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Preuve de l’accident survenu sur le chemin du travail : tardiveté de la déclaration patronale et appréciation du caractère normal du trajet

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 avril 2007, R.G. 48.876

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 16 avril 2007, R.G. 48.876

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 16 avril 2007, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, statuant sur la preuve d’un accident sur le chemin du travail, que la tardiveté de la déclaration patronale (réalisée un an après les faits) est sans incidence. La Cour rappelle également que le trajet normal n’est pas nécessairement celui le plus court, cette donnée devant être interprétée raisonnablement.

Les faits

Monsieur V. est victime, au retour du travail, d’un accident de la route, étant percuté et renversé par un véhicule alors qu’il rejoignait, en mobylette, sa famille à leur caravane (résidence de vacances). Les faits se déroulèrent la veille d’un long week-end.

Il est hospitalisé directement, étant victime de fractures.

Quoique son épouse ait signalé, dès le mardi suivant (le lundi étant le jour de la fête nationale, à l’employeur la survenance de l’accident, celui-ci ne le déclara pas auprès de son entreprise d’assurances.

Cette déclaration n’intervint qu’un an plus tard, suite à l’invitation du conseil de Monsieur V., chargé du dossier « droit commun ».

L’entreprise d’assurances refusa de prendre en charge les faits, alléguant qu’il n’était pas prouvé que l’accident se soit produit sur le chemin du travail. Monsieur V. saisit le Tribunal du travail, qui estima que l’accident était établi et désigna un médecin expert pour se prononcer sur les séquelles subsistantes.

La position des parties

L’entreprise d’assurance fit valoir une série de moyens à l’encontre de la demande originaire, étant

  1. la tardiveté de la déclaration,
  2. le fait que l’intéressé se rendait non à son domicile mais à la caravane familiale,
  3. l’anormalité du trajet tant dans son aspect géographique que temporel (la société invoque ainsi un détour). Pour l’entreprise d’assurances, l’itinéraire suivi pour rejoindre la caravane n’est pas normal et a été très long par rapport à la distance parcourue.

La décision de la cour

Répondant au premier argument (tardiveté de la déclaration patronale d’accident du travail), la Cour rappelle que c’est à l’employeur qu’il appartient de déclarer l’accident (article 62, loi du 10.04.1971), sans que ce dernier ne puisse apprécier s’il estime qu’il s’agit ou non d’un accident du travail. Relevant que Monsieur V. prouve avoir prévenu son employeur dans les jours qui ont suivi l’accident, la Cour estime que, dès lors que l’action est introduite dans le délai de prescription, aucune conséquence ne peut être déduite du retard apporté par l’employeur dans l’accomplissement de ses obligations.

Quant à la question de savoir si le trajet lieu du travail / caravane constitue un chemin du travail, la Cour relève qu’il est établi que Monsieur V. et sa famille passent leurs week-ends, entre Pâques et septembre, dans une caravane résidentielle. Elle note par ailleurs que la notion de résidence, vocable utilisé par l’article 8 de la loi du 10 avril 1971, est très large, de sorte qu’elle englobe également, outre le domicile légal, tout autre lieu où le travailleur habite au moins temporairement. La résidence « de campagne » de Monsieur V., où il avait l’intention de rester jusqu’au mardi suivant, est donc sa résidence au sens légal.

La Cour examine ensuite le caractère normal du trajet. Sur le plan des principes, elle rappelle ainsi que

  1. le trajet normal n’est pas nécessairement le trajet en ligne droite ou le plus court,
  2. le travailleur a le choix de l’itinéraire et n’est pas obligé de prendre le même chemin chaque jour,
  3. les logiciels d’itinéraires (ainsi que les données temporelles fournies) ne sont pas nécessairement probants, dans la mesure où ils sont proposés eu égard à une situation de circulation idéale.

En l’espèce, afin de circonscrire la durée du trajet, la Cour tient compte de l’heure de départ effectivement, qui est de 45 minutes après l’heure de fin de travail telle que prévue par l’horaire (le travailleur s’étant changé et rafraîchi avant de prendre la route).

Elle relève ensuite que le détour allégué par l’entreprise d’assurances ne se fonde que sur les données des logiciels d’itinéraire, alors que le trajet suivi apparaît raisonnable, rationnel et approprié et qu’elle n’établit pas qu’il s’agit du chemin le plus dangereux.

Tenant compte des circonstances propres à l’espèce (départ un vendredi après-midi, du centre de Bruxelles, la veille d’un long week-end), la Cour estime que le travailleur pouvait choisir un autre chemin que les routes secondaires ou les grands boulevards. Elle valide dès lors le trajet eu égard au critère géographique.

Quant au critère temporel, la Cour retient à la fois la vitesse du véhicule (petite cylindrée) et l’incidence de la circulation bruxelloise en heure de pointe sur la longueur du temps de parcours (encore aggravée par la circonstance qu’il s’agit d’un vendredi, veille d’un week-end prolongé par le congé du 21 juillet). Sur la base de ces circonstances, elle réfute la thèse du trajet anormalement long et rejette l’hypothèse du détour.

Intérêt de la décision

Outre qu’il s’agit d’un cas pratique d’examen du caractère normal d’un chemin du travail (examen de la normalité du trajet eu égard aux critères géographique et temporel), l’arrêt a le mérite de rappeler que, dès lors que l’employeur a eu connaissance de l’accident, aucune conclusion, sur le plan de la preuve de l’accident, ne peut être déduite du délai mis par lui à effectuer la déclaration d’accident auprès de l’entreprise d’assurances auprès de laquelle il est assuré.

L’argument n’est en effet pas rare, quoique non pertinent, comme le rappelle à juste titre la Cour dans cet arrêt.


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