Terralaboris asbl

Etendue de la présomption de causalité en cas d’apparition d’une nouvelle lésion (fibromyalgie) ultérieure à l’accident

C. trav. Mons, 2 avril 2007, R.G. 19.468

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Mons, 2 avril 2007, R.G. 19.468

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 2 avril 2007, la Cour du travail de Mons rejette l’argument selon lequel la loi établirait deux liens de causalité, l’un entre événement soudain et lésion (application de la présomption) et l’autre entre événement soudain et état séquellaire ultérieur. Elle se prononce par ailleurs sur les conditions de renversement de la présomption légale de causalité.

Les faits

M. M. est victime d’un accident du travail en date du 5 juillet 1996, accident ayant entraîné une légère commotion et une contusion à la nuque.

Il est mis en incapacité de travail pendant 15 jours, puis reprend son travail.

Un an plus tard, en raison de difficultés de marcher et de douleurs diffuses, il consulte à nouveau. Le diagnostic de fibromyalgie est alors posé et il est de nouveau mis en incapacité de travail.

L’entreprise d’assurances refuse de prendre en charge la rechute en incapacité de travail et estime par ailleurs que la victime peut être considérée comme guérie sans séquelle à la date de la reprise du travail.

M. M. introduit une action devant le Tribunal du travail, sollicitant la désignation d’un médecin expert.

Celui-ci retient un taux de 2 % et une consolidation antérieure à la découverte de la fibromyalgie. Dans son rapport, il précise, se fondant sur la littérature scientifique, que la fibromyalgie n’aurait pas de retentissement sur l’activité professionnelle de l’intéressé.

Ce rapport est écarté par le Tribunal, lequel estime que la fibromyalgie est en relation causale avec l’accident.

Il désigne un deuxième expert.

L’entreprise d’assurances interjette appel de cette décision.

La position des parties

L’entreprise d’assurances a fait valoir un premier moyen, lié à la charge de la preuve de l’imputabilité de la fibromyalgie à l’accident du travail. Elle estime en effet que la présomption de causalité contenue à l’article 9 de la loi du 10 avril 1971 ne joue que pour les lésions initiales (en l’espèce la commotion et la contusion de la nuque) et non pour l’état séquellaire ultérieurement constaté (la fibromylagie), pour lequel la victime devrait établir l’existence du lien causal.

Selon elle, la victime n’établirait pas que la fibromylagie est imputable à l’accident, vu le délai d’apparition (un an), l’existence de traumatisme antérieur, l’absence d’étiologie claire de cette maladie mais encore un avis médical divergent, étant un rapport d’expertise judiciaire ordonnée en droit commun (un véhicule ayant été impliqué dans l’accident).

La victime estime quant à elle pouvoir bénéficier de la présomption de causalité, en vertu de laquelle la fibromyalgie doit être présumée avoir été causée par l’accident. Elle estime par ailleurs que cette présomption n’est pas renversée par l’entreprise d’assurances.

La décision de la cour

Statuant sur la portée de la présomption légale de causalité, la Cour rejette la thèse de l’entreprise d’assurances, relevant d’ailleurs qu’elle a déjà été censurée par la Cour de cassation (Cass., 29 nov. 1993, J.T.T., 1994, 187 et Cass., 28 juin 2004, J.T.T., 2004, 462).

La Cour du travail confirme en conséquence que la présomption s’applique lorsque la lésion invoquée (ici la fibromyalgie) est postérieure et différente de la lésion initialement constatée (commotion et contusion).

Elle rappelle également que l’arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 1996 (qui précise que la mort n’est pas une lésion), invoqué systématiquement à l’appui de la thèse du double lien de causalité, ne permet pas de faire une distinction entre la lésion initiale, qui serait constitutive d’accident, et des lésions ultérieures, qui ne seraient pas des lésions mais des séquelles.

Elle estime dès lors que la fibromyalgie doit être présumée causée par l’accident.

La Cour examine ensuite si cette présomption est renversée par l’entreprise d’assurances et conclut par la négative.

Dans les considérations qu’elle développe sur cette question, elle écarte le rapport d’expertise déposé devant le premier Juge, estimant que le libellé de la mission n’est pas adéquat et a conduit l’expert à ne pas tenir compte de la présomption.

Quant au rapport d’expertise en droit commun, la Cour n’en tient pas compte, s’appuyant sur un arrêt de la Cour suprême (1er déc. 1995, Pas., I, 1097), selon lequel les conclusions d’une expertise en droit commun ne peuvent être opposées aux parties dans le cadre d’une autre législation.

Ayant examiné l’ensemble des arguments de l’entreprise d’assurances, la Cour conclut que celle-ci ne renverse pas la présomption, c’est-à-dire ne prouve pas que la fibromyalgie serait uniquement et exclusivement attribuable à une autre cause que l’accident du travail.

Elle réforme cependant le jugement en ce qu’il a décrété le lien causal établi et aménage la mission confiée à l’expert pour que l’entreprise d’assurances puisse renverser la présomption. L’expert est ainsi invité à dire s’il est établi, avec le plus haut degré de vraisemblance que permet l’état d’avancement des connaissances médicales, que les lésions invoquées par la victime n’ont pas été causées, même partiellement, par l’accident.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est double :

  1. en ce qu’elle rejette la thèse du double lien causal. Il faut en effet constater que, quoique la Cour de cassation se soit explicitement prononcée sur la question, les entreprises d’assurances continuent à avancer cette théorie ;
  2. en ce qu’elle contient un rappel pertinent des principes en matière de renversement de la présomption de la causalité et en fait une très intéressante application aux faits de la cause.

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