Terralaboris asbl

Que faut-il entendre par notion d’incapacité permanente totale dans le cadre d’un règlement de fonds de pension ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 juillet 2012, R.G. 2011/AB/494

Mis en ligne le lundi 29 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 11 juillet 2012, R.G. n° 2011/AB/494

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 11 juillet 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine les conditions d’octroi d’une rente de retraite anticipée dans le cadre d’un fonds de pension et conclut à la nécessité d’apprécier les conditions qui y figurent de manière autonome, celles-ci ne pouvant être définies par rapport au secteur des soins de santé et indemnités.

Les faits

Un employé, ayant été victime d’un accident du travail (consolidé avec une incapacité permanente de 9%) est reconnu incapable de travailler dans le secteur des soins de santé et indemnités et est pris à charge de l’INAMI.

Il bénéficie, ainsi que l’ensemble des membres du personnel de la société qui l’occupe, d’un fonds de pension. Celui-ci prévoit le bénéfice d’une rente de retraite anticipée en cas d’invalidité, les conditions mises à l’octroi de celle-ci, étant qu’il y ait une incapacité permanente et totale certifiée par un médecin désigné par le Fonds. Cette rente est versée à partir du 13e mois d’incapacité.

L’intéressé demande à bénéficier de celle-ci, demande qui reste sans suite.

Une procédure est dès lors introduite devant le tribunal du travail à la fois contre l’employeur et contre l’association d’assurances mutuelle (Fonds de pension).

Conformément à la procédure fixée par le règlement, le tribunal demande aux sociétés de désigner un médecin-conseil, considérant en outre que la société employeur doit se porter garante de la bonne exécution des obligations du Fonds à l’égard de son personnel.

Le médecin remet son rapport, concluant à l’existence d’une incapacité permanente totale à une date donnée et le tribunal entérine ce rapport, confirmant le droit pour l’intéressé de bénéficier de la rente de retraite anticipée. Une réouverture des débats est cependant ordonnée pour établir un nouveau calcul.

Appel est interjeté.

Décision de la cour du travail

La société employeur considère qu’elle doit être mise hors cause, n’ayant aucune qualité pour assurer l’exécution du plan de pension. La cour fait droit à sa demande, considérant que le règlement du Fonds de pension est un contrat par lequel l’employeur (stipulant) et le Fonds (promettant) conviennent de faire bénéficier des tiers (travailleurs) de prestations déterminées. Il s’agit d’une stipulation pour autrui, c’est-à-dire d’une opération aux termes de laquelle une personne s’engage envers une autre à accomplir une telle prestation ou à transmettre telle chose en faveur d’un tiers étranger au contrat. Dans cette figure juridique, le bénéficiaire ne dispose pas d’une action directe contre le stipulant et il ne peut agir que contre le promettant étant en l’occurrence le Fonds de pension.

En ce qui concerne le fond de la demande, la cour règle d’abord un problème de terminologie étant que la notion de pension anticipée visée dans le règlement de pension est indépendante de celle de pension de retraite anticipée au sens de la règlementation en matière de pension de retraite des travailleurs salariés.

En ce qui concerne la condition reprise à l’article 7 du règlement, qui est d’être atteint d’une incapacité permanente et totale, la cour se penche sur le sens de cette notion.

En premier lieu, elle retient qu’il s’agit d’une incapacité de travail et non d’une invalidité et qu’en conséquence la référence n’est pas purement physiologique mais qu’est visée la capacité de gagner sa vie en travaillant. A défaut d’autres précisions, l’appréciation de l’aptitude ne doit pas se faire uniquement par rapport à la dernière profession exercée par le travailleur, la notion d’incapacité étant plus générale. Sont ainsi visées les qualifications que l’intéressé pourrait déployer dans le milieu économique et social qui est le sien. Il faut dès lors tenir compte des critères d’âge, de qualification professionnelle, de faculté d’adaptation à d’autres tâches, de reclassement professionnel, de capacité de concurrence sur le marché du travail, etc.

Ensuite, la cour relève que le règlement exige que cette incapacité soit totale, ce qui ne signifie pas qu’il faille aligner les critères applicables sur ceux de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, qui vise la réduction de capacité de gain de 66% au moins. Dans ce secteur de la sécurité sociale, la réduction de capacité de travail visée se située entre 67 et 100%. Il n’est cependant pas exigé qu’elle soit totale, contrairement à ce qui est prévu dans le règlement. Il faut dès lors examiner si l’intéressé est totalement incapable de gagner sa vie en travaillant et en outre, l’incapacité doit avoir un caractère permanent, c’est-à-dire non évolutif.

La cour revient ici sur les conclusions du médecin désigné par les sociétés (dont l’évaluation est contestée) et rappelle, en ce qui concerne celles-ci, que l’avis du médecin-conseil désigné par une partie ne peut en cas de contestation lier la juridiction. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est en effet constante à cet égard : pour qu’un tribunal puisse décider d’une contestation sur des droits et obligations de caractère civil en conformité avec l’article 6, § 1er de la Convention, il faut qu’il ait compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il est saisi. Il faut dès lors garder comme principe que l’indépendance à l’égard des parties en cause fait partie des garanties que doit offrir une juridiction qui a plénitude de juridiction, comme en l’espèce. Le juge ne peut être tenu, sur un point de la contestation, de s’en remettre à ce qu’a décidé le représentant d’une partie. Si le tribunal a chargé les sociétés de désigner un médecin, conformément au règlement de pension, cette clause ne peut être considérée comme une clause d’arbitrage, mais comme une disposition organisant la prise de décision du Fonds. Cette décision peut être contestée par le travailleur et, par ailleurs, si elle constituait une clause d’arbitrage, elle serait contraire à l’article 13 de la loi du 3 juillet 1978.

La cour écarte, en conséquence, la conclusion du médecin désigné, dans la mesure où il s’est fondé sur une définition incorrecte de l’incapacité de travail à retenir en l’espèce.

La cour va dès lors procéder à une mesure d’instruction par la voie de l’expertise judiciaire.

Cette désignation ayant déjà fait l’objet d’un second jugement rendu le 11 avril 2011, la cour modifie cependant la mission de celui-ci, étant que pour être permanente et totale l’incapacité doit répondre aux développements faits dans le corps de l’arrêt et ne pas être définie par rapport aux critères de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.

Enfin, vu la réformation partielle de la mesure d’expertise, la cour considère qu’il n’y a pas lieu de renvoyer l’affaire devant le premier juge, et ce eu égard à la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle lorsque le juge d’appel réforme un jugement et rend dès lors une décision sur le litige différente de celle du premier juge, il n’est pas tenu de renvoyer la cause vers celui-ci s’il confirme la mesure d’instruction ordonnée par le jugement (voir notamment Cass., 18 mars 2010, n° C.08.0463.N).

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles conclut, à juste titre, dans l’hypothèse d’un règlement de fonds de pension, que les conditions fixées pour le bénéfice de la rente de retraite anticipée doivent être appréciées au regard du texte lui-même et non par rapport à des critères existant dans des textes de sécurité sociale destinés à couvrir d’autres risques, en l’occurrence le secteur des soins de santé et indemnités.

La cour définit dès lors la notion d’incapacité au sens le plus large, se basant sur l’appréciation faite des facteurs socio-économiques en droit commun.


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