Terralaboris asbl

Critères d’évaluation des séquelles

Commentaire de C. trav. Liège, 15 février 2013, R.G. 2003/AL/31.416

Mis en ligne le mardi 2 juillet 2013


Cour du travail de Liège, 15 février 2013, R.G. n° 2003/AL/31.416

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 février 2013, la Cour du travail de Liège rappelle que l’évaluation des séquelles d’une maladie professionnelle dans le secteur public doit se faire selon les mêmes paramètres que dans le secteur privé, le marché général du travail de la victime n’étant pas restreint à la seule fonction publique.

Les faits

Une employée, occupée dans une S.A. de droit public, a été en contact pendant de longues années avec des billets de loterie contenant du nickel et du chrome. Elle est par ailleurs atteinte d’une dermatite atopique.

Vu l’allergie aux produits manipulés dans le cadre de ses fonctions, qui a aggravé son affection dermatologique et a entraîné de longues périodes d’incapacité temporaire, elle a été mutée.

Elle introduit une demande de reconnaissance de maladie professionnelle.

La décision du tribunal

Par jugement du 18 novembre 2002, le Tribunal du travail de Liège entérine les conclusions de l’expert qu’il avait désigné par jugement avant dire droit et admet qu’elle est atteinte d’une maladie professionnelle réparable en vertu de la loi du 3 juillet 1967. Le tribunal fixe les périodes d’incapacité temporaire, actant une consolidation au 18 décembre 1997 avec 20% d’invalidité permanente partielle.

Appel est interjeté par l’autorité publique, qui demande que l’intéressée soit déboutée de la totalité de sa demande.

Les arrêts de la Cour du travail de Liège

L’arrêt du 24 octobre 2007

La cour reconnaît l’existence d’une maladie professionnelle réparable, considérant qu’il y a exposition suffisante au risque professionnel de la maladie en cause.

Elle relève que l’incapacité de travail a été pratiquement ininterrompue entre octobre 1980 et mai 1997 et ordonne une nouvelle expertise en ce qui concerne l’évaluation du taux d’I.P.P. La mission confiée à l’expert est d’évaluer le taux de l’incapacité permanente d’un point de vue purement physique sans considérations socio-économiques, l’évaluation du taux effectuée par l’expert désigné par le tribunal n’étant pas assez claire à cet égard.

L’arrêt du 15 février 2013

La cour situe le débat comme suit :

  • L’autorité considère qu’il faut limiter les séquelles à 5%, étant le taux retenu par l’expert désigné par l’arrêt du 24 octobre 2007, faisant essentiellement valoir qu’il y a, dans le secteur public, lieu de prendre en compte la stabilité d’emploi et que celle-ci a pour conséquence de diminuer l’impact des facteurs socio-économiques. L’expert initialement désigné ayant admis un taux de 20%, celui-ci doit dès lors être ramené à 5%, l’appelante considérant que doivent seuls être pris en compte les efforts supplémentaires que doit fournir l’intéressée pour garder son emploi.
  • Quant à celle-ci, elle demande la condamnation de l’appelante au taux initialement fixé, étant 20%, insistant sur le fait que le second expert désigné avait une mission limitée à la question de la détermination des séquelles purement physiques. Elle fait également valoir les répercussions sur la perte de capacité concurrentielle, eu égard à l’aspect psychologique des séquelles, et demande à la cour d’apprécier le taux d’I.P.P. à la date de consolidation et non tenant compte de l’évolution ultérieure de sa carrière, son occupation au sein de l’institution en cause ne représentant pas son seul marché général du travail.

Face à ces deux thèses, la cour du travail va, dans un premier temps, rappeler les principes applicables, étant qu’il ne s’agit pas de prendre en compte la seule invalidité, à savoir l’incapacité appelée physiologique, mais d’apprécier la perte de capacité de gain de la victime sur le marché général du travail. Elle renvoie aux critères également admis dans la matière des accidents du travail et reprend divers arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 3 avril 1989, R.G., 6556). Il s’agit d’apprécier le dommage en fonction de l’incapacité physiologique, mais également de l’âge de la victime, de sa qualification professionnelle, de sa faculté d’adaptation, de sa possibilité de rééducation fonctionnelle et de sa capacité de concurrence sur le marché général du travail. Il faut procéder par comparaison à la capacité dont disposent d’autres travailleurs d’exercer l’activité professionnelle en cause. Dans ce cadre, les facteurs psychiques peuvent être retenus, s’ils ont une incidence sur la capacité économique de la victime.

En ce qui concerne la spécificité du secteur public, la cour rappelle qu’il faut appliquer les mêmes critères d’appréciation et que, s’il existe une stabilité d’emploi, celle-ci ne s’applique cependant pas à tous les bénéficiaires de la loi. En outre, un agent du secteur public doit pouvoir conserver la possibilité de se réinsérer dans le secteur privé, s’il le désire. Il peut encore faire l’objet d’une révocation.

La cour, après avoir rappelé ces points, ajoute qu’il y a indifférence de l’état antérieur de la victime dans l’examen de la réparation. En conséquence, même si d’autres causes extérieures au travail existent et même si elles ont été prépondérantes, les séquelles de la maladie doivent être réparées.

En l’espèce, l’application de ces principes amène la cour, au travers d’un examen attentif du rapport d’expertise, à relever l’importance de la dimension psychique de la maladie professionnelle, et ce même si d’autres causes (circonstances familiales difficiles, accidents de la vie privée) sont également présentes.

La cour va dès lors apprécier en fait les composantes du taux d’incapacité permanente et retenir un chiffre global de 17%.

Enfin, elle réserve quelques développements sur le calcul de la rémunération de base et la date de prise de cours des intérêts moratoires légaux applicables aux indemnités d’incapacité permanente.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège fait un judicieux rappel des principes d’évaluation de l’incapacité permanente des séquelles d’une maladie professionnelle, eu égard à la stabilité d’emploi qu’offre le secteur public.

La cour rappelle à cet égard que, si tel est bien le cas, ceci ne signifie pas intangibilité de la fonction. L’agent concerné peut en effet être amené à quitter celle-ci, souhaitant aller vers le secteur privé (auquel cas, ce critère spécifique ne trouverait plus à s’appliquer et aurait erronément servi à limiter la perte de capacité de gain sur le marché général du travail). L’agent peut également être mis à la pension pour inaptitude physique définitive et, dès lors, être privé de cette stabilité.

Ce critère doit dès lors, pour la cour, être relativisé, et elle ajoute encore qu’il faut tenir compte, dans l’évaluation de l’incapacité permanente, des critères à la date de consolidation et non eu égard à l’évolution possible de la carrière de l’agent.

L’on peut encore utilement rappeler dans cette discussion un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 15 octobre 2007, R.G. 45.597), qui, statuant dans le cadre d’un accident du travail survenu dans le secteur public, a jugé que le dommage réparable dans le cadre de l’incapacité permanente est identique dans le secteur privé et dans le secteur public : il s’agit de la diminution de la valeur économique de la victime sur le marché général de l’emploi. La cour précise encore l’absence de fondement de la thèse de la prise en compte du critère de la stabilité d’emploi, un emploi statutaire pouvant être abandonné ou perdu.


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