Terralaboris asbl

Notion de même employeur pour le calcul de l’ancienneté en cas de licenciement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juin 2012, R.G. 2010/AB/1.026

Mis en ligne le lundi 22 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 29 juin 2012, R.G. n° 2010/AB/1.026

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 29 juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles se livre à un rappel des principes relatifs à la notion de même employeur et analyse les critères permettant de retenir entre diverses institutions ayant successivement conclu un contrat de travail avec la même personne une cohésion sociale suffisante pour retenir une ancienneté correspondant à toute la période d’occupation.

Les faits

En mai 1987, Madame D. est engagée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée pour assurer des fonctions d’accueil et de classement au service d’une ASBL proche d’une mutualité. Trois ans plus tard elle signe un contrat à durée indéterminée avec cette mutualité en qualité d’employée administrative et onze ans plus tard un nouveau contrat de travail à durée indéterminée est signé avec un autre organisme assureur pour exercer des fonctions de formation du personnel et d’administration des salaires.

Elle est licenciée en 2006 et reçoit une indemnité compensatoire de préavis de sept mois de rémunération correspondant à son ancienneté acquise dans le cadre du dernier contrat de travail.

Elle introduit une demande devant le Tribunal du travail de Nivelles aux fins de se faire reconnaître une ancienneté globale, autorisant une indemnité compensatoire de préavis plus élevée. Elle sollicite également des dommages et intérêts pour violation d’une clause de stabilité d’emploi.

Le tribunal du travail alloue l’indemnité complémentaire mais n’octroie pas les dommages et intérêts.

L’organisme assureur interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour est saisie d’un appel principal et d’un appel incident, les parties reprenant chacune la position défendue devant le premier juge.

En ce qui concerne l’indemnité de préavis, la cour reprend la notion de « même employeur » figurant à l’article 82, § 4 de la loi du 3 juillet 1978. Elle en rappelle l’acception telle que dégagée dans la jurisprudence de la Cour de cassation (dont elle reprend plusieurs arrêts) étant l’unité économique d’exploitation que constitue l’entreprise, sans égard à la modification éventuelle de sa nature juridique. Elle rappelle que dans divers arrêts, la Cour de cassation a approuvé l’application de cette notion dans l’hypothèse où des personnes juridiques se succèdent dans l’exercice d’une même activité économique, ainsi en cas de reprise d’un fonds de commerce après faillite, d’occupation au service de deux concessionnaires exclusifs d’une même marque de véhicule et encore de reprise conventionnelle d’une partie de l’activité d’une société par une autre. Pour qu’il y ait unité économique d’exploitation il doit y avoir continuation d’une activité économique identique ou similaire, et ce sans interruption, sans que cependant un lien de droit entre les exploitants successifs ne soit exigé. La notion de même employeur n’exige pas que la totalité des activités économiques soit reprise mais qu’une activité déterminée soit reprise ou poursuivie sans interruption, le critère à cet égard étant qu’il doit s’agir d’une activité économique susceptible d’être continuée. La cour reprend encore d’autres critèrers, dans la ligne des principes ci-dessus et souligne que l’activité économique ne doit pas nécessairement être exercée dans un but lucratif.

Après ce rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation, la cour du travail passe à l’examen de décisions de juridictions de fond, ayant notamment conclu qu’il y avait même employeur dans l’hypothèse où plusieurs églises locales poursuivent une finalité identique et entre qui existe un lien de droit sous la forme d’une commission permanente, ou encore pour deux centrales professionnelles d’un même syndicat. Elle reprend encore d’autres exemples tirés de situations familiales, en pointant encore le fait que, si les entreprises en cause ont été considérées comme unités techniques d’exploitation distinctes dans le cadre des élections sociales, ce critère est indifférent dans la notion de même employeur. Elle constate que la jurisprudence des juges du fond a donné une extension à la notion de même employeur et que telle était bien la volonté de législateur, qui a considéré que l’entreprise subsistait dans une forme juridique ou technique nouvelle dès lors que sa destination économique était restée inchangée. A cet égard elle rappelle encore que dans l’évaluation des délais de préavis le critère d’ancienneté va récompenser la fidélité du travailleur à l’entreprise, celle-ci étant envisagée comme une entité économique.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour constate que, pour les deux organismes assureurs, il y a - même s’ils opèrent dans des régions différentes - une cohésion importante vu leur affiliation à la même Union, ceci impliquant un fonctionnement commun à divers égards, dont il en ressort une cohésion sociale importante. La cour examine dès lors les critères de cette cohésion sociale, étant la concertation sociale à un niveau commun ainsi que l’application de règles communes en matière de droit social et encore l’idée que le personnel est considéré comme membre d’une même communauté. Vu l’ensemble de ces éléments d’appréciation, la cour admet que les deux derniers contrats de travail ont été exécutés pour un même employeur.

Reste encore le premier contrat, conclu avec une ASBL étroitement liée au premier organisme assureur avec lequel l’employée conclura un contrat à durée indéterminée. Examinant l’objet social de cette ASBL, le fait que les mêmes personnes dirigeaient celle-ci et l’organisme assureur, l’identité d’adresse, … et constatant des éléments de continuité dans les conditions de travail (rémunération identique, paiement d’un 13e mois, absence d’indemnité de rupture), la cour conclut également à l’existence d’un même employeur, et ce même si des fonctions différentes ont été exercées, l’identité des fonctions n’étant pas une condition exigée au sens de la notion légale.

L’ancienneté remonte dès lors au premier contrat et est de plus de 18 ans.

En ce qui concerne la clause de stabilité d’emploi dont le bénéfice est réclamé, il s’agit d’une convention collective de travail du 2 juin 1964 par laquelle le personnel ayant plus de 5 ans de service bénéficie d’une stabilité d’emploi, sauf dans quatre hypothèses. Une de celles-ci est examinée par la cour, étant le licenciement intervenu pour des raisons majeures notamment des mesures d’économie administratives, de réorganisation des services, etc. Dans cette hypothèse, l’accord de représentants nationaux du mouvement (syndicat et Union mutualiste) est exigé. La cour rappelle qu’une telle clause limite le droit de l’employeur de licencier et qu’elle affecte donc les relations individuelles entre les parties. Ne pas la respecter constitue une faute et le travailleur peut prétendre à une indemnisation même si celle-ci ne figure pas dans la convention collective. C’est le juge qui fixera le dommage et, conformément au droit commun, celui-ci doit être justifié par le travailleur, de même que le lien de causalité. C’est par le biais de la théorie de la perte d’une chance de conserver son emploi que celui-ci sera fixé. Et la cour rappelle encore la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la perte d’une chance peut être indemnisée lorsqu’elle a été causée par une faute. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’accord n’a pas été donné ni même demandé et la perte d’une chance, tel qu’exposé par l’intéressée, est admise. La cour l’évalue en équité à l’équivalent de trois mois de rémunération.

Intérêt de la décision

Cet arrêt contient un exposé des principes applicables à la notion de même employeur. La cour rappelle le rôle qu’ont joué les juridictions de fond dans l’extension du concept. Elle se livre en outre à un examen des éléments de fait permettant de conclure à une cohésion sociale entre divers employeurs.


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