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Interruption de carrière et maintien d’une inscription au statut social des travailleurs indépendants : interdiction même si l’activité n’est pas exercée

Commentaire de C. trav. Mons, 23 avril 2013, R.G. 2011/AM/441 et 2011/AM/445

Mis en ligne le lundi 15 juillet 2013


Cour du travail de Mons, 23 avril 2013, R.G. n° 2011/AM/441 et 2011/AM/445

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 avril 2013, la Cour du travail de Mons rappelle que les allocations d’interruption de carrière ne peuvent être accordées à une personne qui maintient dans le même temps son inscription au statut social des travailleurs indépendants, et ce même si elle n’exerce plus aucune activité à ce titre.

Les faits

Un travailleur indépendant (garagiste) exerce son activité depuis 1979.

Il devient salarié en 1999. Dans le secteur des indépendants, il cesse d’être redevable de cotisations à ce moment-là, ses revenus professionnels étant considérés comme n’atteignant pas le seuil requis par l’article 12, § 2 de l’arrêté royal n° 38. Il effectue diverses démarches confirmant un arrêt d’activité (résiliation des assurances, cession de l’immeuble, …). Il devient enseignant à temps plein dans l’enseignement libre (technique) l’année suivante et cesse d’être inscrit comme travailleur indépendant à titre principal. Le chiffre d’affaires produit les deux années suivantes (2001 et 2002) baissent considérablement pour ne plus atteindre que 2.500€ pour la deuxième année en cause. Il va bénéficier de la franchise TVA, vu cet état de choses et remplira, chaque année jusqu’en 2008, des déclarations de TVA avec la mention « néant ». Il sollicite la même année une interruption de carrière mi-temps, et ce pour cinq ans, étant la période le séparant de la mise à la pension. Il déclare ne pas exercer d’activité indépendante et perçoit les allocations d’interruption de carrière de l’ordre de 175€ par mois.

L’ONEm est avisé, ultérieurement, de son inscription auprès d’une caisse sociale pour travailleurs indépendants. L’intéressé explique qu’il ne paye plus aucune cotisation depuis 1999, n’a plus de revenus déclarés depuis cette date et que, les questions posées l’étant de manière ambiguë dans le formulaire C161, il a été induit en erreur. Il fait radier à ce moment son inscription au guichet d’entreprise UCM. Son assujettissement fait l’objet d’une radiation aussitôt, étant en septembre 2009.

L’ONEm va dès lors revoir les conditions d’octroi des allocations d’interruption de carrière tenant compte de l’activité indépendante reflétée par l’inscription auprès de l’INASTI. Le montant d’un éventuel indu n’est pas précisé.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Tournai. Le motif essentiel invoqué par l’intéressé est qu’il a gardé son inscription pendant toutes ces années au motif qu’il avait engagé un travailleur en 1983, période pendant laquelle il était toujours actif et que cet ouvrier est tombé en incapacité de travail en juillet 1992. Cette incapacité a duré pendant toutes ces années. Cependant, il confirme ne pas avoir exercé effectivement d’activité, raison pour laquelle il ne l’a pas mentionné sur son formulaire.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Tournai statue par jugement du 21 octobre 2011. Se pose essentiellement pour le tribunal un problème de procédure, concernant la recevabilité de la requête, le premier juge considérant que la demande aurait dû être introduite par citation.

Appel est interjeté.

Position des parties en appel

Sur le plan procédural, l’intéressé fait valoir que, si sa requête introductive ne contient pas toutes les mentions d’une requête formelle, il ne s’agit pas d’une requête unilatérale au sens de l’article 1026 du Code judiciaire mais d’une requête déformalisée telle que prévu par l’article 704, § 2. Il fait valoir qu’elle a atteint son objectif et n’a causé aucun préjudice à l’ONEm, qui a pu valablement se défendre. Sur le fond du litige il confirme sa position antérieure, étant l’absence d’exercice de toute activité indépendante depuis 1999, les démarches effectuées ultérieurement ayant abouti à la radiation de son numéro de TVA en octobre 2001 à l’absence de cotisations sociales pour travailleur indépendant à partir de 2002 et à l’admission de pertes pendant plusieurs années à la rubrique correspondante des avertissements-extraits de rôle.

Quant à l’ONEm, il considère qu’est, au sens de l’arrêté royal du 12 août 1991 relatif à l’octroi d’allocations d’interruption aux membres du personnel de l’enseignement et des centres psycho-médico-sociaux, considéré comme activité indépendante celle qui oblige la personne concernée à s’inscrire auprès de l’INASTI. Il y a eu inscription à titre accessoire depuis 2000, la preuve de la cessation étant intervenue en septembre 2009. Dès lors, les allocations d’interruption ne peuvent être cumulées, selon la réglementation (article 6, § 1er, 3e alinéa) dans l’hypothèse d’une interruption complète de carrière que pendant une période maximale d’un an.

Décision de la cour du travail

La cour se penche très longuement sur la question de la recevabilité de la requête et conclut que la méconnaissance de l’article 700 du Code judiciaire doit être soulevée par la partie défenderesse in limine litis (c’est-à-dire selon la cour dans le premier acte de procédure) et que, pour être nulle, elle doit avoir nui aux intérêts de la partie défenderesse en portant une atteinte réelle à l’exercice de ses droits de défense. Tel n’est pas le cas en l’espèce et il y a lieu d’aborder le fond du litige.

Elle reprend, dès lors, les conditions de l’arrêté royal du 12 août 1991. Selon celui-ci, en cas d’interruption complète, des allocations d’interruption peuvent être cumulées avec l’exercice d’une activité pendant une période maximale d’un an (§1er, alinéa 3). Est considérée comme activité indépendante (§2) celle qui selon la réglementation en vigueur oblige la personne concernée à s’inscrire auprès de l’INASTI, ce qui avait été souligné par l’ONEm.

La cour reprend l’avis de l’Avocat général, selon qui il n’est pas possible de dissocier l’exercice réel et effectif d’une activité indépendante de l’obligation d’affiliation à une caisse d’assurances sociales, puisque l’article 3 de l’arrêté royal n° 38 dispose que le travailleur indépendant est celui qui exerce une activité en Belgique. Par contre, une personne qui est disposée à travailler mais qui ne travaille pas encore ne doit pas être assujettie (et la cour renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 21 juin 2005, R.G. n° 7690-04).

Elle renvoie encore à l’article 6 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, qui précise que l’approbation de l’enregistrement par l’INASTI de l’adhésion à une caisse d’assurances sociales vaut affiliation et, si l’affiliation ne peut être retenue, elle est annulée par l’Institut. La cessation de toute activée de travailleur indépendant doit, pour être considérée comme telle, être communiquée par l’assuré à sa caisse dans les quinze jours, et ce avec une pièce officielle justificative (article 8 du même arrêté). C’est à l’INASTI (ou la CNASTI) de décider s’il y a ou non exercice de l’activité indépendante. Il n’appartient qu’à ces organismes – sous le contrôle des juridictions – de décider quel travailleur exerce ou non une telle activité, entraînant son inscription à ce titre. La cessation datant du 25 août 2009, cette date s’impose à la cour et les autres éléments du dossier (ensemble de formalités faites bien avant) sont indifférents. La cour relève également que le maintien de l’inscription au guichet d’entreprise jusqu’en 2009 implique que ne peut être retenue une cessation d’activités avant la date litigieuse.

En conséquence, et appliquant l’arrêté royal du 2 janvier 1991 relatif à l’octroi d’allocations d’interruption, la cour rappelle que le droit aux allocations se perd à partir du jour où le travailleur qui bénéficie de l’allocation d’interruption entame une activité rémunérée quelconque ou élargit une activité accessoire existante ou encore compte plus d’un an d’activité indépendante. Le droit est dès lors perdu depuis le début de la période pour laquelle les allocations ont été octroyées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt confirme les conditions strictes dans lesquelles les allocations d’interruption peuvent être accordées en cas d’affiliation en qualité de travailleur indépendant : le maintien de celle-ci, malgré l’absence d’activité effective, rend le cumul impossible.


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