Terralaboris asbl

Secteur de la construction : qu’est-ce qu’un chef d’équipe ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 octobre 2012, R.G. 2011/AB/1.016

Mis en ligne le mardi 26 février 2013


Cour du travail de Bruxelles, 22 octobre 2012, R.G. n° 2011/AB/1.016

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 octobre 2012, la Cour du travail de Bruxelles analyse la convention collective du 8 mai 2003 contenant les conditions de travail dans le secteur de la construction, eu égard à la notion de chef d’équipe : qu’est-ce que cette fonction implique concrètement ?

Les faits

Un ouvrier est engagé en qualité de maçon par une entreprise de la construction (maçon de 2e échelon). Le contrat est rompu quelques années plus tard, soit en mars 2009, avec annonce du paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 28 jours.

Suite à la rupture, l’intéressé contacte la société, via son organisation syndicale, afin de demander une requalification de fonction, en qualité de chef d’équipe.

La chose étant contestée, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Louvain, en paiement d’arriérés de rémunération pour une période de 5 ans, période qui sera encore allongée par conclusions déposées en cours de procédure.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 17 décembre 2010, le Tribunal du travail de Louvain ordonne une réouverture des débats, dont l’objet est de déterminer si l’intéressé peut prétendre concrètement remplir les conditions fixées par la convention collective de travail de secteur du 8 mai 2003, pour avoir la qualité de chef d’équipe. Sont notamment demandés des renseignements relatifs à la composition des équipes, ainsi qu’au nombre de travailleurs occupés.

Après avoir reçu les éléments demandés, le tribunal rend un second jugement, en date du 17 juin 2011, accueillant la demande initiale, soit celle relative aux arriérés pour les 5 ans précédant le licenciement.

La société interjette alors appel.

La décision de la cour

La question soumise à la cour porte sur l’article 22 de la convention collective de travail de secteur du 8 mai 2003, relative aux conditions de travail.

En vertu de cette disposition, le chef d’équipe est celui qui est aidé de plusieurs ouvriers et qui surveille un travail requérant sa participation manuelle. Il a droit à un salaire horaire dépassant d’au moins 10% celui correspondant à sa propre qualification professionnelle.

Il appartient dès lors, pour la cour, à l’intéressé d’établir qu’il occupait les fonctions pour lesquelles les arriérés sont réclamés et que l’employeur a commis un délit en ne lui attribuant pas le salaire correspondant. La charge de la preuve lui incombe en vertu des articles 1315, § 1er du Code civil et 870 du Code judiciaire. L’objet de la preuve porte sur les points suivants : il doit avoir effectué lui-même du travail manuel (participation manuelle), il doit avoir été aidé par plusieurs travailleurs et il doit avoir exercé une surveillance sur les travaux exécutés. Cette triple preuve devant être avérée, la cour exige de l’intéressé qu’il établisse avoir été aidé par plusieurs travailleurs et avoir exercé une surveillance.

Ne permettent pas d’arriver à cette conclusion les attestations déposées, selon lesquelles il ressort qu’il a pu travailler en tant que chef d’équipe sans que ne soient ainsi identifiés les critères exigés par la convention collective.

L’intéressé demandant à pouvoir faire entendre des témoins, la cour l’autorise à recourir aux moyens de preuve prévus par les articles 961/1 à 3 du Code judiciaire, à savoir le dépôt d’attestations écrites. La cour l’invite donc à fournir celles-ci, répondant aux conditions exigées par les articles susvisés. Est particulièrement exigée la preuve que, dans l’exécution de sa tâche, il a été aidé concrètement par des ouvriers (plusieurs), la cour exigeant que soit précisé en quoi cette aide consistait. La preuve de la surveillance sur les travaux et de la manière dont concrètement celle-ci a été exercée est également demandée.

Sur le plan des principes, la cour énonce ensuite que, contrairement à ce que soutient la société, celle-ci n’est pas libre de déterminer la catégorie du travailleur, la société se référant au chapitre 4 (article 11) de la convention collective, selon lequel il appartient au seul employeur d’apprécier le degré de qualification professionnelle de chaque ouvrier qu’il occupe.

La cour rappelle qu’en application de cette disposition, l’appréciation de la qualification appartient certes à l’employeur, mais que celle-ci doit cependant rester dans le cadre fixé par la convention collective et respecter les critères qui y sont définis pour déterminer la catégorie professionnelle des ouvriers. La cour renvoie ici à un arrêt rendu le 25 juin 2007 (C. trav. Brux., 25 juin 2007, Chron. Dr. Soc., 2008, p. 177).

L’employeur faisant encore valoir que l’intéressé, engagé comme maçon 2e échelon, n’a pas protesté pendant l’exécution du contrat, la cour renvoie à l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968, qui contient le principe de la hiérarchie des sources. Elle rappelle à cet égard l’arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 2000 (5 juin 2000, J.T.T., 2000, p. 420) : lorsque deux normes portant sur le même point sont inconciliables entre elles, la norme inférieure doit céder le pas sur la norme supérieure.

En outre, le silence du travailleur ne peut impliquer une renonciation au paiement de sa rémunération, celle-ci ne pouvant ressortir que de circonstances ou de comportements qui excluraient toute autre interprétation.

La cour va, en conséquence, ordonner une réouverture des débats aux fins de permettre d’apporter la preuve des fonctions concrètement exercées, et ce à la lumière des nouvelles dispositions du Code judiciaire sur les attestations de tiers.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle deux questions de principe :

  • L’appréciation du degré de qualification, telle que figurant en l’espèce dans la convention collective de secteur, doit respecter les critères déterminés pour chaque catégorie professionnelle ;
  • Le principe contenu dans l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 est d’écarter une norme inférieure lorsqu’elle est inconciliable avec une norme supérieure.

Enfin, la cour rappelle également que l’absence de protestation pendant l’exécution du contrat ne peut à elle seule impliquer la renonciation du travail à revendiquer le respect de ses droits.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be