Terralaboris asbl

Personne hébergée en maison de repos : intervention du CPAS

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 août 2012, R.G. 2011/AB/331

Mis en ligne le mercredi 5 décembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 6 août 2012, R.G. n° 2011/AB/331

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 6 août 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’articulation entre les articles 1410, § 3 du Code judiciaire et 98, § 1er de la loi organique des CPAS, afin de calculer le montant de l’aide sociale, eu égard aux revenus de l’intéressé à prendre en compte.

Les faits

Une veuve (septuagénaire) souffrant de divers troubles psychiques est mise sous administration provisoire à l’initiative du CPAS de sa commune. Dans un épisode aigu, elle est admise en urgence à l’hôpital et transférée, ensuite, en maison de repos. Vu d’importants troubles psychologiques, elle est ensuite admise dans une structure plus adaptée à son état.

Elle bénéficiait d’un revenu d’intégration, dans l’attente de l’octroi d’une pension de survie ainsi que d’une pension étrangère, vu la carrière de son mari effectuée à l’étranger.

Vu les difficultés financières dans lesquelles elle se trouve, l’administrateur provisoire introduit une demande d’aide sociale, étant une intervention dans les frais de séjour sous déduction des 2/3 des revenus en application de l’article 1410, § 3 du Code judiciaire.

Un ordre permanent est dès lors introduit au bénéfice du home, d’un montant équivalent aux 2/3 des revenus (et un autre l’est également pour son argent de poche). Le solde des frais d’hébergement est à charge du CPAS.

Le dossier fait l’objet d’une revision en 2010 et, dans le cadre de celle-ci, le Centre subordonne la prise en charge par lui-même des frais d’entretien et autres frais divers à la condition du versement de tous les revenus à la maison de repos.

Un recours est introduit contre cette décision.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 10 mars 2011, le tribunal du travail fait droit à la requête de l’administrateur provisoire et confirme que le CPAS est tenu d’accorder la prise en charge des frais d’entretien et autres frais divers, sous déduction des 2/3 des revenus de l’intéressée, en application de l’article 1410, § 3 du Code judiciaire. Quant à l’argent de poche (84,46€), le tribunal considère qu’il doit être imputé sur le tiers restant.

Appel est interjeté par le CPAS.

Position des parties en appel

Le CPAS considère qu’il n’y a pas lieu de faire application de l’article 1410, § 3 du Code judiciaire, qui détermine le plafond de cessibilité de certains revenus en cas d’hospitalisation aux frais des CPAS. Il s’agit d’une dérogation aux règles générales de cessibilité des revenus. En l’occurrence, il n’y a aucune cession opérée au profit du Centre mais une décision de prise en charge pour ce qui dépasse le total des revenus de l’intéressée. Il considère avoir fait une juste application des dispositions légales, étant en l’occurrence l’article 98, § 1er, alinéa 1er de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS, qui dispose que le CPAS fixe la contribution du bénéficiaire dans les frais de l’aide sociale, en tenant compte des ressources de l’intéressé.

Il estime en conséquence qu’il pouvait intervenir à concurrence de la différence entre la facture de la maison de repos et la totalité des revenus de l’intéressée.

Pour le CPAS, il y a une finalité différente aux deux dispositions visées, étant que l’article 1410, § 3 du Code judiciaire s’applique à des débiteurs se trouvant dans une situation de saisie ou de cession de revenus (l’objectif étant de protéger le patrimoine par la garantie d’une quotité insaisissable qui échappe aux créanciers) tandis que l’article 98 organise les relations entre le demandeur d’aide sociale et le CPAS. Il rappelle que la matière de l’aide sociale ne contient aucune disposition qui permettrait d’exonérer certaines ressources, à l’instar de ce qui prévaut en matière d’intégration sociale, toutes les ressources devant être comptabilisées.

Quant à l’administrateur provisoire, il demande confirmation du jugement a quo et se livre à un calcul des sommes dont l’intéressée dispose, soit un montant de l’ordre de 1.500€ par mois. Les frais auxquels elle doit faire face sont de l’ordre de 1.700€, auxquels il convient d’ajouter les frais de l’administration provisoire ainsi que ceux exposés pour prestations exceptionnelles.

En ce qui concerne l’articulation des deux dispositions, l’administrateur relève que l’article 98 fait référence à l’application d’autres dispositions légales et réglementaires, ce qui est pris en compte en l’espèce, étant la règle de l’article 1410, § 3 du Code judiciaire. L’article 98, § 1er s’applique à tous les bénéficiaires de l’aide sociale et l’article 1410, § 3 du Code judiciaire vise de façon spécifique les personnes hospitalisées aux frais des CPAS et du fonds spécial d’assistance. Il faut dès lors accorder la priorité à l’article 1410, § 3 du Code judiciaire en application du principe « lex specialis derogat legi generalis ».

Il se réfère également à une décision du tribunal du travail de Bruxelles (Trib. trav. Bruxelles, 31 juillet 2006, R.G. n° 11.333/05), selon laquelle l’article 1410, § 3 du Code judiciaire vise à fixer un taux de cession ou de saisissabilité maximale. Cette disposition est, selon le jugement, d’application à la contribution aux frais de l’aide sociale réclamée en vertu de l’article 98, § 1er.

Enfin, l’administrateur fait valoir qu’il est généralement admis qu’elle vise toutes les institutions d’hébergement, en particulier les maisons de repos.

En sus d’autres arguments relatifs à sa gestion, l’administrateur provisoire rappelle également un autre jugement du même tribunal (Trib. trav. Bruxelles, 25 février 2011, R.G. n° 16.597/10), selon lequel la contribution aux frais de l’aide sociale peut être limitée aux 2/3 des revenus, le tiers restant devant être utilisé pour l’argent de poche ainsi que pour les frais non pris en charge par le CPAS.

Décision de la cour du travail

La cour va donc apprécier l’articulation à donner aux deux dispositions et considérer, contrairement à la thèse de l’administrateur provisoire, que les dispositions visées ont une vocation distincte. Les articles 1409 et 1410 du Code judiciaire vont protéger le patrimoine du débiteur tandis que l’article 98 de la loi organique règle les relations entre le demandeur d’aide sociale et le CPAS. Il considère que toutes les ressources de l’intéressé doivent être prises en considération, et ce même pour les personnes hébergées. En l’espèce, la décision querellée est une décision d’octroi d’une aide sociale. Cette aide sociale prend la forme d’une prise en charge des factures d’une maison de repos pour ce que l’intéressée ne peut acquitter par elle-même.

Dans la mesure où le CPAS prend en charge des frais de séjour, les frais supplémentaires (tels que la lessive et les frais médicaux) et admet également la prise en compte des honoraires de l’administrateur provisoire, tous les revenus de l’intéressée doivent être pris en considération pour le paiement des frais (hors l’argent de poche). Sur un point cependant, étant la mission de l’administrateur provisoire et les honoraires y liés, la cour considère que l’administrateur provisoire n’a pas à envoyer de facture distincte au CPAS, n’ayant de compte à rendre qu’au juge de paix qui l’a désigné en cette qualité.

Elle autorise dès lors celui-ci à déduire tous les mois des pensions de l’intéressée un montant de l’ordre 170€ (qui va couvrir l’argent de poche, des menus frais ainsi que ses honoraires).

Intérêt de la décision

La solution dégagée par l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles suit l’argumentation du CPAS, selon laquelle les deux dispositions légales ont une vocation distincte. Les relations entre le CPAS et le demandeur de l’aide sociale sont couvertes par l’article 98 de la loi organique des CPAS et il n’y a pas lieu d’appliquer – en dehors d’une cession ou d’une saisie – l’article 1410, § 3 du Code judiciaire.


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