Terralaboris asbl

Un travailleur peut-il être lié à plusieurs employeurs dans le cadre d’un même contrat ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 4 août 2008, R.G. 15.483/06

Mis en ligne le jeudi 13 juin 2013


Tribunal du travail de Bruxelles, 4 août 2008, R.G. n° 15.483/06

TERRA LABORIS Asbl

Par jugement du 4 août 2008, le Tribunal du travail de Bruxelles a admis que plusieurs sociétés d’un même groupe peuvent avoir la qualité d’employeur même si le contrat de travail n’a été signé qu’avec l’une d’entre elles.

Les faits

Madame P. a été engagée par une société A. par contrat de travail à durée indéterminée le 15 avril 2005. Ce contrat prévoit deux fonctions (télémarketer et téléphoniste-assistante). Il prévoit également une rémunération globale et forfaitaire pour les prestations ventilées par fonction exercée. La fonction « télémarketer » est en réalité exercée au profit d’une société B. Par courrier intervenant en cours de contrat est confirmé à Madame P. l’octroi d’un bonus. Ce courrier porte l’entête de la société B. L’employée preste à la satisfaction des deux sociétés et reçoit par ailleurs lors d’une soirée un prix pour la qualité de ses prestations.

Alors que la période d’essai prévue au contrat est toujours en cours, Madame P. est licenciée pendant une période d’incapacité de travail.

Madame P. réclame, ultérieurement, des sommes relatives à la rémunération de ses prestations (ouverture d’une évaluation ainsi que bonus).

La société employeur conteste devoir le bonus, au motif que cet avantage lui a été octroyé par un courrier qui impliquerait un engagement du groupe de sociétés dont elle fait partie. Elle conteste toutefois en être débitrice elle-même.

Position du tribunal

Le tribunal relève que l’employeur fait effectivement partie d’un groupe plus large et que, s’il a conclu un contrat de travail avec Madame P., l’on ne peut éluder l’engagement pris de lui octroyer des avantages supplémentaires, ce courrier étant signé par un « managing partner » sur papier à entête reprenant la dénomination et l’adresse non seulement de la société A. mais également d’une autre société B.

Le tribunal relève que les deux sociétés ont reconnu que ces avantages sont les mêmes pour l’ensemble du groupe et qu’ils sont liés directement et exclusivement à la tâche contractuelle de « télémarketer », à savoir le démarchage téléphonique de clients en vue de l’obtention de rendez-vous pour une première évaluation.

L’on ne peut, pour le tribunal, nier qu’un lien étroit existe entre les deux sociétés, celles-ci faisant d’ailleurs partie d’un même groupe. Ceci ressort notamment du fait que la société A. assure une partie des services administratifs de la société B.

Dans la mesure où un contrat de travail a été conclu avec la société A. et où la société B. s’est engagée à payer un certaine nombre de bonus à Madame P. dans le courrier susdit (le tribunal relevant également que l’auteur de la lettre annonçant le paiement du bonus est également le signataire du contrat de travail), le tribunal conclut que chacune des défenderesses doit ici être considérée comme étant l’employeur de Madame P.

Il reprend la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles selon laquelle a la qualité d’employeur la personne qui en application du contrat de travail a le pouvoir d’exercer l’autorité sur la personne du travailleur. Aucune disposition légale n’interdit que dans l’exécution d’un même contrat de travail un employé ait deux employeurs (C. trav. Bruxelles, 7 oct. 1998, J.T.T., 1999, 152). De même, il est confirmé par la Cour du travail de Liège que, dans le cadre d’un contrat de travail unique, un travailleur peut être lié à deux employeurs distincts lorsqu’ils partagent l’exercice et les prérogatives patronales et qu’ils sont unis par des liens étroits (C. trav. Liège, 8 nov. 1996, J.T.T., 1997, 150). La même Cour a encore relevé que le fait de ne pas payer la rémunération n’est pas élisif de la qualité d’employeur. Lorsqu’il y a deux employeurs, le fait que la rémunération soit payée par un seul des deux n’a aucune incidence sur la relation contractuelle, car l’obligation de rémunération peut être acquittée par un coobligé ou par un tiers (C. trav. Liège, 18 oct. 1995, Chron. Dr. Soc., 1997, 231).

Le tribunal va, par ailleurs, relever les éléments qui confèrent au bonus son caractère rémunératoire, étant qu’il est directement lié à l’activité de télémarketer, et ce pour l’ensemble du groupe. Il s’agit d’une contrepartie du travail fourni dans le cadre du contrat de travail et il est dès lors entré dans le champ contractuel.

Intérêt de la décision

Le tribunal du travail de Bruxelles tient, par son jugement du 4 août 2008, en échec une stratégie habile – certes – mais illégale, qui consisterait à permettre, lors de la rupture, le non paiement d’avantages contractuels par la société employeur, et ce au motif qu’ils auraient été consentis par un tiers (dont elle est très proche, puisque les deux font partie d’un même groupe et se sont répartis les volets de l’activité déployée par celui-ci).


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