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Aide sociale : caractère subsidiaire de l’intervention du CPAS à l’égard d’un interné dans le cadre de la loi de défense sociale

Commentaire de C. trav. Liège, 8 juin 2012, R.G. 2011/AL/460

Mis en ligne le jeudi 29 novembre 2012


Cour du travail de Liège, 8 juin 2012, R.G. n° 2011/AL/460

Terra Laboris asbl

Dans un imposant arrêt du 8 juin 2012, la Cour du travail de Liège rappelle, à propos d’un interné dans le cadre de la loi de défense sociale, les principes guidant la notion de vie conforme à la dignité humaine ainsi que le rôle respectif de l’Etat belge et du CPAS dans la garantie de la mise en œuvre de ce droit.

Les faits

Monsieur D., souffrant de sévères troubles de santé mental, a bénéficié du revenu d’intégration en complément à son allocation de remplacement de revenus perçue dans le cadre des allocations accordées aux personnes handicapées. Il est incarcéré dans un établissement pénitentiaire, où il est interné en section psychiatrique dans le cadre de la loi de défense sociale du 1er juillet 1964. Le paiement du revenu d’intégration a été suspendu par le CPAS à partir de ce moment en application de l’article 39 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale.

Une demande est introduite par l’assistante sociale aux fins d’obtenir une aide sociale lui permettant de cantiner. L’intéressé ne bénéficie en effet pas de travail en prison et tous ses frais ne sont pas couverts. Le montant postulé est de 56€ par mois.

Le CPAS refuse son intervention au motif que l’ensemble des besoins de l’intéressé sont supposés pris en charge par les services pénitentiaires.

Décision du tribunal du travail

Saisi par l’administrateur provisoire de l’intéressé, le Tribunal du travail de Huy va examiner le droit à l’aide sociale postulée, le CPAS ayant dans le cadre de la procédure assigné l’Etat belge en intervention forcée en vue d’obtenir sa condamnation à prendre en charge la demande d’aide financière ou, à tout le moins, àe le garantir de toute condamnation qui serait prononcée contre lui.

Il condamne le CPAS à payer la somme réclamée et met l’Etat belge hors cause.

Appel est interjeté par le CPAS.

Position des parties devant la cour

Le CPAS fait valoir à titre principal que la privation de liberté implique en soi certaines restrictions et que l’intéressé doit limiter ses dépenses. Sur la demande en intervention, il rappelle le caractère subsidiaire de l’intervention des centres publics d’action sociale, la loi de défense sociale mettant à charge de l’Etat les frais d’entretien des internés indigents.

L’administrateur provisoire demande la confirmation du jugement ou, dans l’hypothèse d’une réformation partielle en ce qui concerne l’identité du débiteur, condamnation de l’Etat belge à toutes sommes non prises en charge par le CPAS, nécessaires à la couverture des besoins élémentaires de l’intéressé.

Quant à l’Etat belge, il estime qu’il y a lieu d’opérer une distinction entre la notion de « vie conforme à la dignité humaine » et les conditions de détention conforme à la dignité humaine (qui prohibe des conditions de détention inhumaines et dégradantes).

Décision de la cour du travail

La cour commence par le rappel du principe constitutionnel du droit à la dignité humaine, droit universel et indivisible, rappelé à l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS et qui doit bénéficier à toute personne.

Elle fustige ensuite le distinguo opéré entre le droit à la dignité humaine et des conditions de détention conformes à la dignité humaine, qui seraient limitées à des conditions non inhumaines ou dégradantes, et ce à la lumière des textes internationaux. Elle rappelle particulièrement la Recommandation n° R (87) 3 du Conseil de l’Europe du 12 février 1987 contenant notamment de nombreuses directives sur les conditions matérielles de vie des détenus. Même s’il ne s’agit pas d’un texte contraignant, il contient des règles constituant une ligne de conduite pour les Etats membres dans l’élaboration de la politique pénitentiaire. La cour reprend longuement diverses dispositions de cette Recommandation.

Dans le droit interne, elle rappelle que l’internement n’est pas constitutif d’une peine ou d’une mesure privative de liberté et qu’il est ainsi exclu de la loi du 12 janvier 2005. Cependant, dans la mesure où l’internement s’exécute dans la section psychiatrique d’un établissement pénitentiaire (phase de mise en observation), la question de l’application par analogie des règles de la détention est posée et la cour les étudie également, prenant aussi en compte la loi du 2 avril 2007 relative à l’internement des personnes atteintes d’un trouble mental (qui n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2013). La cour considère que ce dernier texte énonce des principes devant dès à présent guider le juge dans son interprétation.

En ce qui concerne plus spécifiquement les obligations du CPAS, elle rappelle qu’outre l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976, il faut se référer aux articles 57, § 1er et 60, § 1er, alinéa 1er du même texte, en vertu desquels le CPAS a pour mission d’assurer aux personnes et aux familles l’aide due par la collectivité ; l’intervention du centre est, si elle est nécessaire, précédée d’une enquête sociale, disposition qui concrétise le caractère fondamentalement subsidiaire de l’intervention du CPAS.

Elle va conclure, sur la détermination du débiteur de l’aide, qu’en premier chef c’est l’Etat belge qui doit fournir aux internés indigents, soit en nature, soit par l’octroi d’une aide sociale, les biens de consommation s’avérant indispensables. A défaut, l’Etat belge commet une faute qui peut faire l’objet de réparation. Pour la cour, la carence de l’Etat belge ne dispense cependant pas le CPAS d’exercer sa mission légale au sens de la loi du 8 juillet 1976. Saisi d’une demande d’aide sociale d’un détenu ou d’un interné, après vérification de sa compétence territoriale, il doit effectuer une enquête sociale aux fins de déterminer l’étendue du besoin d’aide et de proposer les moyens les plus appropriés pour y faire face. La mission du CPAS impose également qu’il apporte son assistance à l’interné pour faire valoir auprès de l’Etat belge son droit à une vie conforme à la dignité humaine durant son internement. Dans l’intervalle, il est tenu d’intervenir à titre provisionnel en sa faveur jusqu’à la complète exécution par le débiteur principal de ses obligations. La cour rappelle que celles-ci trouvent leur fondement dans les lois du 12 janvier 2005 et / ou du 1er juillet 1964.

En l’espèce, elle considère qu’il y a lieu pour le CPAS de Huy de démontrer la faute qu’il impute à l’Etat belge, non abstracto mais in concreto, ainsi que le dommage dont il entend obtenir réparation.

Examinant les éléments qui lui sont soumis, la cour apprécie concrètement compte tenu des ressources dont disposait l’intéressé (soit à titre personnel, soit sous forme d’une aide remboursable du Fonds d’entraide de la prison, soit encore sous forme d’aide sociale) comment il a pu couvrir ses besoins indispensables. Elle estime devoir ouvrir les débats sur cette question et demande également au CPAS et à l’Etat belge de déposer des documents complémentaires.

Elle statue cependant d’ores et déjà sur un point important : l’Etat belge est au premier chef tenu de garantir aux personnes internées en raison de leur état mental, soit dans la section psychiatrique d’un établissement pénitentiaire, soit dans l’un des établissements ou sections de défense sociale organisés par l’autorité fédérale, les moyens leur permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine pendant leur internement. Ce droit est fixé à l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976 ainsi qu’à l’article 23, alinéa 2 de la Constitution. Il doit être concrétisé soit en nature, soit par l’octroi d’une aide financière permettant aux intéressés de se procurer les biens de consommation et les soins indispensables à cet effet (arrêt, p30).

Intérêt de la décision

La cour se livre dans cet arrêt à un examen approfondi de la notion de droit à la dignité humaine, illustrant sa démonstration de nombreuses références de doctrine et de jurisprudence.

L’arrêt désigne l’Etat belge comme devant en premier lieu assurer les moyens de mener cette vie conforme à la dignité humaine, confirmant ainsi le rôle subsidiaire de l’intervention du CPAS.


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