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Requalification d’un contrat d’entreprise en contrat de travail : sur quels montants calculer les cotisations de sécurité sociale ?

Commentaire de C. trav. Liège, section de Namur, 21 décembre 2012, R.G. 2011/AN/154

Mis en ligne le lundi 18 mars 2013


Cour du travail de Liège, section de Namur, 21 décembre 2012, R.G. n° 2011/AN/154

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 21 décembre 2012, la Cour du travail de Liège, section de Namur, examine quel sort réserver aux cotisations au statut social payées ainsi qu’aux frais professionnels déductibles dans le cadre d’un contrat d’entreprise, lorsqu’il s’agit de déterminer le montant de la rémunération à prendre en compte pour calculer les cotisations de sécurité sociale dans le régime des travailleurs salariés.

Rappel de la procédure antérieure

L’arrêt annoté intervient après un premier arrêt du 5 septembre 2006, par lequel la cour du travail avait statué sur l’assujettissement à la sécurité sociale d’un travailleur (chauffeur routier), la relation de travail de deux autres travailleurs n’ayant pas été admise comme devant relever du secteur des travailleurs salariés. Pour le travailleur en question, la cour a considéré qu’il y avait lieu d’appliquer l’article 3, 5° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, en vertu duquel l’application de la loi du 27 juin 1969 revisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs est étendue aux personnes qui effectuent des transports de choses qui leur sont commandées par une entreprise, au moyen de véhicules dont ils ne sont pas propriétaires ou dont l’achat est financé ou le financement garanti par l’exploitant de cette entreprise, ainsi qu’à l’exploitant lui-même.

La cour avait, dans ce premier arrêt, ordonné la réouverture des débats aux fins de permettre le calcul des cotisations dues pour cet assujettissement, et ce eu égard à la circonstance que les rémunérations versées englobaient des frais liés à une activité de travailleur indépendant.

La question posée par la cour était dès lors de savoir comment déterminer la rémunération lors d’une requalification d’un contrat d’entreprise en contrat de travail (ou assimilé).

L’arrêt du 21 décembre 2012

La cour du travail est ainsi amenée à reprendre les textes applicables, ainsi que l’interprétation qui en est donnée. Il s’agit, quant au fondement de la question, de l’article 14, § 1er de la loi du 27 juin 1969, qui renvoie, pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, à la rémunération du travailleur, rémunération déterminée par référence à son acception dans la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs.

Afin que l’Office puisse établir le calcul des cotisations, il y a lieu de déterminer la rémunération servant de base à celles-ci.

Dans la loi du 27 juin 1969, il est renvoyé, à l’article 22bis, aux barèmes prévus dans les conventions collectives de travail, et ce lorsque l’on n’est en présence d’aucune donnée. Il s’agit de la rémunération déterminable, mais la cour précise, renvoyant à la Cour de cassation (Cass., 15 septembre 2008, J.T.T., 2008, p. 444), que, pour procéder de la sorte, il faut que la rémunération ne soit déterminable en aucune manière. Lorsqu’elle l’est, par contre, que faut-il admettre ? Et, par exemple, qu’en serait-il d’un 13e mois et du pécule de vacances ?

La loi du 12 avril 1965 vise le salaire en espèces auquel le travailleur a droit en raison de son engagement. C’est donc cette notion qui doit être retenue.

L’étape suivante est de déterminer le sort à réserver à la partie de la « rémunération » du travailleur que celui-ci a affectée au paiement des cotisations au statut social des travailleurs indépendants. La cour renvoie ici à plusieurs arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 11 février 2008, Chron. Dr. Soc., 2008, p. 411), pour considérer que ces sommes versées au travailleur indépendant, qui va lui-même les reverser à une Caisse d’assurances sociales, ne sont pas dues en vertu de l’engagement, tel qu’il se présenterait si la relation de travail était celle d’un travailleur salarié. Par ailleurs, le montant de ces cotisations ne peut être déduit de celles dues à l’O.N.S.S. Leur sort est donc de venir en déduction des sommes perçues par le travailleur dont le contrat est requalifié, et ce afin de définir la notion de rémunération à prendre en compte.

Reste encore la question des charges professionnelles liées au statut de travailleur indépendant. Tout en relevant que certaines de ces charges professionnelles auraient peut-être dû être payées dans le statut de travailleur salarié (frais de déplacement,…), la cour considère qu’il faut examiner celles supportées au titre de frais professionnels, indépendamment du fait d’ailleurs de savoir si elles ont été effectivement payées.

La rémunération imposable peut alors servir de base, mais il y a lieu d’y ajouter les retenues sociales dues par le travailleur salarié (la cour renvoyant ici à un arrêt du 28 mars 2006 – C. trav. Liège, sect. Namur, 28 mars 2006, R.G. 6.821/2001).

La cour va dès lors appliquer ces principes en l’espèce, partant du montant versé par la société annuellement. Elle en déduit les cotisations versées dans le cadre du statut social des travailleurs indépendants, ainsi que l’équivalent des charges professionnelles représentant les frais incombant au travailleur pour l’exercice de son activité au profit de la société. Aucun chiffre précis quant à celles-ci n’étant disponible, la cour constate qu’en fait, les frais devaient être minimes. Elle se réfère au forfait fiscal appliqué pour les salariés, qu’elle considère suffisant. Elle obtient ainsi le salaire imposable et le recalcule en brut, étant que, s’agissant d’un ouvrier, le « brutage » doit se faire à 108%. Ce « brutage » sera fait après majoration du salaire imposable des cotisations dues par un travailleur dans le secteur des salariés.

S’il fallait par ailleurs partir du salaire net, la cour précise qu’il y a lieu de le majorer du précompte professionnel à retenir, avant d’ajouter les retenues sociales.

Enfin, la cour examine la prescription de certaines cotisations, puisque les faits remontent à 1994. Elle reprend l’évolution de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969, qui a été modifié en cours de route, le délai de 5 ans initialement prévu ayant été ramené à 3 ans (loi du 3 juillet 2005 – entrée en vigueur 1er janvier 2009).

Après avoir également abordé les principes relatifs à l’interruption de la prescription, la cour va constater qu’en l’espèce, vu l’envoi de lettres recommandées, seul un trimestre est prescrit (4e trimestre 1994).

Elle ordonne cependant la réouverture des débats sur des calculs (essentiellement).

Intérêt de la décision

L’objet du débat, dans l’affaire tranchée par la cour du travail, est fréquent et il n’est certes pas aisé de transformer, sur le plan des chiffres, des revenus perçus dans le cadre d’une collaboration indépendante en revenus de travail salarié. La cour envisage ici le sort à réserver aux retenues qui auraient dû être faites par l’employeur, ainsi qu’aux frais spécifiques aux travailleurs indépendants (cotisations au statut social et charges professionnelles). Le mode de calcul adopté par la cour est clair.

Elle ne semble pas exclure la possibilité de partir également du salaire net, qui doit être majoré du précompte professionnel qui eut dû être retenu, ainsi que de la quote-part personnelle de la cotisation de sécurité sociale. Elle ne réserve cependant à ce mode de calcul que très peu de développements, celui-ci ’étant pas celui suivi en l’espèce.


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