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Pharmacie en officine ouverte au public : renversement de la présomption du lien de subordination

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 septembre 2012, R.G. 2010/AB/1.075

Mis en ligne le jeudi 28 février 2013


Cour du travail de Bruxelles, 5 septembre 2012, R.G. n° 2010/AB/1.075

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 5 septembre 2012, la cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions d’application de la présomption contenue dans l’article 3bis (actuellement 3quater) de la loi du 3 juillet 1978 et reprend les éléments incompatibles avec la présomption de lien de subordination.

Les faits

Une diplômée en pharmacie, occupée dans un laboratoire, recherche un emploi en officine et il lui est proposé un emploi de pharmacienne adjointe indépendante. Les prestations se déroulent pendant six ans. L’ONSS réclame ultérieurement des cotisations de sécurité sociale, et ce pour les deux derniers trimestres d’occupation. L’intéressée intervient alors volontairement à la cause.

Le tribunal du travail de Liège, saisi de l’affaire, confirme l’existence d’un contrat d’entreprise, ce qui est également admis par la cour du travail.

L’affaire fait l’objet d’un arrêt du 10 mai 2010 de la Cour de cassation, et ce suite à un vice de procédure. Elle est alors renvoyée devant la cour du travail de Bruxelles.

Position des parties devant la Cour du travail de Bruxelles

La pharmacienne fait valoir la présomption de l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1978 (actuellement 3quater), qui prévoit que tout pharmacien exerçant une activité professionnelle dans une officine ouverte au public est réputé, jusqu’à preuve du contraire, se trouver dans les liens d’un contrat de travail d’employé vis-à-vis de la personne physique ou morale propriétaire ou locataire de l’officine.

Elle considère que la pharmacie n’établit pas l’existence d’éléments incompatibles avec un contrat de travail (absence d’écrit à l’engagement, immatriculation de l’intéressée au statut social et à la T.V.A. par le gérant, régularité des prestations, obligation de respecter des horaires, d’avertir par téléphone en cas d’absence, de demander l’autorisation pour prendre des congés, paiement des prestations à la journée imposé par la pharmacie, etc.). L’intéressée considère dès lors que l’activité était exercée dans les mêmes conditions que le pharmacien titulaire employé.

La pharmacie conteste, par contre, cette présentation des faits, exposant que l’intéressée était en litige à propos de cotisations sociales impayées et qu’elle restait également redevable de dettes très importantes vis-à-vis de l’administration des contributions. C’est suite à cette situation qu’elle a introduit une procédure en requalification du contrat.

Elle fait valoir que l’intéressée travaillait lors de son engagement, dans plusieurs officines, qu’elle choisissait son horaire, ses jours de travail, etc. et n’avait jamais demandé à être salariée.

Sur l’article 3bis, la pharmacie plaide que cette disposition n’interdit pas de conclure un contrat d’entreprise et qu’il y a lieu de rechercher la volonté réelle des parties. Rappelant plusieurs décisions de jurisprudence, elle pointe que ne sont pas incompatibles avec l’existence d’un contrat d’entreprise (i) le fait que la profession de pharmacien soit soumise à diverses prescriptions restreignant la liberté de celui-ci, (ii) le fait que l’activité de pharmacien remplaçant indépendant soit techniquement similaire à celle d’un salarié et (iii) l’existence d’un horaire précis, l’absence de liberté de gestion ainsi que l’absence de partage du risque économique. Elle souligne également que la commune volonté des parties a été respectée pendant plusieurs années, la contestation n’étant survenue qu’ultérieurement.

Quant à l’ONSS, il fait valoir que, dans le cadre de la procédure pendant devant la cour du travail de Liège, il a acquiescé à la décision du tribunal du travail concluant à l’existence d’un contrat d’entreprise. Il admet l’existence d’un faisceau d’indices de nature à renverser la présomption.

Décision de la cour

La cour reprend plusieurs décisions de jurisprudence, dont l’arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 2008 (Cass., 9 juin 2008, Chron. Dr. Soc., 2009, p. 28), selon lequel le fait pour un pharmacien d’établir mensuellement des factures correspondant à des jours de prestations variables, de s’absenter quand il le désire (absence non subordonnée à une autorisation mais seulement à un avertissement) sont des éléments non compatibles avec un lien de subordination. En conséquence, la présomption instaurée peut être renversée lorsque ces éléments sont établis. La relation de travail ainsi convenue est un contrat d’entreprise.

La cour va encore reprendre les conclusions de la cour du travail de Liège dans la présente affaire, qui avait relevé toute une série d’éléments considérés comme incompatibles avec un lien de subordination : la volonté des parties lors du début de la collaboration, la facturation de prestations souvent irrégulières, l’absence d’horaire imposé (liberté de prendre congé), l’absence d’obligation de justifier les absences pour maladie par certificat médical, l’absence d’ordres donnés, ainsi que le travail effectué pour d’autres pharmacies. La cour du travail de Liège a dès lors à juste titre, pour la cour du travail de Bruxelles, conclu que la présomption de l’article 3quater était renversée et que l’appelante avait exercé ses fonctions dans les liens d’une collaboration indépendante.

La cour va dès lors débouter l’intéressée de sa demande d’être reconnue comme travailleur salarié pour ses prestations de travail auprès de la pharmacie en cause.

Enfin, sur les dépens, la cour décide que, n’intervenant pas à la cause en qualité d’assurée sociale, l’intéressée doit se voir appliquer l’article 3 (et non l’article 4) de l’arrêté royal du 26 octobre 2007. L’objet du litige ayant une valeur située entre 2.500 et 5.000€, l’indemnité de procédure doit être taxée dans la tranche applicable à ce type de litige. Vu la complexité de l’affaire, elle est portée à son maximum, soit 1.650€.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Bruxelles rappelle, avec l’arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 2008, la portée de la présomption de l’article 3quater de la loi du 3 juillet 1978 et reprend les éléments jugés incompatibles avec le lien de subordination. S’il y a présomption légale, celle-ci peut être renversée par tous éléments liés à l’exécution de la convention, établissant l’absence d’autorité du donneur d’ordre sur le travailleur. La cour y rappelle également la distinction entre la subordination juridique et la dépendance économique.


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