Terralaboris asbl

Revenu d’intégration sociale : l’absence de possibilité de sursis de la suspension est une violation des articles 10 et 11 de la Constitution

Commentaire de C. trav. Liège, 27 avril 2012, R.G. 2011/AL/225

Mis en ligne le mercredi 7 novembre 2012


Cour du travail de Liège, 27 avril 2012, R.G. n° 2011/AL/225

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 27 avril 2012, la Cour du travail de Liège conclut qu’il ne peut être donné effet à une mesure de suspension du revenu d’intégration, celle-ci n’ayant pas et n’ayant pas pu envisager la possibilité d’un sursis. Pour la cour du travail, il y a violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Les faits

Un bénéficiaire de RIS fait l’objet d’une mesure de suspension de 2 mois, au motif qu’il aurait omis de déclarer des ressources, et ce avec intention frauduleuse. Il s’agit de deux périodes de travail dans le secteur de la cueillette. La sanction n’est pas assortie d’un sursis et la Cour du travail de Liège, saisie de la question, rend un premier arrêt le 25 novembre 2011, invitant les parties à conclure sur l’application ou non d’un sursis, et ce eu égard à deux arrêts, l’un rendu par la Cour constitutionnelle en date du 16 décembre 2010 (arrêt n° 148/10) et l’autre de la Cour de cassation du 10 octobre 2011 (R.G. S.100112.F).

L’arrêt de la cour du travail du 27 avril 2012

Position sur la question de la cour du travail

La cour constate qu’il s’agit de trancher la question de l’étendue (et des limites) du pouvoir du juge, statuant suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle, qui, saisie d’une question préjudicielle, a posé un constat d’inconstitutionnalité au motif de lacune législative. La cour pose la question de savoir si elle peut suppléer au silence du législateur ou se garder de se substituer à lui, dans l’attente d’une intervention législative. Il s’agit en l’espèce de l’article 30 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale et, dans son arrêt du 16 décembre 2010, la Cour constitutionnelle a statué sur deux points importants. Le premier est la situation discriminatoire de l’allocataire social poursuivi devant les juridictions correctionnelles en cas de dissimulation frauduleuse de ressources (cas où il peut se voir infliger une sanction pénale avec sursis) et de celui poursuivi devant le tribunal du travail (qui ne peut pas bénéficier d’une mesure d’individualisation de la peine). La cour du travail rappelle que la Cour constitutionnelle a exprimé le constat d’inconstitutionnalité comme suit : « L’absence de dispositions législatives qui permettent de faire bénéficier d’une mesure de sursis l’allocataire social auquel est infligée une suspension du paiement du revenu d’intégration sociale viole les articles 10 et 11 de la Constitution ».

Le second point est que la lacune législative trouve sa source dans l’absence de dispositions législatives permettant aux allocataires sociaux de faire l’objet d’une mesure avec sursis. Il s’agit d’un constat de lacune extrinsèque, qui a amené la Cour constitutionnelle à conclure, dans le dispositif de son arrêt, que les articles 30, 31 et 47 de la loi du 26 mai 2002 ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Pour la Cour constitutionnelle, il appartient ainsi au législateur, lorsque la loi du 29 juin 1964 n’est pas applicable, de déterminer en la matière les conditions auxquelles un sursis peut être ordonné et d’en fixer les conditions.

Position des parties

La cour résume alors la position des parties, étant que, pour le C.P.A.S., seul le législateur est habilité à combler la lacune et que, même si la Cour constitutionnelle a constaté l’inconstitutionnalité d’une norme législative, celle-ci ne cesse pas pour autant de faire partie de l’ordonnancement juridique interne. Quant à l’intimé, il se fonde sur l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2011, dont l’enseignement est que, après un constat d’inconstitutionnalité, le juge y confirme néanmoins que la décision administrative litigieuse (matière du chômage) viole l’article 159 de la Constitution. Pour l’intimé, que la lacune soit intrinsèque ou extrinsèque, le juge doit pouvoir la corriger.

L’avis du Ministère public

La thèse de l’Avocat général va dans le sens de la position défendue par l’intimé, celui-ci invoquant également un arrêt du 31 juillet 2008 de la Cour constitutionnelle (C. const., 31 juillet 2008, arrêt n° 111/2008), ainsi que deux importants arrêts de la Cour de cassation (Cass., 14 octobre 2008, R.G. P.08.1329.N – rendu en audience plénière ; et Cass., 3 novembre 2008, R.G. S.07.0013.N). Pour l’Avocat général, le juge doit pallier la lacune. S’agissant en l’espèce d’une peine, le juge peut, s’il existe des circonstances atténuantes, assortir cette peine d’un sursis.

La décision de la cour

La cour va dès lors longuement reprendre les principes de l’autorité relative renforcée de chose jugée (articles 26, § 2, 2° et 3° et 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle), rappelant la portée des arrêts rendus sur question préjudicielle et exposant longuement les effets de lacunes intrinsèques et extrinsèques de la loi. Dans d’importants développements, où elle s’appuie sur la doctrine en la matière, la cour en vient ensuite à l’étendue et aux limites du pouvoir du juge en cas de silence de la loi et conclut qu’elle ne pourrait, sans violer l’article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, assortir d’une mesure de sursis la sanction de suspension litigieuse.

Cependant, étant en présence d’une décision inconstitutionnelle à portée individuelle, la cour considère qu’il s’agit d’une décision administrative dont la légalité est contestée et qui viole les articles 10 et 11 de la Constitution. La cour considère que la seule conclusion qui s’impose est de ne pas appliquer la décision administrative illégale. Il ne peut dès lors, pour elle, être donné effet à la partie de la décision prise en ce que, par la suspension du revenu d’intégration infligée à l’allocataire social, sans même pouvoir envisager de l’assortir d’un sursis, elle viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en l’absence, par ailleurs, de dispositions législatives permettant au juge de le faire bénéficier de cette mesure d’individualisation de la peine.

La cour va dès lors considérer qu’il ne peut être donné effet à la mesure de suspension.

Intérêt de la décision

Dans cet imposant arrêt, précédé d’une première analyse contenue dans une décision du 25 novembre 2011, la cour du travail tire de la situation lui présentée une conclusion logique : s’il n’appartient pas au juge de se substituer au législateur, vu la lacune extrinsèque constatée, et qu’il ne peut dès lors décider d’assortir la sanction d’un sursis, il peut cependant poser le constat d’inconstitutionnalité et écarter la décision administrative litigieuse, dont il décide qu’il ne peut lui être donné d’effet quant à la mesure de suspension qu’elle contient.


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