Terralaboris asbl

Travail au noir et couverture légale dans le cas d’une électrocution : exigence d’un contrat de travail (et examen des conditions de reconnaissance : travail, rémunération et subordination)

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 novembre 2007, R.G. 47.125

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 12 novembre 2007, R.G. n° 47.125

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 12 novembre 2007, saisie d’un accident mortel survenu sans témoins et par électrocution, la Cour du travail de Bruxelles a conclu à l’existence d’un accident du travail.

Les faits

Un ouvrier travaillant seul dans un immeuble est retrouvé, décédé, couché sur le sol. L’examen du médecin légiste fait apparaître, après autopsie, que la cause du décès est une électrocution. Un ingénieur électricien, désigné par le juge d’instruction, conclut à l’absence de conformité de l’installation électrique de l’immeuble et considère que, bien que la probabilité soit faible, il n’y a pas lieu d’exclure l’électrocution.

L’intéressé travaillant en outre sans être déclaré, une information pénale sera ouverte contre l’employeur.

Le F.A.T. intervient, vu l’absence de police accidents du travail souscrite, conséquence de la situation ci-dessus.

La procédure pénale, engagée après le décès va tenir en suspens la demande d’indemnisation de la veuve. Le tribunal correctionnel ayant estimé que la cause du décès n’était pas établie à suffisance de droit et ayant acquitté le prévenu, la Cour d’appel de Bruxelles a considéré, toutefois, par arrêt du 30 juin 2004, que si l’électrocution pouvait être établie, la cause de celle-ci demeurait incertaine. À défaut de pouvoir déterminer avec certitude l’origine de l’électrocution, il est impossible, pour la Cour d’appel, de déterminer si une faute à cet égard peut être imputée à un tiers. La prévention reste dès lors non établie et le jugement est confirmé.

La position du tribunal

Le tribunal déboute la veuve, considérant que l’accident mortel ne peut être reconnu comme un accident du travail en raison du défaut de preuve de l’événement soudain, élément essentiel constitutif de la notion d’accident du travail.

La position des parties en appel

L’intéressée demande à la Cour de constater qu’il y a eu accident mortel du travail et demande à être indemnisée.

Le F.A.T. sollicite, quant à lui, la confirmation du jugement et à titre subsidiaire, demande condamnation de l’employeur à un euro provisionnel sur la base de l’article 60 de la loi du 10 avril 1971. Celui-ci demande qu’il soit conclu au non fondement de l’appel et, par conséquent, au rejet de la demande subsidiaire du Fonds à son encontre.

La position de la Cour

La Cour examine, avant toute chose, s’il y avait ou non un lien de subordination, l’article 1er de la loi du 10 avril 1971 rendant celle-ci applicable à toutes les personnes qui, en qualité d’employeur, de travailleur ou de personne assimilée, sont assujetties en tout ou en partie à la loi du 27 juin 1969, révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs.

Rappelant que, pour qu’il y ait contrat de travail, il faut travail, rémunération et lien de subordination, la Cour étudie méticuleusement les déclarations figurant au dossier répressif et conclut que la victime a travaillé toute la journée en cause dans l’appartement appartenant à l’employeur. L’élément « travail » et donc établi. Elle en conclut que ce travail a manifestement été exécuté sous l’autorité de l’employeur, et ce selon les déclarations de celui-ci quant aux modalités d’exécution.

Elle relève, en outre, qu’il est lui-même entrepreneur en électricité et que l’ouvrier n’était ni électricien, ni ouvrier de a construction (mais quelqu’un qui, selon les dires de son épouse, cherchait à s’assurer un complément de revenus, après avoir perdu son emploi en tant qu’ouvrier imprimeur).
Pour la Cour, il y a un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes de l’existence d’un lien de « subordination ».

Quant à la rémunération, la Cour doit rencontrer les objections tant du F.A.T. que de l’employeur, relatives au fait que celle-ci n’était pas déterminée et que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (voir notamment Cass., 25 mai 1998, J.T.T., 1998, p. 393), l’existence d’un contrat de travail suppose un accord des parties sur le montant de la rémunération ou sur les éléments permettant de déterminer celui-ci. Constatant qu’aucun élément ne permet, en l’espèce, de préciser le montant qui a été convenu, la Cour constate cependant que ce montant est déterminable puisqu’en règle au moins, la rémunération légalement prévue suivant les barèmes ou la rémunération minimale prévue par les conventions collectives de travail du C.N.T. doit être considérée comme la rémunération convenue. Pour qu’il y ait contrat de travail, cette réglementation légale sur la rémunération ne doit pas être reprise dans le contrat de travail (Cass., 22 novembre 2004, S040090N). En conséquence la « rémunération » était donc tout à fait déterminable, en sorte que les éléments constitutifs du contrat de travail sont réunis.

Les données de fait permettent, par ailleurs, de conclure à la survenance de l’accident pendant l’exécution du contrat de travail.

Restent cependant à examiner les éléments constitutifs de la définition de l’accident du travail que sont la « lésion » et l’ « événement soudain ».

Selon la Cour, la lésion est incontestable et ressort de l’autopsie : c’est la conséquence d’un trouble aigu du rythme cardiaque faisant suite à une électrocution. La cause du décès n’est dès lors pas incertaine. L’intéressé n’est pas mort d’une crise cardiaque.

La question est plus délicate quant à la détermination de l’événement soudain, et ce vu les circonstances du décès. La Cour rappelle cependant d’emblée que, lorsque l’accident n’a pas eu de témoins directs, la preuve ne peut être rejetée au seul motif qu’elle résulte de la seule déclaration de la victime ou de ses ayants droit. Les juridictions de fond doivent apprécier in concreto si les éléments soumis à leur appréciation confortent ou au contraire infirment ces affirmations.

La Cour ne va pas suivre les premiers juges, qui ont considéré que l’événement soudain et les circonstances de l’accident n’étaient pas établis en l’espèce, et ce au motif que c’est alourdir la charge de la preuve incombant à la victime ou aux ayants droit que d’exiger, outre celle des trois éléments visés aux articles 7 et 9 de la loi (coût de l’exécution du contrat de travail, événement soudain et lésion), celle des circonstances de l’accident.

D’autre part, pour la Cour, l’événement soudain en l’espèce est établi avec certitude : il s’agit d’une électrocution. La Cour rappelle que ni l’électrocution ni le décès ne sont la lésion. Celle a été définie ci-dessus et l’événement soudain et précis.

En conclusion, dès lors qu’il y a un événement soudain – l’électrocution – survenu à un date déterminée, dans un lieu déterminé, susceptible (et la Cour souligne : « et il l’est ! ») d’avoir causé la lésion, il importe peu que la cause et les circonstances de la survenance de l’événement soudain ne soient pas connues. La Cour relève encore que l’employeur a eu tout loisir d’aménager quelque peu les lieux, vu d’une part, le manque de fiabilité de ses déclarations et, d’autre part, son intérêt évident à ce que l’on n’aboutisse pas à la reconnaissance d’un accident du travail.

La Cour conclura son arrêt en rappelant que, quoiqu’il en soit, la responsabilité pénale ou quasi-délictuelle de l’employeur n’est pas requise en matière d’accident du travail. Il suffit que les trois éléments de la définition soient réunis. Pour le reste, les présomptions légales jouent.

Intérêt de la décision

La décision ci-dessus examine, méticuleusement, et l’un après l’autre, les trois éléments de la définition de l’accident du travail et conclut, par une approche raisonnable des éléments de fait de la situation, à l’existence d’un contrat de travail – même en dehors de la volonté des parties. Elle rappelle encore que le décès n’est pas la lésion. Cet enseignement est transposable dans toutes les hypothèses d’accidents mortels, où il ne suffit pas de constater la mort pour considérer que la lésion est établie. Il faut rechercher la cause de la mort, en l’espèce, un trouble aigu du rythme cardiaque.


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