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Les insultes proférées par un enfant (enseignement spécial) constituent un événement soudain dans le chef de l’enseignant

Commentaire de C. trav. Liège, 5 avril 2007, R.G. 7.735/2004

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Liège, section Namur, 5 avril 2007, R.G. 7.735/2004

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 5 avril 2007, la Cour du travail de Liège admet que la crise de colère d’un enfant atteint d’un handicap mental lourd constitue un événement soudain. Elle s’appuie sur la circonstance de l’absence de formation spécifique de l’enseignante et son peu d’expérience de l’enseignement spécial.

Les faits

Mme V., titulaire d’un diplôme d’un graduat d’assistante de direction, est engagée par contrat à durée déterminée par un établissement d’enseignement spécial, contrat prenant fin à l’issue de l’année scolaire 2001-2002 (30 juin 2002).

Le 22 octobre 2001, alors qu’elle donnait sa leçon à des élèves présentant un handicap mental sévère (enseignement de type 2), l’un des enfants piqua une crise de rare violente, renversant un banc et injuriant l’enseignante.

Elle fut par ailleurs victime d’un accident de la circulation sur le chemin du travail, en rejoignant son domicile.

Mme V., qui estime que cet incident a une répercussion sur son état mental (elle invoque des insomnies et des attaques de panique à l’idée de devoir enseigner), déclare les faits comme accident du travail en date du 3 décembre 2001. Elle joint à cette déclaration une attestation médicale, invoquant, comme lésion, un état de stress post-traumatique et faisant état d’une incapacité de travail d’une durée indéterminée.

Elle restera en incapacité jusqu’à l’échéance de son contrat.

La Communauté française refuse, par décision du 9 avril 2002, de considérer les faits relatés comme constitutifs d’un événement soudain, aux motifs qu’il s’agirait d’un incident banal dans l’enseignement spécial.

Mme V. introduit alors une procédure devant le Tribunal du travail de Liège en juin 2002, sollicitant la condamnation de la Communauté française au paiement des indemnités légales.

Le Tribunal du travail déclare l’action recevable mais non fondée.

Mme V. interjette appel de cette décision, demandant à la Cour de reconnaître que les faits du 22 octobre 2001 constituent un événement soudain. Elle demande par ailleurs la désignation d’un médecin expert pour l’évaluation des séquelles subsistant ensuite de cet accident.

La décision de la Cour

La Cour relève tout d’abord que les faits allégués par Mme V. (crise de colère de l’enfant ainsi que les insultes) sont établis.

Elle ajoute que ceux-ci n’auraient peut-être pas été de nature à ébranler le psychisme d’un enseignant spécialement formé à la prise en charge d’enfants affectés d’un handicap mental lourd et aux confrontations violentes qui peuvent survenir.

Cependant, il s’agit en l’espèce d’une personne n’ayant pas reçu une telle formation et ne disposant pas d’expérience en la matière. La Cour estime que Mme V. n’était pas préparée à la situation à laquelle elle a été confrontée.

Elle retient en conséquence que la crise de l’enfant, qualifiée de violente, imprévisible et non maîtrisable, constitue un événement soudain.

Quant à la lésion, la Cour relève l’existence de certificats médicaux attestant d’un état de stress post-traumatique ainsi que l’incapacité temporaire de travail jusqu’au 30 juin 2002. Elle note également l’absence de suivi psychologique (deux séances ont été suivies auprès d’un psychologue, sans poursuite). Quoique Mme V. dépose une attestation médicale évoquant une IPP de 5%, la Cour estime qu’aucun élément probant ne démontre la persistance d’une lésion post-traumatique au-delà de la période d’incapacité temporaire prise en charge par la Communauté française (dans le cadre de l’accident sur le chemin du travail).

Eu égard à ces éléments, la Cour estime l’appel non fondé et confirme le jugement, qui avait rejeté la demande d’indemnisation.

Intérêt de la décision

La Cour retient l’événement soudain susceptible de causer la lésion eu égard à l’inexpérience de la victime et l’absence de formation pour l’enseignement à des enfants atteints d’un handicap lourd. Elle semble estimer que, s’il s’était agi d’un enseignant spécialement formé et aguerri à la prise en charge d’enfants scolarisés en enseignement spécial de type 2, il n’y aurait pas événement soudain susceptible de causer une lésion psychique. La juridiction liégeoise confirme ainsi une jurisprudence en matière d’accident causant des lésions psychiques, qui fait découler l’existence de l’événement soudain des conséquences que le fait épinglé a pu entraîner chez la victime.

Il faut regretter ce type d’appréciation, l’incidence d’un événement sur le psychisme d’une personne variant d’une personne à l’autre, en fonction notamment d’un éventuel état antérieur, qui en cette matière ne peut faire obstacle à la réparation.

Enfin, relevons que le dispositif de l’arrêt est très curieux : alors que l’événement soudain et la lésion est établie et qu’il y a eu incapacité de travail en raison de cet accident, la demande de réparation est purement et simplement rejetée. Or, si l’accident a cessé d’exercer son influence sur l’état de la victime, il y a lieu à l’absence de reconnaissance d’une incapacité permanente et non au rejet de la demande, qui exclut ainsi toute réparation des frais médicaux. L’appréciation médicale faite par la Cour, sans recours à l’avis d’un médecin, laisse songeur.


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