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Allocations pour personnes handicapées : cas des apatrides

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 juin 2012, R.G. 2011/AB/1.079

Mis en ligne le lundi 29 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 18 juin 2012, R.G. n° 2011/AB/1.079

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la décision reconnaissant une personne comme apatride a un effet déclaratif, étant qu’elle constate l’apatridie, et ce depuis l’événement ayant causé cet état.

Les faits

Monsieur H. a demandé l’asile en Belgique le 30 mars 2005 et a déposé deux ans plus tard une requête en reconnaissance d’apatridie. Il a bénéficié d’une autorisation de séjour temporaire, renouvelée d’année en année. En septembre 2008, il a sollicité le bénéfice des allocations aux personnes handicapées.

La Cour d’appel de Liège a dit pour droit que Monsieur H. est apatride, conformément aux termes de la Convention de New-York du 28 septembre 1954 (article 1, 14°), et ce par arrêt du 30 juin 2009. Il a dès lors pu bénéficier d’une attestation d’apatridie et il a été inscrit au registre national en cette qualité.

La question posée au tribunal du travail est de savoir s’il peut bénéficier des allocations pour personnes handicapées à dater de la requête déposée en mai 2007, étant donné que sa situation médicale – non contestée – implique une perte de capacité de gain de deux tiers au moins et une perte d’autonomie de huit points, dont deux points en matière de possibilités de déplacement.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 19 octobre 2011, le tribunal du travail a admis que l’intéressé peut bénéficier d’une allocation de remplacement de revenus de catégorie C ainsi que d’une allocation d’intégration de catégorie 1 à dater du 1er octobre 2008 (soit le premier du mois suivant la demande).

Position des parties en appel

L’Etat belge interjette appel, considérant que le droit aux allocations ne peut être octroyé qu’à partir de la date à laquelle la qualité d’apatride a été inscrite au registre national, soit en mars 2010.

Quant à l’intéressé, il considère que la reconnaissance de son statut d’apatride lui ouvre le droit dès la naissance de la demande d’allocations, soit en septembre 2008, demande introduite après celle relative à la reconnaissance de la qualité d’apatride (mai 2007).

Décision de la cour du travail

La cour rappelle le texte légal, étant l’article 4, § 1er de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées. Celui-ci concerne les conditions d’octroi des allocations : (i) résidence réelle en Belgique et (ii) obligation d’appartenir à une des catégories de personnes visées en fonction de leur nationalité. Parmi ces catégories figurent les apatrides au sens de la Convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides.

La cour constate que l’intéressé a été reconnu comme apatride par arrêt de la Cour d’appel de Liège le 30 juin 2009. Elle précise qu’une telle décision a un effet déclaratif de droit, étant que par celle-ci la personne est reconnue. Une décision de ce type, qu’elle soit juridictionnelle ou administrative, ne rend pas la personne apatride mais constate cet état de fait, et ce depuis l’événement qui l’a causé (la cour renvoyant à la doctrine de S. SAROLEA, « L’apatridie : du point de vue interétatique au droit de la personne », R.D.E., 1998, p. 203), et, au sens de la Convention de New-York, est apatride toute personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant, par application de sa législation.

Tombant dans le cadre du champ d’application de la Convention à date de la demande, l’intéressé est censé avoir satisfait à la condition de nationalité lors de celle-ci et peu importe qu’il ait fallu attendre près d’un an pour qu’une décision judiciaire le reconnaisse. Est, dès lors, sans importance la date de l’inscription au registre national : il ne s’agit pas d’une condition légale ni réglementaire pour l’octroi des allocations.

La réglementation prévoit certes la référence aux mentions du registre national mais ceci porte sur la détermination du statut des personnes qui ont introduit une demande d’allocation pour handicapés. La cour relève encore que ces mentions ne font foi que jusqu’à preuve du contraire.

Il en résulte que les effets du statut d’apatride ne peuvent être postposés à la date de l’inscription.

En outre, l’exigence d’une condition de séjour régulier – qui ne serait pas rencontrée en l’espèce - est sans pertinence puisque l’intéressé bénéficiait d’un titre de séjour pendant la période concernée. Celui-ci était certes limité dans le temps mais l’article 23 de la Convention vise les apatrides résidant régulièrement sur le territoire de l’Etat d’accueil sans référence à la durée de ce séjour. La cour en conclut que l’intéressé répondait dès lors à cette exigence pour la période litigieuse, bénéficiant d’un certificat d’inscription au registre des étrangers.

Enfin, est également sans pertinence l’argument de l’Etat belge selon lequel une discrimination serait ainsi créée entre les différentes catégories d’étrangers étant, d’une part ceux qui pourraient devenir apatrides ou non ainsi qu’entre les apatrides eux-mêmes en fonction du fait que le demandeur bénéficierait au moment de l’introduction de sa demande de reconnaissance d’un titre de séjour ou non. La cour rejette cet élément, qui manque de précision en ce qui concerne la comparabilité des situations invoquées. Ceci empêche tout contrôle d’une discrimination possible.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles contient un enseignement essentiel, étant le caractère déclaratif des décisions d’apatridie, dont découlent des conséquences importantes, notamment en l’espèce la condition de nationalité requise au moment du dépôt d’une demande d’allocations pour personnes handicapées. La décision en cause – dont la cour rappelle qu’elle peut être juridictionnelle ou administrative – n’est dès lors pas attributive de droit mais constate un état, et ce depuis l’événement qui l’a causé.


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