Terralaboris asbl

Le personnel d’ambassade sans statut diplomatique doit être assujetti à la sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2013, R.G. 2010/AB/374

Mis en ligne le jeudi 14 mars 2013


Cour du travail de Bruxelles, 9 janvier 2013, R.G. n° 2010/AB/374

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 janvier 2013, la Cour du travail de Bruxelles confirme la compétence des juridictions belges pour connaître des conditions d’engagement, de travail et de licenciement du personnel d’ambassade n’ayant pas le statut diplomatique ainsi que les règles en matière de sécurité sociale.

Les faits

Monsieur B. est engagé en février 1985 par un Etat étranger aux fins de prester, dans les liens d’un contrat de travail, à l’Ambassade de cet Etat à Bruxelles.

Ses fonctions sont celles de chercheur et, ensuite, d’expert.

Suite à un incident survenu en juillet 2007, l’accès à l’Ambassade lui est refusé et un courrier recommandé lui est adressé, constatant la rupture à la date du 20 juillet et lui reprochant également des actes de violence verbale et physique, ainsi que des menaces.

Ces griefs sont aussitôt contestés et, dans le C4 délivré, est repris, comme motif du chômage, un motif grave de rupture consistant en les actes de violence dénoncés ci-dessus.

L’intéressé saisit alors le tribunal du travail. Il réclame diverses sommes, dont des arriérés de rémunération et une indemnité compensatoire de préavis. Il postule également la condamnation de son ex-employeur à payer les cotisations que l’O.N.S.S. réclamerait.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 16 mars 2010, le tribunal du travail rejette l’exception invoquée par l’Ambassade étrangère, sur l’immunité de juridiction dont elle prétend bénéficier, le tribunal rappelant que l’objet des demandes de l’intéressé concerne des actes de gestion.

Sur la régularité de l’acte introductif, le tribunal confirme celle-ci, la citation ayant été envoyée par la voie diplomatique dans le respect de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965. La citation ayant également été présentée à l’Ambassade en Belgique, ceci ne suffit pas pour l’entacher d’irrégularité, vu la transmission par la voie diplomatique.

Le tribunal va faire droit à une partie de la demande de l’intéressé.

Sur la prescription des cotisations de sécurité sociale, le tribunal constate que l’intéressé demande la déclaration à l’O.N.S.S. de la rémunération due depuis 22 ans. En application de l’article 26 du titre préliminaire de Code de procédure pénale, de la loi du 27 juin 1969 revisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs et de l’article 2262bis du Code civil, il considère qu’il n’y a pas prescription. Il conclut dès lors que l’Etat étranger devait verser à l’O.N.S.S. les cotisations employeur et travailleur dues, considérant que le montant versé mensuellement à l’intéressé, et ce depuis le début de l’engagement, est un montant net de cotisations sociales. Celui-ci faisant en outre Etat d’un préjudice découlant du non-assujettissement, le tribunal s’estime insuffisamment éclairé et ordonne une réouverture des débats.

D’autres chefs de demande pour faux, usage de faux, etc., sont également rejetés.

La citation n’ayant pas été signifiée dans l’année, les chefs de demande relatifs à une indemnité compensatoire de préavis et à une indemnité pour harcèlement moral et licenciement abusif sont déclarés prescrits.

Position des parties en appel

Appel est interjeté par l’Etat étranger. Celui-ci fait essentiellement valoir que l’employé n’établit nullement en quoi il aurait dû être assujetti à la sécurité sociale belge, se fondant sur des éléments de fait. Il fait grief à l’intéressé de ne pas avoir, par ailleurs, déclaré ses revenus auprès des services de l’administration fiscale, ce qui rendrait sa demande illicite, la cause de celle-ci violant les dispositions d’ordre public de la législation fiscale et de la sécurité sociale.

L’intéressé postule, pour sa part, la confirmation du jugement, demandant à la cour de confirmer qu’il devait être assujetti à la sécurité sociale belge et, en particulier, aux dispositions de la loi du 27 juin 1969 pendant toute la durée de son occupation. Il reprend les chiffres du premier juge en ce qui concerne la rémunération à prendre en compte pour le calcul des cotisations. Il procède cependant à un nouveau calcul, dans lequel il applique d’office une indexation à la rémunération qui lui était due, ceci entraînant une répercussion sur le montant des cotisations dont le paiement est réclamé.

La décision de la cour

La cour va rappeler les principes en la matière et elle va également se référer à un arrêt rendu le 15 septembre 2011 (C. trav. Bruxelles, 15 septembre 2011, J.T.T., 2012, p. 83), confirmant que l’engagement et le licenciement de membres du personnel constituent des actes de la gestion privée de l’Etat accréditant. La cour reprend également, assez longuement, l’avis du Ministère public sur la question.

Sur la prescription, la cour rappelle que la non déclaration d’un travailleur, des rémunérations payées, des cotisations sociales dues, ainsi que leur non paiement, sont des infractions pénales. Pendant la période concernée, celles-ci étaient sanctionnées par la loi du 27 juin 1969 (article 35) et, actuellement, depuis le 1er juillet 2011, par le Code pénal social (articles 181, 218 et 233). Le délai de prescription est celui de l’article 2262bis, § 1er, alinéa 2 du Code civil (5 ans). Les faits commis depuis l’engagement (février 1985) au 20 juillet 2007 constituent la manifestation de la même intention délictueuse, de telle sorte que la prescription de l’action publique n’a commencé à courir qu’à partir du 20 juillet 2007 au plus tôt. Ce délai étant de 5 ans, la citation introductive d’instance, datée du 6 août 2008, contenant la demande d’assujettissement pendant la période d’occupation et la demande de condamnation de l’Etat au paiement des cotisations impayées, n’est pas prescrite.

La cour souligne que ces demandes ne résultent pas du contrat de travail (étant alors régies par un délai de prescription d’un an conformément à l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978), mais d’une action civile résultant d’une infraction, celle-ci se prescrivant par 5 ans.

L’Etat étranger faisant encore valoir qu’il bénéficie de l’immunité pénale, la cour lui répond, suivant l’avis de l’Avocat général, que ceci ne signifie pas – comme il tend à le faire admettre – qu’aucune action fondée sur une quelconque infraction pénale ne pourrait être intentée contre lui, mais que cette immunité implique uniquement que les poursuites pénales sont impossibles en Belgique.

Enfin, en ce qui concerne l’argument tiré de l’absence de déclaration fiscale, la cour le considère comme non pertinent, la demande formée devant elle concernant les seules cotisations sociales dont la retenue et le paiement à l’O.N.S.S. incombent à l’employeur et à lui seul.

La cour va dès lors examiner les montants réclamés et, plus particulièrement, le dommage subi du fait de la non-déclaration et du non-paiement des cotisations.

L’intéressé réclame, au titre d’indemnisation de son dommage, les cotisations de mutuelle qu’il a dû payer et la privation des allocations familiales. Ces montants sont chiffrés et ils sont accordés. En ce qui concerne la pension de retraite, le dommage exact ne peut être déterminé et il en va de même des allocations de chômage. La cour réserve dès lors à statuer sur ces points, tout en rappelant qu’au moment où il évalue le montant d’un dommage, le juge peut tenir compte d’événements ou de circonstances postérieurs à sa décision et qui sont de nature à influencer l’évaluation de l’indemnité.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles vient confirmer, avec un précédent arrêt auquel il se réfère (C. trav. Bruxelles, 15 septembre 2011, J.T.T., 2012, p. 83), qu’il ne peut plus être plaidé, par les Etats étrangers, une immunité de juridiction en ce qui concerne les demandes relatives à l’engagement et au licenciement de personnel de la mission n’ayant pas le statut diplomatique.

Un intérêt supplémentaire de cet arrêt est de confirmer la décision du premier juge, qui avait conclu à l’assujettissement pendant toute la période d’occupation (supérieure à 20 ans) et dit pour droit que l’Etat étranger doit payer les cotisations de sécurité sociale à l’O.N.S.S. pour la période correspondante, compte tenu notamment des règles de prescription.

Cet arrêt est dès lors susceptible de rétablir l’intéressé dans ses droits, l’occupation salariée étant admise pendant toute la période.

L’on notera enfin que la cour s’est attachée à examiner si l’intéressé avait, en sus, un préjudice complémentaire dans diverses branches de la sécurité sociale.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be