Terralaboris asbl

Prestations de deux mi-temps auprès d’employeurs différents : droit aux allocations d’interruption de carrière

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 septembre 2012, R.G. 2011/AB/1.150

Mis en ligne le jeudi 27 décembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 6 septembre 2012, R.G. n° 2011/AB/1.150

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 6 septembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles réinterroge la Cour constitutionnelle sur le droit pour un travailleur occupé à temps partiel (avec allocations d’interruption de carrière), dans l’hypothèse où sont prestés en même temps deux temps partiels totalisant un temps plein.

Les faits

Une employée sollicite une interruption de carrière (réduction du temps de travail d’1/5e) à partir du 1er novembre 2003 dans le cadre du congé parental. Elle bénéficie des indemnités d’interruption.

En accord avec son employeur, elle réduit ses prestations à 30% d’un temps plein, à partir du 1er octobre 2005. Dans le même temps, elle conclut un second contrat à temps partiel dans le cadre duquel elle travaille à raison de 70%. Ces modalités de nouvelle occupation sont provisoires et il est convenu qu’à l’issue de sa collaboration dans le cadre du second temps partiel, elle reviendrait à temps plein auprès de son employeur originaire.

Par décision du 16 janvier 2007, le directeur du bureau régional de l’ONEm décide de procéder à la révision du droit aux indemnités pour interruption de carrière pour la période du 1er octobre 2005 au 31 octobre 2006. Le motif invoqué est l’absence de temps plein auprès d’un seul employeur. Le montant des indemnités à rembourser est communiqué ultérieurement.

Une procédure est dès lors introduite par l’intéressée devant les juridictions du travail.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 14 novembre 2011, le Tribunal du travail de Louvain accueille la demande et la déclare fondée. Pour le tribunal, l’intéressée pouvait faire valoir ses droits à des allocations d’interruption de carrière pendant la période considérée, dans la mesure où elle devait être considérée comme un travailleur à temps plein. La réglementation est jugée contraire au principe constitutionnel d’égalité, s’il y a lieu de considérer que ces indemnités doivent être refusées au travailleur qui travaille à temps plein mais dans le cadre de deux contrats de travail distincts. Le tribunal renvoie, dans un raisonnement par analogie, à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 mars 2009 (C. Const., 25 mars 2009, arrêt n° 63/2009).

Position des parties en appel

L’ONEm rappelle qu’en vertu des articles 102 et 105, § 1er de la loi de redressement du 22 janvier 1985 et de ses arrêtés d’exécution, les indemnités d’interruption de carrière ne peuvent être accordées qu’à un travailleur occupé à temps plein, auprès d’un seul employeur. Ceci se déduit des termes repris dans la réglementation, qui visent « l’employeur ».

Pour l’ONEm, l’on ne peut raisonner par analogie avec l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 mars 2009, la situation de fait étant fondamentalement différente. S’il s’agissait d’une personne qui occupait deux mi-temps auprès de deux employeurs différents, elle avait obtenu une interruption complète de ses prestations pendant une période de trois mois auprès d’un de ses employeurs et ensuite avait sollicité une interruption complète auprès du second. La conclusion de la Cour constitutionnelle dans ce cas de figure doit être limitée à celui-ci et le cas présent n’est en aucune manière comparable.

Quant à l’intéressée, elle sollicite la confirmation du jugement.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle le texte des articles 102 et 105, § 1er de la loi de redressement du 22 janvier 1985, ainsi que l’article 2 l’arrêté royal du 2 du 29 octobre 1997, relatif à l’introduction d’un droit au congé parental dans le cadre d’une interruption de la carrière professionnelle. En vertu de celui-ci, le travailleur a le droit, afin de prendre soin de son enfant, de suspendre ses prestations de travail à temps partiel pendant une période de quinze mois (diminution d’1/5e – conformément à l’article 102 de la loi) lorsqu’il est occupé à temps plein. L’article 4 du même arrêté royal dispose que, pour obtenir le bénéfice du droit au congé parental, le travailleur doit avoir été dans les liens d’un contrat de travail avec l’employeur qui l’occupe pendant douze mois au cours des quinze mois qui précèdent la demande. Pour la cour, la seule condition posée est l’exercice du droit à l’interruption de carrière et dès lors l’occupation d’un temps plein.

La question de savoir si l’on peut assimiler à celui-ci un travailleur engagé dans le cadre de deux temps partiels est, pour la cour, moins évident. Dans l’arrêt du 25 mars ci-dessus, la Cour constitutionnelle a rappelé la référence au terme « son employeur » et en a conclu (B.9) qu’en prévoyant que le travailleur peut convenir d’une réduction de ses prestations de travail avec « son employeur », la disposition en cause ne peut viser l’ensemble des employeurs qui occupent un travailleur cumulant différents emplois à temps partiel équivalents à un temps plein.

Elle rappelle que la Cour constitutionnelle a considéré que, dans cette interprétation, il y a violation du principe d’égalité dans la mesure où existe une différence de traitement entre deux catégories de travailleurs qui, dans les faits, sont occupés à temps plein, sans que cette distinction ne semble justifiée.

Elle conclut que même si prima facie les développements faits par la Cour constitutionnelle dans cet arrêt pourraient être transposés à la situation du cas d’espèce, il faut interroger celle-ci.

En effet, dans son arrêt du 25 octobre 2009, la Cour constitutionnelle a considéré qu’en écartant du bénéfice du droit au congé parental à mi-temps pour une période de six mois les travailleurs qui sont occupés à temps plein par le cumul de deux emplois mi-temps auprès de deux employeurs, la disposition en cause traite de manière différente des travailleurs occupés à temps plein, pour la seule raison qu’ils occupent deux emplois à mi-temps, par rapport aux travailleurs occupés à temps plein auprès d’un seul employeur, sans que cette différence de traitement soit justifiée. La Cour constitutionnelle a poursuivi en précisant que, en cas de deux mi-temps effectués pour deux employeurs différents, il n’y a aucune difficulté pratique ni aucun risque de perturber le bon fonctionnement des entreprises, qui soit susceptible de justifier le refus du congé parental à mi-temps pendant six mois. La cour relève qu’il est ainsi possible pour le travailleur de convenir d’un congé parental de trois mois avec un employeur l’occupant à mi-temps et de compléter ce congé parental par un second, convenu avec le nouvel employeur. De la sorte, chacun est appelé à supporter la réduction du temps de travail, et ce à concurrence du temps presté chez lui. En ce qui concerne le travailleur, la réduction du temps de travail et les indemnités qui lui sont octroyées seront les mêmes que s’il était occupé à temps plein après d’un seul employeur.

La question qui est dès lors posée dans l’arrêt à la Cour constitutionnelle va ainsi porter sur la question de savoir si les dispositions visées de la loi du 22 janvier 1985 violent les articles 10 et 11 de la Constitution s’ils sont interprétés en ce sens que le droit à une allocation pour interruption de carrière ne peut être octroyée au travailleur certes occupé à temps plein mais cumulant deux emplois à temps partiel, équivalant respectivement à 70% et à 30% d’un temps plein, auprès de deux employeurs distincts, compte tenu du fait qu’ils ont tous deux été informés et ont marqué accord sur la scission d’un emploi initialement à temps plein en deux temps partiels.

Intérêt de la décision

Cette question posée par la Cour du travail de Bruxelles est susceptible de trouver de nombreux cas d’application, ayant comme particularité, en l’occurrence de viser deux temps plein de durée inégale.

L’affaire est inscrite au greffe de la Cour sous le numéro de rôle 54.78 (NL), la question ayant été publiée au Moniteur Belge du 11 octobre 2012.

Affaire à suivre …


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