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Le travailleur est-il toujours sur le chemin du travail lorsqu’il interrompt son voyage en train pour acheter un rafraîchissement avant de prendre le train suivant ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 janvier 2013, R.G. 2011/AB/1.137

Mis en ligne le lundi 24 juin 2013


Cour du travail de Bruxelles, 21 janvier 2013, R.G. n° 2011/AB/1.137

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 janvier 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions du trajet normal eu égard aux interruptions admises par la loi : une interruption minime n’a pas d’incidence sur le caractère normal du trajet.

Les faits

Une fonctionnaire fédérale victime d’une chute précise dans la déclaration d’accident du travail à l’intention de son employeur avoir, le jour des faits, déjeuné au restaurant d’entreprise à Bruxelles-Midi et avoir immédiatement après le lunch repris le train de 13hrs pour rentrer à son domicile. Elle explique être descendue de ce train à la gare de Bruxelles-Centrale afin d’acheter dans la gare un « fruit shake ». Elle situe à 10 minutes le temps de l’interruption. Elle poursuit en expliquant qu’elle a immédiatement regagné le quai pour reprendre le train suivant pour Louvain. C’est sur le trajet de retour dans les grands escaliers de la gare qu’elle a glissé et est tombée. Elle explique encore avoir bénéficié l’après-midi de ce jour d’une demi-journée de récupération pour heures supplémentaires, d’où son départ à cette heure là.

Elle a encore travaillé le lendemain des faits et a consulté son médecin dans la soirée.

Elle va tomber en incapacité de travail ensuite. L’accident du travail n’est pas reconnu, au motif que, si une interruption du chemin du travail n’enlève pas nécessairement à celui-ci ce caractère au sens légal, l’interruption ou le détour peut cependant être de nature à retirer au trajet son caractère normal. Il y a lieu d’examiner l’importance du détour ou de l’interruption ainsi que les raisons de ceux-ci. Le service juridique, qui doit dès lors reconnaître l’accident, estime qu’en l’espèce il n’y a plus trajet normal.

Suite à une mise en demeure de contestation, l’intéressée introduit un recours devant le Tribunal du travail de Louvain. Elle demande qu’il soit dit pour droit qu’elle a été victime d’un accident du travail au sens de l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967 applicable au secteur public et de l’article 8 de la loi du 10 avril 1971 visant le secteur privé.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 11 octobre 2011, le tribunal la déboute, considérant qu’il n’y a pas accident du travail.

L’intéressée interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour constate en premier lieu que les faits ne sont pas contestés, étant que le jour dit l’intéressée est tombée dans les escaliers de la gare de Bruxelles-Centrale et que ceci a entraîné une lésion.

Elle se penche dès lors sur les principes applicables qui, comme l’avait visé l’intéressée dans l’acte introductif, sont les articles 2, 3e alinéa, 1° de la loi du 3 juillet 1967 et l’article 8 de la loi du 10 avril 1971.

La cour rappelle ensuite une abondante jurisprudence sur le caractère normal du trajet. La Cour de cassation a posé le principe dans un arrêt du 1er février 1993 (Cass., 1er février 1993, S.8155 ; voir également Cass., 27 mars 1995, S.94.0126.N) que le caractère normal du trajet doit être apprécié sur le plan géographique et chronologique. Les mêmes règles valent pour l’appréciation du détour et de l’interruption (Cass., 6 novembre 1978, Pas., 1979, p. 278) : les critères étant qu’il faut en apprécier le caractère minime, peu important ou important. En fonction de celui-ci, le caractère normal du trajet sera – ou non – affecté.

Le détour ou l’interruption minime ne sont pas pris en considération et en l’occurrence la cour se penche plus particulièrement sur les effets d’une interruption minime sur le trajet normal. Elle rappelle que dans un arrêt du 30 septembre 1996 (Cass., 30 septembre 1996, S.95.0125.F), la Cour de cassation a considéré qu’une interruption minime n’a pas d’incidence sur le caractère normal du trajet et dès lors qu’elle fait partie de celui-ci. Ainsi il a été admis que constitue une telle interruption celle ayant duré quelques minutes et ayant servi à acheter du pain.

Les conséquences de cette règle font d’ailleurs que, si un accident arrive pendant l’interruption, il est intervenu sur le chemin du travail.

En l’espèce, la cour constate que l’intéressée est restée dans la même gare que celle où elle avait quitté le train qui la ramenait chez elle et qu’elle a pris le train suivant après avoir fait un petit achat pour se désaltérer, opération dont la durée peut, selon la cour, être estimée à 10 minutes.

Il s’agit dès lors, tant pour l’interruption que pour le détour qui l’a accompagnée, d’un événement n’ayant pas d’incidence sur le caractère normal du trajet.

La cour réforme dès lors le jugement, admettant que la victime a eu un accident sur le chemin du travail.

Intérêt de la décision

Cette espèce – banale en apparence – est l’occasion de rappeler, dans une vie professionnelle dont le quotidien est souvent bousculé, que sur le chemin du travail, une interruption (et un détour subséquent) peut n’avoir aucune incidence sur la réparation en matière d’accident du travail.

Trois types d’interruptions / détours sont admis. Ceux dont le sort est le plus facile à régler sont les interruptions / détours qualifiés de « minimes », pour lesquels les critères d’appréciation sont purement chronologiques / géographiques. Le peu de temps de l’interruption du trajet ou le peu de distance constitué par le détour ont conféré à ceux-ci un caractère insignifiant, non pris en compte. La cour du travail rappelle d’ailleurs ici qu’un accident survenant pendant une telle interruption est considéré comme survenant sur le trajet du travail, celui-ci n’étant pas modifié dans son caractère normal par l’interruption.

A côté de ce type d’interruptions / détours, viennent ceux qualifiés de « peu importants », pour lesquels la victime doit établir une cause légitime, ainsi, une halte pour se rafraîchir ou se nourrir, est susceptible d’avoir ce caractère.

Enfin, d’autres interruptions / détours, qualifiés d’ « importants », ne seront admis que s’ils peuvent être justifiés par la force majeure.


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