Terralaboris asbl

Harcèlement : règles de preuve

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 octobre 2012, R.G. 2011/AB/10

Mis en ligne le vendredi 18 janvier 2013


Cour du travail de Bruxelles, 24 octobre 2012, R.G. n° 2011/AB/10

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 24 octobre 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions du Comité européen des droits sociaux sur l’infléchissement de la charge de la preuve en matière de harcèlement (et de discrimination).

Les faits

Une Dame D., agent statutaire d’une faculté universitaire, fait l’objet de détachements successifs auprès d’un institut scientifique. A l’appui des demandes de renouvellement, figure chaque fois une évaluation positive de son chef de département. Lors d’une demande de renouvellement (prolongation de mission) en 2003, l’évaluation devient critique, voire négative. L’intéressée demande à être entendue, réfutant les griefs émis.

Elle est alors mutée dans une autre section, où son chef de section donne un avis positif sur ses prestations. Sa mission est alors prolongée.

Entre-temps, peu avant l’évaluation négative, l’intéressée avait dû introduire une procédure contre l’assureur RC de l’institut où elle avait été détachée, et ce suite à un accident subi par son jeune fils.

En 2004, le jugement est rendu par le Tribunal de Première Instance, concluant à la responsabilité de celui-ci.

L’intéressée doit, dans le même temps, solliciter une nouvelle prolongation de sa mission et le rapport du chef de mission est alors de nouveau très critique (manque de courtoisie, manque de motivation, élément faible,…).

L’intéressée est auditionnée mais, à l’issue de cette audition, il est confirmé que sa mission ne sera pas renouvelée. Diverses démarches sont entreprises par elle auprès de plusieurs intervenants de sa hiérarchie. La mission auprès de l’institut scientifique est cependant arrêtée, et ce au motif des deux avis négatifs ci-dessus.

L’intéressée tombe alors en incapacité de travail et introduit une procédure assez rapidement, contre l’Etat belge, sur pied de la loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail. Elle demande condamnation au paiement de 50.000 € au titre de dommages et intérêts.

Deux ans et demi plus tard, elle est admise à la pension prématurée définitive pour inaptitude physique (fibromyalgie devenue chronique et influant négativement sur la reprise des activités).

Le tribunal du travail la déboute de son action et elle introduit un recours devant la cour du travail.

Décision de la cour

La cour rappelle la définition du harcèlement, ainsi que les règles en matière de preuve, étant le partage de la preuve, seul susceptible de permettre à la victime de faire reconnaître la réalité de sa situation.

Elle renvoie aux conclusions du Comité européen des Droits sociaux sur cette question, étant qu’une protection efficace peut exiger un infléchissement de la charge de la preuve. Le juge peut ainsi se forger une conviction sur la base d’éléments de présomption suffisants et de son intime conviction. Il s’agit ici d’un mécanisme qui s’inspire de celui existant en matière de discrimination (et la cour renvoie à plusieurs arrêts de la Cour de Justice, dont C.J.U.E., arrêts DANFOSS, 17 octobre 1989, Aff. C-109/88 et JÄMO, 30 mars 2000, Aff. C-236/98).

En l’espèce, la cour examine l’ensemble des faits invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande et retient que, pour celle-ci, la plainte en justice a constitué une charnière, puisque l’ensemble de ces faits (parmi lesquels elle pointe l’utilisation abusive de la procédure d’évaluation) est postérieur à l’intentement de la procédure devant le Tribunal de Première Instance.

Sur les évaluations, la cour retient que le fait d’y procéder n’est pas en soi abusif, mais que les modalités en étaient cependant manifestement irrégulières et qu’il y a eu violation des droits de défense, notamment lors du premier avis négatif.

Après avoir conclu à l’utilisation abusive des procédures d’évaluation, la cour en vient à l’examen du grief d’inexactitude de leur contenu, qu’elle constate, et souligne le discrédit dont l’intéressée a fait l’objet.

En ce qui concerne la preuve à rapporter par l’intéressée, la cour considère que sont établis (i) l’utilisation abusive et répétée de la procédure d’évaluation de manière irrégulière, (ii) le fait d’avoir utilisé des rapports des supérieurs directs de l’intéressée sans en avoir vérifié l’exactitude et (iii) l’éviction de l’intéressée de son bureau et son affectation dans un couloir, notamment. La cour en conclut que ces mesures vexatoires ont été prises à la suite de la procédure introduite.

Pour la cour, l’employeur doit dès lors renverser la présomption de harcèlement et elle conclut que ceci n’est pas le cas, ni en ce qui concerne le non-renouvellement de la mission ni le manque de motivation de l’intéressée. Elle va dès lors décider que la présomption n’est pas renversée et que la demande de dommages et intérêts est fondée.

Pour ce, elle admet l’existence d’un dommage (ébranlement de l’intéressée, suivi médical,…), dommage moral qualifié d’important. Par contre, le lien de causalité n’est pas suffisamment démontré en ce qui concerne la fibromyalgie (dont la cour dit cependant que le harcèlement a pu avoir une incidence sur celle-ci), de même que la décision de mise à la pension d’office.

Le dommage est fixé en équité à 15.000 €.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle, avec grand soin, l’organisation de la charge de la preuve en cette matière.

Sur le plan des principes, il renvoie à la position du Comité européen des Droits sociaux, qui a rappelé que le mécanisme s’inspire de celui existant en matière de discrimination. Il y a lieu, dans un premier temps, d’examiner les faits susceptibles de constituer les conduites abusives visées par le législateur et de déterminer si ces faits permettent de présumer le harcèlement. Une fois de tels faits admis, la présomption légale doit être renversée.


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