Terralaboris asbl

Maison de repos avec gestionnaires indépendants : conditions de la compensation en cas de déficit de personnel

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 juin 2012, R.G. 2009/AB/51.899

Mis en ligne le jeudi 18 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 13 juin 2012, R.G. n° 2009/AB/51.899

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine l’incidence de la modification, par l’arrêté ministériel du 16 février 2007, des règles relatives à la compensation par un (ou plusieurs) gestionnaire(s) indépendant(s) en cas de déficit de personnel.

Les faits

Un contrôle est effectué dans une maison de repos sur les catégories de dépendance déclarées pour les pensionnaires dans le cadre de l’allocation pour soins et assistance dans les actes de la vie journalière. Ce contrôle est survenu en 2005 et il entraîne des modifications de catégories de dépendance. L’allocation fait ainsi l’objet d’une diminution de l’ordre de 9% pour une période déterminée.

La Résidence introduit une procédure judiciaire, avec des résidents.

Par jugement du 25 septembre 2006, le Tribunal du travail de Bruxelles désigne un expert et le rapport d’expertise est entériné par un second jugement, en date du 7 janvier 2009. Les décisions sont annulées et le tribunal invite les parties - et spécialement l’INAMI - à refaire les calculs.

Appel est interjeté par celui-ci.

Les arrêts de la cour du travail

Arrêt du 15 septembre 2010

La cour du travail déclare dans cet arrêt l’appel de l’INAMI non fondé et accueille un appel incident de la Résidence et des parties intimées concernant notamment la rectification du budget alloué pour les années ultérieures, et ce suite aux diminutions de catégories de dépendance et à la modification des normes de personnel.

Arrêt du 13 juin 2012

La cour rappelle le cadre juridique, étant les termes de l’arrêté ministériel du 6 novembre 2003 fixant les montants et les conditions d’octroi de l’intervention visés à l’article 37, § 12 de la loi, étant les prestations fournies par les maisons de repos pour personnes âgées. L’intervention est calculée en se référant à une période distincte de la période de facturation pour laquelle l’allocation est payée et l’allocation forfaitaire journalière dépend essentiellement du personnel occupé pendant la période de référence (qualification, coût salarial, nombre de jours facturés par bénéficiaire).

La cour rappelle que la composition du personnel est déterminée compte tenu du profil médical des bénéficiaires (catégories de dépendance) et que le service compétent de l’INAMI calcule le nombre d’équivalents temps plein par qualification présents avec le niveau d’encadrement dont l’institution doit disposer pendant cette période de référence (norme théorique). La réglementation prévoit la possibilité de procéder à des compensations en cas de déficit de personnel dans certaines qualifications et, si celles-ci laissent subsister un déficit dans une qualification déterminée, une réduction proportionnelle est appliquée.

La cour s’attache plus particulièrement au mécanisme de la compensation, le texte ayant été modifié par un arrêté ministériel du 16 février 2007. Dans sa mouture initiale, il prévoyait qu’afin d’éviter la réduction, les heures effectivement prestées par le gestionnaire indépendant pouvaient compenser (pour 19 heures par semaine au maximum) un manque dans une qualification déterminée alors que depuis la modification du texte, il est précisé qu’il s’agit de sa qualification. La question se pose dès lors de déterminer, dans la mesure où en l’espèce un déficit de personnel a été constaté (réactivation et personnel infirmier), dans quelle mesure les compensations peuvent intervenir.

Pour la cour, dès lors qu’une maison de repos occupe plusieurs gestionnaires indépendants, chacun peut effectuer des heures de prestation dans sa qualification ou dans la qualification en déficit comptant pour la compensation. En présence de plusieurs gestionnaires, l’INAMI ne peut être suivi lorsqu’il considère qu’il faut limiter à un seul d’entre eux la possibilité d’effectuer des heures et de compenser un déficit. Il n’y a pour la cour aucune logique si, en présence de deux gestionnaires, le second ne peut à aucun titre intervenir dans la compensation et doit se consacrer entièrement à la gestion. La cour confirme ainsi que la réglementation doit être comprise comme permettant à chaque gestionnaire indépendant de prester des heures pouvant intervenir dans la compensation à concurrence de maximum 19 heures par semaine.

Elle examine dès lors la question de savoir si en l’espèce le second gestionnaire a pu compenser le déficit de personnel infirmier. S’agissant d’un titulaire d’une qualification de kinésithérapeute, l’INAMI considère que la compensation n’est plus permise depuis l’arrêté ministériel du 16 février 2007 et la Résidence considère à ce sujet qu’une telle rétroactivité serait illégale et discriminatoire.

La cour doit ainsi examiner la question de la rétroactivité de l’arrêté ministériel du 16 février 2007, ce qu’elle fait en rappelant les principes de non-rétroactivité dès lois et des arrêtés réglementaires, principe général de droit garant des intérêts individuels et de la sécurité juridique.

Elle cite ici une importante jurisprudence de la Cour de cassation et précise à propos des arrêtés réglementaires que pour avoir un effet rétroactif, ils ne peuvent remettre en cause une situation irrévocablement fixée à la date de leur entrée en vigueur. En l’espèce, la période de référence devant à l’époque servir pour l’année 2008 était presqu’entièrement échue (1er juillet 2006 – 30 juin 2007) et la cour constate que, s’il avait été demandé à la Résidence pour cette période de compenser le déficit de personnel infirmier par du personnel salarié et non par son second gestionnaire indépendant, ceci aurait eu pour effet de revenir sur une situation irrévocablement fixée, puisqu’au moment où elle a agi elle était autorisée à procéder comme elle a fait et que ce n’est qu’a postériori qu’elle a été privée de cette faculté, la règle nouvelle entraînant d’ailleurs une obligation impossible à réaliser (engagement d’un salarié à partir du 1er juillet 2006).

L’arrêté ministériel ne peut donc rétroagir et pour l’année 2008 (la cour ajoutant que, si une contestation surgissait pour 2007, la solution serait identique) il y a lieu d’appliquer la réglementation telle qu’en vigueur précédemment. En conséquence, le déficit relatif aux prestations d’infirmiers pouvait être compensé par des heures effectivement prestées par le second gestionnaire indépendant de la Résidence. Les forfaits doivent dès lors être calculés sans réduction pour déficit de personnel.

La cour va dès lors ordonner la production de calculs.

Sur les intérêts de retard, la cour constate qu’existe un préjudice du fait de l’indisponibilité des sommes depuis la date à laquelle elles auraient dû être payées par les organismes assureurs si l’INAMI n’avait pas pris les décisions litigieuses. Elle majore dès lors les sommes dues d’intérêts compensatoires, rappelant que ceux-ci font partie intégrante des dommages et intérêts alloués en réparation du dommage causé par un acte illicite et qu’ils réparent le préjudice supplémentaire découlant du paiement différé. En outre, le juge peut, dans son évaluation du dommage, calculer le montant principal à une date antérieure s’il considère qu’à celle-ci le dommage était déjà certain et évaluable et pouvait dès lors donner lieu à réparation. Le taux des intérêts compensatoires (dus par le fait que le créancier a été privé d’une somme qu’il aurait pu utiliser à son profit) est fixé à l’occurrence à 4% de l’allocation forfaitaire dont la Résidence a été privée. La cour précise encore, revenant ici également à la jurisprudence de la Cour de cassation, que les intérêts compensatoires ne peuvent faire l’objet d’une capitalisation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle la modification intervenue sur la question suite à l’arrêté ministériel du 16 février 2007 et examine plus particulièrement l’incidence de celui-ci sur la période de référence juillet 2006 - juin 2007 (forfaits 2008).


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