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Contestation sur la reconnaissance de l’incapacité du travail : conditions pour qu’un expert soit désigné par le tribunal du travail

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 21 décembre 2012, R.G. 11/16.962/A

Mis en ligne le jeudi 4 avril 2013


Tribunal du travail de Bruxelles, 21 décembre 2012, R.G. n° 11/16962/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 21 décembre 2012, le Tribunal du travail de Bruxelles, saisi d’une demande de désignation d’expert aux fins de donner son avis sur la perte de capacité de travail de plus de 66%, rappelle de manière très circonstanciée les conditions que doit respecter le certificat médical produit par le demandeur.

Les faits

Une dame M. se voit notifier une décision de sa mutuelle, considérant qu’elle peut reprendre le travail en travail adapté. L’organisme assureur met ainsi un terme à son intervention au motif que l’incapacité de travail au sens de l’article 100, § 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 n’existe plus, les lésions ou troubles fonctionnels présentés n’entraînant plus une réduction des deux tiers de la capacité de gain.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, en vue de faire reconnaître le maintien de l’incapacité. A titre subsidiaire, l’intéressée sollicite la désignation d’un expert.

Elle expose avoir un diplôme de l’enseignement secondaire inférieur et avoir travaillé depuis 2007 à 2011 comme technicienne de surface pour la Ville de Bruxelles. Etant tombée en dépression en février de cette année (suite à d’importants problèmes familiaux), elle fut indemnisée par sa mutuelle jusque fin novembre 2011. Suite à un examen médical en date du 29 novembre, le médecin-conseil a conclu à la possibilité de la reprise dans les conditions ci-dessus. Il considère qu’il y a une nette amélioration de l’état anxiodépressif et qu’en conséquence un travail léger ou une formation est possible, le problème étant qualifié d’ordre plus social que psychiatrique.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal rappelle les termes de l’article 100, § 1er, qui définit l’incapacité de travail et ses critères de reconnaissance. Elle rappelle avec la doctrine (P. PALSTERMAN, « L’incapacité de travail des travailleurs salariés dans le droit belge de la sécurité sociale : approche transversale », Chron. D.S., 2004, liv. 6, p. 307) que la perte de capacité de gain ne signifie pas perte d’intégrité physique, la première étant cependant nécessairement induite par la seconde. Après avoir repris les critères de référence eu égard à la durée de l’incapacité, elle rappelle qu’il s’agit d’apprécier si le travailleur peut encore gagner sa vie par son travail et que, après six mois de maladie, il faut examiner toutes les professions qu’une personne de même condition et de même formation pourrait entreprendre. Il faut voir par là celles accessibles à un travailleur ayant les mêmes caractéristiques sociales et professionnelles que l’intéressé, le marché de l’emploi de référence étant un marché idéal, c’est-à-dire épuré des facteurs pris en charge par d’autres régimes de sécurité sociale.

La personne qui veut se voir reconnaître une incapacité de travail doit, en sa qualité de demanderesse au procès, prouver qu’elle réunit les conditions légales et, dès lors, que les troubles dont elle souffre ont conduit à la cessation de son activité et qu’ils entraînent une réduction de capacité de gain de plus de 66%. Le tribunal précise que cette notion est un fait juridique de nature médicale et qu’elle suppose l’intervention d’un médecin, qui doit faire des constatations et rédiger une conclusion dans un certificat médical.

La question se pose de la valeur probante de ce certificat et le tribunal relève que celle-ci sera d’autant plus grande que le certificat sera précis et exact à la fois sur les observations d’ordre médical mais également sur les critères légaux présidant à la reconnaissance du droit subjectif réclamé.

En l’espèce, l’intéressée a produit un rapport d’un neuropsychiatre qui détaille les lésions (stigmates d’un trouble anxiodépressif majeur de type réactionnel) et qui précise que, vu l’intensité et les caractéristiques de la pathologie neuropsychiatrique, il y a inaptitude à plus de 66% pour une durée indéterminée.

Le tribunal constate dès lors, vu la teneur de l’avis du médecin-conseil, l’existence d’une contestation d’ordre médical, dans laquelle aucun des deux avis n’a priorité sur l’autre.

C’est au juge d’apprécier la force probante de chacun et le tribunal renvoie ici à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 1er juin 1992, Pas, 1992, I, p. 865). Il se réfère également à la doctrine (M. DELANGE, « Le certificat médical en droit du travail », Orientations, février 2003, p. 21). Le tribunal relève que tant que l’organisme assureur que le ministère public considèrent que le certificat médical produit n’est pas suffisant, étant au contraire l’archétype d’un certificat pro forma, dans la mesure où il se limite à faire état d’une pathologie et à « asséner des affirmations » mais qu’il omettrait de faire ressortir en quoi ces pathologies induisent ladite incapacité de travail ou en quoi elles feraient obstacle même à la reprise d’un travail adapté.

Le tribunal considère que, de l’avis de l’auditeur, le demandeur n’aurait pas déposé un avis médical suffisamment circonstancié et que, de ce fait, il n’y aurait même pas lieu de recourir à une expertise.

Il décide de ne pas suivre l’avis du ministère public. Il renvoie d’abord à l’article 23 de la Constitution (article 23, 2°), qui impose de garantir l’effectivité réelle des droits sociaux des parties. Il s’agit d’un droit fondamental. En conséquence, la rigueur juridique et le droit de la preuve doivent s’inscrire dans le respect de celui-ci.

En outre, il relève que le fait à prouver un caractère négatif et que, si ceci ne justifie pas le renversement de la charge de la preuve, le juge est néanmoins autorisé à apprécier celle-ci avec une rigueur moindre que s’il s’était agi d’un fait positif. Le tribunal renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 16 décembre 2004, R.G. n° C.03.0407.N).

Il précise également qu’il n’y a pas lieu d’être plus sévère dans l’appréciation du certificat médical déposé par la demanderesse qu’à propos de celle de la décision de l’organisme assureur, qu’il qualifie de minimaliste et stéréotypée et qui s’affranchit par celle-ci d’une obligation d’intervention - et le tribunal de rappeler que celle-ci n’est pas à l’abri de critiques sur le plan de la motivation formelle des décisions des institutions de sécurité sociale. Il relève encore que, si le certificat ne donne pas toutes les explications qui eussent pu être souhaitées, il identifie en tout cas la pathologie et déclare qu’elle entraîne l’inaptitude au taux légal requis. Relevant encore que la déclaration émane d’un médecin dont la compétence et le sérieux ne peuvent pas être mis en doute, il renvoie au code de déontologie médicale, qui en son article 67 dispose que le médecin est seul habilité à décider du contenu d’un certificat médical ainsi que de l’opportunité de le remettre au patient. L’assuré social dépend dès lors de la décision du médecin. Le tribunal cite, encore, un extrait de cette disposition du code de déontologie médicale, qui prévoit que, lorsque le certificat est demandé par le patient dans le but de lui permettre d’obtenir des avantages sociaux, le médecin est autorisé à le lui délivrer en faisant preuve de prudence et de discrétion dans sa rédaction.

Une fois ce certificat déposé, le juge peut demander à un expert, conformément à l’article 962, alinéa 1er du Code judiciaire, de procéder à des constatations et de donner un avis aux fins d’éclairer le tribunal. Il s’agit de la mise en œuvre du droit à l’accès à la justice, autre droit fondamental, consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le tribunal désigne dès lors un expert.

Intérêt de la décision

Si la conclusion du tribunal peut paraître logique, la constatation d’une contestation médicale étant apparue, il n’échappera pas que le jugement a à cœur de s’appuyer sur deux droits fondamentaux pour fonder sa conclusion : d’une part l’article 23, § 2 de la Constitution, qui garantit l’effectivité des droits sociaux et d’autre part l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui assure la garantie de l’accès à la justice.

Les décisions qui déboutent une partie demanderesse au motif qu’elle n’apporte pas, dès les premiers débats, un dossier médical suffisamment fouillé ne sont pas rares. En l’occurrence, le tribunal renvoie également aux contraintes déontologiques du médecin consulté, lors de la rédaction du certificat qu’il rédige, ainsi qu’aux pouvoirs du juge, dans son appréciation souveraine de la force probante des pièces qui lui sont soumises.


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