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Accident du travail et incapacité permanente : appréciation souveraine par les juridictions du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 avril 2013, R.G. 2008/AB/51.640

Mis en ligne le lundi 22 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 22 avril 2013, R.G. n° 2008/AB/51.640

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 22 avril 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, en matière d’accident du travail, la fixation du taux d’incapacité ne relève nullement de la compétence du médecin expert mais de l’appréciation souveraine du juge. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation.

Les faits

Une infirmière se blesse lors de l’exercice de ses fonctions, étant piquée avec une aiguille infectée. Les lésions subies sont une hépatite aiguë C, une maladie auto-immune avec atteintes musculaire et articulaire et des phénomènes anxio-dépressifs.

L’accident date du 1er novembre 2000. Il a engendré une longue incapacité temporaire et a été suivi de tentative de reprise du travail à mi-temps. Les traitements médicaux ont été importants, l’intéressée devant en outre subir des séances de kinésithérapie de manière intensive.

Elle introduit un recours devant le tribunal du travail en vue de faire fixer les séquelles de l’accident.

Un jugement est prononcé le 30 juin 2008 et appel est interjeté par elle.

Les arrêts de la cour du travail

La cour est amenée à rendre plusieurs arrêts.

Arrêt du 23 mars 2009

Cet arrêt admet l’accident du travail et constate certaines séquelles indiscutablement acquises à l’époque. Il désigne un expert avec la mission de déterminer les lésions physiologiques et/ou psychiques de l’accident ainsi que de proposer le taux d’incapacité permanente.

Arrêt du 19 décembre 2011

Suite au dépôt du rapport d’expertise le 1er février 2011, la cour fixe à ce moment et à titre provisoire le taux d’incapacité permanente partielle à 33%.

Elle ordonne la poursuite de l’instruction de l’affaire, eu égard aux conclusions du rapport d’expertise.

Arrêt du 22 avril 2013

Ce dernier arrêt, par lequel la cour va vider sa saisine, constate que les répercussions économiques de l’accident sur le marché général du travail n’ont pas été correctement évaluées par l’expert. La cour s’interroge dès lors sur la capacité résiduaire de travail et constate que, si celle-ci n’empêche pas d’effectuer tout travail, elle ne permet cependant pas une embauche dans une quelconque fonction, même dans un travail léger. Elle précise, en conséquence, que, même s’il existe une possibilité limitée d’exercer une activité, celle-ci est purement théorique et elle ne doit pas être retenue dans l’évaluation des séquelles. Elle reprend les symptômes, étant une fatigue chronique notamment, qui rend tout à fait illusoire la possibilité de retrouver un emploi quelconque sur le marché du travail, et ce vu les contraintes physiques et psychologiques causées par les séquelles de l’accident. Elle aboutit ainsi à la conclusion que les chances d’embauche sont nulles.

Elle va dès lors décider de s’écarter de l’évaluation de l’expert qui avait retenu une perte de capacité partielle, et en citant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 22 mai 1959, Pas., 1959, I, 961), elle se fonde sur le pouvoir d’appréciation souveraine du juge pour décider du taux à retenir. La fixation du taux n’est en effet pas de la compétence de l’expert, celui-ci n’ayant pour mission que de faire des constatations et de donner un avis.

La cour va dès lors considérer que l’incapacité permanente doit être fixée à 100%, vu l’inexistence de chances d’embauche sérieuses.

Une seconde contestation existant en ce qui concerne la date de consolidation, la cour est amenée à rappeler la notion : c’est le moment où l’existence et le degré d’incapacité prennent un caractère de permanence, c’est-à-dire celui où il est permis de déterminer à quel taux s’élève l’incapacité dont, selon les prévisions que permet l’avancement des sciences médicales, la victime souffrira toute sa vie. Cette notion fait dès lors référence à la stabilisation des lésions, étant la date à partir de laquelle les séquelles n’évolueront plus ou si faiblement que, selon toute vraisemblance, il n’y a plus d’amélioration ou de détérioration significative à escompter sur le plan de la capacité résiduelle concurrentielle de la victime sur le marché général du travail.

La cour va dès lors réexaminer l’évolution de la situation de l’intéressée dans les années qui ont suivi l’accident et, se fondant sur divers rapports médicaux, écarte ici encore les conclusions de l’expert judiciaire, qui avait fixé la date de consolidation en mai 2003. Pour la cour, des symptômes ont évolué postérieurement à cette date et ce n’est qu’après plusieurs traitements médicamenteux dans les deux années qui ont suivi que l’on pouvait raisonnablement considérer que la consolidation des lésions était acquise.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, qui est la troisième des décisions rendues par la cour dans ce dossier, permet de rappeler que l’évaluation de l’expert judiciaire en ce qui concerne les éléments de la réparation de l’accident du travail ne lie nullement les juridictions. Comme la cour du travail le rappelle à très juste titre, telle est la solution dégagée par la Cour de cassation, et ce avant même la loi du 10 avril 1971. Un mérite supplémentaire de l’arrêt est de rappeler que l’évaluation de l’incapacité permanente ne doit pas se faire de manière abstraite, mais qu’il y a lieu de prendre en compte les chances d’embauche. En l’occurrence, la cour retient l’inexistence de telles chances, et ce pour n’importe quelle activité, fut-ce même pour un travail léger.

L’on peut encore rappeler que sur la même problématique, la Cour du travail de Bruxelles (autrement composée) a également porté à 100% le taux d’incapacité permanente d’une victime d’un accident du travail, pour laquelle un taux de 20% seulement avait été admis par l’expert judiciaire, la cour insistant sur le fait qu’il y a lieu d’apprécier la capacité résiduelle de la victime sur le marché du travail concrètement, en ayant égard aux facteurs socio-économiques propres à la victime. Reprenant la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 9 mai 1986, R.G. n° 12.991), la Cour du travail de Bruxelles avait dans cet arrêt rappelé également que le marché de l’emploi à considérer ne doit pas être une utopie et que l’incapacité permanente est totale lorsque l’atteinte définitive portée au potentiel économique de la victime est telle que celle-ci se trouve privée de la possibilité de se procurer encore normalement des revenus réguliers par le travail.


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