Terralaboris asbl

Licenciement discriminatoire : règles de preuve

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 novembre 2012, R.G. 2011/AB/613

Mis en ligne le mardi 22 janvier 2013


Cour du travail de Bruxelles, 13 novembre 2012, R.G. n° 2011/AB/613

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 novembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine une demande de réparation pour discrimination dans les conditions de licenciement et rappelle les obligations de preuve dans le chef des deux parties.

Les faits

Madame L. a été engagée en qualité de professeure de langue suédoise par la Commission européenne. Sa charge de cours étant de 10 heures par semaine, elle est considérée comme engagée à mi-temps (vu les prestations complémentaires à effectuer en sus des heures de cours elles-mêmes).

Avec l’ensemble de ses collègues professeurs de langues contractuels au service des institutions européennes, l’intéressée est convoquée à une assemblée générale en juin 2004 (qui ne fait pas état d’une possibilité de licenciement). La rupture du contrat est notifiée concomitamment. Il est précisé, en ce qui la concerne, qu’elle atteindra l’âge de la pension légale le 27 juillet 2005 (à ce moment 63 ans) et qu’il sera dès lors mis un terme à son contrat au 31 juillet. Un préavis de treize mois à prester lui est ainsi notifié, du 1er juillet 2004 au 31 juillet 2005. Elle est remerciée pour ses services.

Elle fait assez rapidement valoir une discrimination en fonction de l’âge et du sexe, dans la mesure où les deux seuls professeurs qui sont licenciés avec préavis à prester sont des femmes.

Une procédure est dès lors introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles en dommages et intérêts.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 23 juillet 2010, le tribunal considère la demande fondée en ce qui concerne le caractère abusif du licenciement et condamne la Commission européenne et les Communautés à payer 12.500€ de dommages et intérêts. Il déboute cependant l’intéressée sur la question de la discrimination.

Celle-ci interjette appel du jugement.

Position de parties devant la cour

Plusieurs chefs de demande sont introduits, outre la discrimination. Il s’agit, comme en première instance, d’un complément d’indemnité compensatoire de préavis et de dommages et intérêts (beaucoup plus élevés) vu le caractère abusif du licenciement.

La Commission européenne et les Communautés forment appel incident, considérant à titre principal qu’il n’y a pas de licenciement abusif et à titre subsidiaire que le préjudice est beaucoup moins élevé.

Décision de la cour du travail

L’intérêt de la décision de la cour réside en l’espèce dans les développements qu’elle réserve à la question de la discrimination illicite, pour laquelle l’intéressée réclame un montant de l’ordre de 60.000€ de dommages et intérêts.

La cour rappelle les dispositions applicables à l’époque (2004), étant la loi du 7 mai 1999 sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l’accès à l’emploi et aux possibilités de promotion, l’accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale.

La discrimination fondée sur le genre est interdite, la loi distinguant la discrimination directe (toute différence de traitement basée de manière directe sur le sexe ou toute différence de traitement basée sur la grossesse ou la maternité – discrimination qui ne peut être justifiée en aucune circonstance) et la discrimination indirecte (disposition, critère ou pratique apparemment neutre, qui affecte une proportion nettement plus élevée de personnes d’un sexe, sauf si ceux-ci sont appropriés et nécessaires et peuvent être justifiés par des facteurs objectifs indépendants de ce critère). La cour rappelle ici les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interdiction de discrimination directe, pour lesquels seuls peuvent être présents des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination liée à la différence de sexe.

Par ailleurs, il y a lieu de tenir compte de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination, qui interdit également les discriminations directes ou indirectes. Si elle énonçait initialement une série de critères protégés, celle-ci a été annulée par arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 octobre 2004 (C. Const., 6 octobre 2004, arrêt n° 157/2004), étant que la loi a été rendue applicable à toutes les discriminations et ce quel que soit le motif sur lequel elles sont fondées. Les critères de référence de la loi sont également applicables, étant que toute différence de traitement doit pouvoir être justifiée de manière objective et raisonnable. En matière d’âge, la cour rappelle la directive européenne 2000/78, qui permet aux Etats de prévoir qu’une différence de traitement n’est pas une discrimination si elle est objectivement et raisonnablement justifiée dans le cadre du droit national par un objectif légitime (la directive se référant notamment aux objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle) et que les moyens de le réaliser sont appropriés et nécessaires. Aussi, le législateur a-t-il inclus en 2006 dans la loi du 25 février 2003 un article 2bis, qui reproduit les termes de la directive sur ce point.

La cour renvoie encore à la jurisprudence de la Cour de Justice selon laquelle une disposition légale qui prévoit la cessation automatique des contrats de travail en vue de l’âge de la retraite n’est pas nécessairement contraire à la directive, et ce même si elle ne tient pas compte du niveau de la pension de retraite à percevoir. Elle s’attache plus particulièrement à l’arrêt ANDERSEN (C.J.U.E., 12 octobre 2010, Aff. C-499/08), où il a été admis que constitue un moyen inapproprié le mécanisme qui aboutit à ce qu’un travailleur soit privé d’une indemnité de réinsertion professionnelle alors qu’il voulait rester sur le marché du travail, et ce au seul motif qu’il pourrait, vu son âge, bénéficier d’une pension.

L’arrêt s’étend encore sur les règles en matière de preuve, rappelant le mécanisme du partage de la preuve, qui figure dans les deux textes législatifs ci-dessus. S’agissant d’une discrimination directe, le travailleur doit prouver son appartenance à un groupe déterminé, la comparabilité de sa situation avec celle d’un travailleur qui n’appartient pas à ce groupe, ainsi que la différence de traitement. Il y a, alors, renversement de la charge de la preuve.

La cour va en conséquence procéder en deux temps, étant de voir en premier lieu s’il existe des faits permettant de présumer une discrimination, ce qui est le cas. Elle examine ensuite les moyens développés par la Commission européenne pour tenter de renverser la présomption et constate que celle-ci échoue à prouver que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs étrangers à une discrimination liée au sexe ou à l’âge. Elle rappelle encore qu’à l’époque n’était pas applicable l’article 2bis (ci-dessus) de la loi du 25 février 2003 (puisque introduit seulement par une loi du 20 juillet 2006) et qu’en conséquence, la mesure litigieuse ne pouvait être justifiée par un objectif de politique de l’emploi ou une différence d’âge d’accès à un régime professionnel de sécurité sociale. La cour considère surabondamment que, si une telle justification avait pu être avancée, elle ne serait cependant pas suffisante pour écarter une discrimination.

Victime d’une discrimination injustifiée, l’intéressée a subi un dommage particulier, étant une perte de chance de rester active sur le marché du travail, et ce alors qu’elle avait exprimé son souhait de continuer à travailler. La prestation du préavis l’a privée de la possibilité d’être immédiatement disponible et de rechercher un nouvel emploi dans de meilleures conditions. La cour évalue dès lors le dommage à 5.000€, en équité.

Intérêt de la décision

Cet arrêt statue, en matière de discrimination, dans le cadre des critères de la loi du 7 mai 1999 et de celle du 25 février 2003. Il rappelle les règles de preuve, précisant explicitement que, dans l’établissement des faits susceptibles de révéler l’existence d’une discrimination, le travailleur doit prouver son appartenance à un groupe déterminé (en fonction du sexe, de l’âge, de l’origine ethnique ou d’un autre critère protégé), la comparabilité de sa situation avec celle d’un travailleur qui n’appartient pas à ce groupe et la différence de traitement qu’il subit.

Pour ce, il peut disposer de tous les moyens de preuve et n’est pas tenu de se baser sur des tests de situation ou des statistiques (la cour rappelant d’ailleurs à cet égard qu’il ne s’agit que d’exemples de moyens de preuve et renvoyant à la doctrine de P. TAELMAN, « Het Handhavingsrecht van de Wet Bestrijding Discriminatie », Intersentia, 2004, p. 253, n° 58).

Par ailleurs, cette espèce contient également un volet licenciement abusif qui a été commenté précédemment, la question ayant été tranchée dans un arrêt du 24 avril 2012 (R .G. n° 2010/AB/913) à propos de plus de quarante autres professeurs concernés par la mesure.


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