Terralaboris asbl

Y a-t-il défaut de transposition de la directive européenne en matière de protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 novembre 2012, R.G. 2009/AB/52.765

Mis en ligne le mardi 7 mai 2013


Cour du travail de Bruxelles, 28 novembre 2012, R.G. n° 2009/AB/52.765

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 28 novembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, à propos d’une question de pension complémentaire, les limites de l’intervention du Fonds de fermeture dans le cadre de la loi du 30 juin 1967 et pose la question d’une éventuelle transposition incomplète de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, susceptible de mettre en cause la responsabilité de l’Etat belge.

Les faits

Un litige oppose une soixantaine d’anciens membres du personnel navigant de la SABENA aux curateurs de la faillite, vu l’existence d’une convention collective d’entreprise du 29 mars 1984 prévoyant un régime de pension complémentaire pour le personnel navigant. Le bénéfice de celle-ci a été maintenu jusqu’au 31 décembre 1997, nonobstant la dénonciation d’autres conventions collectives. La gestion financière et actuarielle de la question a été confiée à une société d’assurance, qui en a informé le personnel en date du 31 janvier 2001. La gestion du plan de pension a ainsi été transférée avant la faillite de la SABENA, déclarée par jugement du Tribunal du commerce de Bruxelles le 7 novembre 2001. La compagnie d’assurances n’a cependant pas perçu la dotation permettant d’effectuer le paiement des rentes.

Le personnel saisit dès lors le Fonds de fermeture en avril 2002, sur la base de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur. Il considère que l’article 8 de celle-ci, qui vise les obligations des Etats membres est transposé à l’article 4 de la loi du 30 juin 1967 portant organisation de la mission du Fonds de fermeture.

Celui-ci refuse son intervention, considérant qu’il ne peut intervenir que pour les travailleurs licenciés dans les délais prévus à l’article 4 de la loi, soit en principe dans les 12 ou 18 mois précédant la date légale de fermeture et que s’il y a une exception à ce délai pour les indemnités complémentaires de prépension, ceci ne vaut pas pour les pensions complémentaires.

Se tournant alors vers les curateurs, les intéressés sollicitent qu’ils remplissent le BC 901 destiné au Fonds de fermeture, ce à quoi ceux-ci répondent que la créance en matière de pension complémentaire n’est pas privilégiée et que, pour le surplus, ils suivent la position du Fonds. Ils adressent cependant les BC 901.

Une procédure est dès lors introduite par les intéressés devant le tribunal du travail, à la fois contre le Fonds et l’Etat belge. Il y a intervention volontaire des curateurs.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 6 novembre 2009, la demande est déclarée non fondée tant à l’égard du Fonds que de l’Etat belge.

Appel est interjeté par les demandeurs originaires.

Position des parties en appel

Les appelants demandant la condamnation du Fonds de fermeture au paiement des montants qui leur reviennent en vertu de la convention collective. Ils plaident en outre que les compléments de prépension sont des rémunérations ou à tout le moins des avantages dus en vertu de la loi (ou de conventions collectives), ce qui fonde l’obligation d’intervention du Fonds sur pied de l’article 2, § 1er de la loi du 30 juin 1967.

Ils considèrent pouvoir invoquer l’effet direct de l’article 8 de la directive 80/987/CEE du 20 octobre 1980. Ils formulent également des demandes modulées à titre subsidiaire et plus subsidiaire et enfin demandent à la cour du travail de poser des questions préjudicielles à la Cour de Justice concernant les articles 6 et 8 de la directive en cause.

Quant au Fonds de fermeture, il plaide l’absence d’effet direct de l’article 8 et considère que les pensions complémentaires ne sont pas des rémunérations visées par la loi du 3 juin 1967. A supposer qu’il y ait un défaut de transposition, celui-ci ne peut concerner que la responsabilité de l’Etat belge.

La position de l’Etat belge est conforme à celle du Fonds en ce qui concerne le champ d’application de l’article 2 de la loi du 30 juin 1967. Sur l’article 8 de la directive, il considère, vu la jurisprudence Robins de la C.J.U.E., qu’il ne résulte pas de l’article 8 de la directive que les droits acquis ou en cours d’acquisition en matière de prestations de vieillesse relèvent des institutions de garantie. En outre, sa responsabilité ne pourrait être mise en cause que s’il y avait méconnaissance grave et manifeste de son pouvoir d’appréciation.

Décision de la cour du travail

La cour doit dès lors trancher diverses questions, étant d’abord la nature des engagements de pension complémentaire tels qu’ils existaient à la date de la faillite. Elle précise que malgré la cessation des effets de la convention collective du 31 décembre 1997, les obligations initialement prévues par celle-ci ont subsisté, la SABENA en ayant poursuivi l’exécution du fait qu’elle a confié la gestion administrative à une compagnie d’assurances. Il en résulte que les obligations en matière de pension complémentaire subsistent donc à un niveau individuel.

La cour aborde ensuite le fondement de la demande de garantie du Fonds de fermeture, examinant les dispositions pertinentes de la loi du 30 juin 1967 (avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 juin 2002). Elle considère que l’engagement individuel subsistant dans le chef de la société n’avait pas pour objet le paiement d’une rémunération, au sens de l’article 2, § 1er, 1° de la loi du 30 juin 1967 et que le Fonds de fermeture ne peut dès lors être tenu d’intervenir sur cette base.

Les intéressés ayant également introduit une demande relative au paiement des dotations dues à l’entreprise d’assurances, la cour conclut que celles-ci ne constituent pas une somme pour laquelle le Fonds de fermeture pourrait être tenu d’intervenir sur la base de l’article 2, § 1er de la loi, non plus que sur la base de l’article 5. Il ne s’agit en effet pas d’une dotation liée aux salaires et avantages visés à l’article 2 mais d’une convention particulière intervenue avec un tiers en vue d’assurer la gestion actuarielle et financière des engagements de la société.

Elle examine, enfin, la responsabilité de l’Etat belge pour cause de transposition insuffisante de la directive 80/987 du 20 octobre 1980. Après avoir repris longuement les dispositions des articles 3, 5 et 6 à 8 de la directive, elle souligne qu’en vertu de cette dernière disposition, les Etats membres doivent s’assurer que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés et des personnes ayant déjà quitté l’entreprise ou l’établissement de l’employeur à la date de la survenance de l’insolvabilité de celui-ci, en ce qui concerne leurs droits acquis ou leurs droits en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse. Celles-ci visent les prestations de survivants, ainsi que les régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale.

Elle réexamine également l’arrêt Robins de la C.J.U.E. du 25 janvier 2007 (C.J.U.E., 25 janvier 2007, Aff. C-278/05), où la Cour a précisé que les Etats membres ont une marge d’appréciation quant aux mécanismes à adopter aux fins de cette protection et que, en ce qui concerne le niveau de protection, des dispositifs nationaux limitant à moins de la moitié le montant des droits auxquels les travailleurs pouvaient prétendre ne peuvent être considérés comme répondant à la définition du terme « protéger » au sens de cette disposition.

La cour va ensuite reprendre très complètement les principes régissant la responsabilité de l’Etat pour défaut de transposition complète. Sur l’article 6, elle conclut qu’il n’y a pas de défaut de transposition. Cependant, sur l’article 8, concernant la marge d’appréciation laissée aux Etats en ce qui concerne les modalités de protection des intérêts des salariés et anciens salariés qui bénéficient de leur pension, elle considère qu’il n’est pas établi qu’il y a transposition correcte pour ce qui est des engagements de pensions internes à l’entreprise. Elle ordonne, dès lors, une réouverture des débats sur cette question, dont l’examen déterminera s’il y a ou non mise en cause de la responsabilité de l’Etat belge.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rendu en matière d’insolvabilité de l’employeur est l’occasion de revenir à la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 et particulièrement à la protection offerte en droit interne eu égard au principe général qu’elle contient dans son article 8, qui impose aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs salariés. L’arrêt a fait, dans le cadre de la question posée à la cour, un rappel très circonstancié des principes relatifs à l’obligation de transposition complète des dispositions des directives européennes et reprend à ce sujet les décisions de la Cour de justice qui ont réaffirmé l’obligation pour les juridictions nationales d’appliquer dans le cadre de leurs compétences les dispositions du droit communautaire et d’assurer le plein effet de ces normes afin de protéger les droits qu’elles confèrent aux particuliers.

Affaire à suivre donc …


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