il s’agit d’un remboursement de frais propres à l’employeur, ces indemnités ont un caractère rémunératoire et doivent être prises en compte dans l’assiette de la rémunération de base servant au calcul de l’indemnité de préavis.


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