Terralaboris asbl

Révision médicale planifiée : point de départ du droit aux allocations majorées en cas d’aggravation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 juin 2012, R.G. 2010/AB/297

Mis en ligne le mardi 30 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 18 juin 2012, R.G. n° 2010/AB/297

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles considère qu’il y a, dans le texte de l’article 23, § 2, alinéa 5 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière d’allocations aux personnes handicapées une discrimination, constitutive d’une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Le litige

Un recours est introduit le 20 mai 2009 devant le Tribunal du travail de Bruxelles par Monsieur M. Ce recours est dirigé contre une attestation générale par laquelle une réduction de la capacité de gain d’un tiers au moins a été admise, ainsi qu’une réduction d’autonomie de 8 points. Ce recours vise également la décision administrative à intervenir, en ce qu’elle se fonderait sur une attestation générale erronée (sur le plan médical). Il demande au tribunal d’accorder des avantages sociaux et fiscaux ainsi que l’allocation de remplacement de revenus et une allocation d’intégration.

Le jugement du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Bruxelles invite l’Etat belge à rendre une décision administrative reconnaissant pour l’intéressé le droit à une allocation de remplacement de revenus (catégorie isolé) et à payer les arriérés. Sur l’allocation d’intégration et les avantages sociaux et fiscaux, il ordonne une expertise, qui est menée à bien.

Suite à l’appel de l’Etat belge, la cour du travail est saisie de l’ensemble du litige.

Position de parties en appel

L’Etat belge conteste la prise de cours de la période à retenir, celle-ci débutant le 1er octobre 2007 selon le jugement et non au 1er octobre 2009 ainsi que l’Etat belge le soutient.

L’intéressé sollicite pour sa part la confirmation du jugement, la reconnaissance de la perte de capacité de gain de plus de 66% et la fixation de la perte d’autonomie à 12 points, et ce depuis la date du 1er octobre 2007. Il demande également qu’il soit constaté qu’il remplissait les conditions financières et médicales ouvrant le droit à l’allocation de remplacement de revenus et à l’allocation d’intégration (catégorie 3).

Décision de la cour du travail

La cour tranche, en premier lieu, la question de la recevabilité du recours en ce qu’il contestait une décision à venir, étant de savoir si le recours n’était pas, sur celle-ci, prématuré. La question a été soulevée d’office par le ministère public, vu le caractère d’ordre public de la question.

La cour rappelle ici la compétence générale des juridictions du travail en ce qui concerne les contestations relatives aux droits en matière d’allocations aux personnes handicapées, telle que prévue à l’article 582, 1° du Code judiciaire, et ce, depuis la modification intervenue dans cette disposition par la loi du 19 avril 1999. La cour précise que, depuis celle-ci, le lien entre l’examen administratif et l’examen judiciaire des demandes tel qu’il existait précédemment a été rompu (renvoyant à la jurisprudence la Cour de cassation, dont Cass., 8 septembre 2003, R.G. n° S.03.0019.N.

Les juridictions du travail sont compétentes dès lors qu’il y a une contestation et, si celle-ci existe, la cour rappelle que les parties sont libres d’étendre l’objet du litige conformément aux articles 807 à 810 du Code judiciaire. Le principe du préalable administratif ne s’impose plus à ce stade, étant que la demande dont le juge est saisi en cours de procédure ne doit pas avoir été soumise préalablement à l’administration. Après avoir repris les conditions de l’article 807 du Code judiciaire, la cour constate que l’intéressé a valablement saisi le tribunal d’une contestation (étant l’attestation générale) et qu’il pouvait étendre l’objet de sa demande aux allocations (la cour renvoie ici à sa propre jurisprudence, étant C. trav. Bruxelles, 8 novembre 2010, R.G. n° 2009/AB/52.591. En conséquence, l’antériorité de la demande judiciaire par rapport à la demande administrative ne peut conduire à l’irrecevabilité.

La cour va ensuite examiner la situation médicale de l’intéressé, afin de déterminer son droit aux avantages sociaux et fiscaux. Elle fixe la réduction d’autonomie à 12 points à partir du 1er octobre 2007, conformément à l’avis de l’expert désigné par le tribunal du travail.

Mais c’est sur l’allocation d’intégration que la cour s’attache particulièrement, considérant qu’il y a lieu de rouvrir les débats vu un constat d’inconstitutionnalité de l’article 23, § 2, alinéa 5 de l’arrête royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière d’allocations aux personnes handicapées, qui dispose que la nouvelle décision prise dans le cadre d’une révision médicale planifiée produit ses effets le premier jour du mois qui suit la date de notification de la décision. La cour constate en effet qu’il n’est pas prévu de distinction selon que la révision s’opère en faveur ou en défaveur de la personne handicapée, étant que son état s’est aggravé ou que sa situation médicale s’est améliorée.

Monsieur M. a en effet plaidé qu’il y a violation de la Constitution et que, conformément à l’article 159 de celle-ci, le juge doit exercer un contrôle de légalité externe et interne des dispositions de l’arrêté royal, son contrôle n’étant pas limité aux irrégularités manifestes (avec renvoi par la cour à Cass., 4 décembre 2006, Chron. D.S., 2008, p. 206).

Le principe de non-discrimination peut être en cause dans cette situation.

Le fait de traiter de manière identique des catégories de personnes alors qu’elles se trouvent dans des situations différentes au regard de la norme litigieuse est susceptible de constituer une telle discrimination si le traitement identique qui leur est réservé est dépourvu de justification raisonnable. En l’espèce, l’article 23, § 2, alinéa 5 traite de manière identique des personnes qui sont dans une situation différente, étant, dans le cadre d’une révision médicale planifiée, les personnes handicapées dont la situation médicale s’est améliorée (avec pour conséquence une réduction de leurs allocations) et les personnes handicapées dont l’état s’est aggravé (ce qui entraînera des allocations plus élevées). C’est la date de prise de cours des effets de la décision qui interpelle la cour : en effet, celle-ci est identique, étant le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel la décision est notifiée. En conséquence, les personnes dont les allocations sont réduites n’ont pas d’effet rétroactif mais celles pour qui il y a un droit à l’augmentation des allocations ne vont bénéficier de celle-ci qu’après que l’administration a pris une décision.

C’est l’objet de la discussion ici puisque la décision a été prise en septembre 2009 et que l’Etat belge considère que le droit est ouvert à partir du 1er octobre 2009 alors que l’aggravation de la situation médicale a été fixée au 1er octobre 2007.

La cour constate encore que, si dans la majorité des cas la disposition est favorable à la personne handicapée, cela ne justifie pas le traitement réservé à l’hypothèse d’une aggravation et, par ailleurs, le fait que la personne handicapée peut introduire une nouvelle demande d’allocations (qui entraînera une nouvelle décision d’octroi sur la base de la situation médicale nouvelle avec effet immédiat) ne justifie pas raisonnablement la disposition en cause.

Pour la cour du travail, c’est donc sans justification raisonnable que ces deux catégories de personnes, qui sont dans des situations différentes, sont traitées de manière identique. Elle en conclut qu’il y a contrariété aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Sur les conséquences du constat d’inconstitutionnalité, qui entraîne la non-application de la disposition en cause (la cour renvoyant à Cass., 10 octobre 2011, R.G. S.10.01142.F), se pose la date à retenir et la cour constate que les parties n’ont pas débattu de la question, ce qui entraîne la réouverture des débats.

Elle pose dès lors plusieurs questions : faut-il retenir le premier jour du mois suivant celui au cours duquel le demandeur remplit les conditions fixées par la loi (article 14, alinéa 1er), la date fixée en cas de révision d’office (dont question à l’article 23, § 1er, 5°), ou encore le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel le bénéficiaire se trouve dans certaines situations, en cas de nouvelle décision (hypothèse de l’article 23, § 2,1°). La cour semble, dans un dernier attendu, pencher pour la référence à la règle générale, considérant que, dès lors que l’on ne peut tenir compte de l’article 23, § 2, alinéa 5 en cas de révision médicale planifiée entraînant une majoration du droit aux allocations, l’on pourrait considérer qu’il n’y aucune dérogation par rapport à celle-ci. Ceci est cependant formulé sous forme d’interrogation.

Intérêt de la décision

C’est à juste titre que la cour du travail constate ici une discrimination entre personnes se trouvant dans des situations tout à fait différentes et qui se voient appliquer une même règle en ce qui concerne la date de prise de cours des effets de la révision médicale planifiée.

La réponse à la question posée par la cour est vivement attendue.
Affaire à suivre donc …


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